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Billet de blog 10 septembre 2020

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LA Malédiction du pain

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LA MALEDICTION DU PAIN

Pauvres de tous les pays, n’attendez pas qu’on vous donne votre pain quotidien, PRENEZ LE

M. S. MATHLOUTHI

Depuis qu'Adam et Ève ont été éjectés du Paradis comme des malpropres, l'homme n'a cessé de suer sang et eau, pour gagner sa croûte.

C'est dans ce sens qu'un homme d'esprit du 18eme siècle, du nom de Linguet, a pu dire : « Le pain est une invention dangereuse ». Celui dont Voltaire disait : « il brûle, mais il éclaire », a affirmé également : « La liberté est pour les trois quarts de l'humanité le droit de mourir de faim ». On lui doit aussi ce mot d'esprit cinglant : Un jour, il reçoit dans sa cellule à la bastille un homme qui se présente en disant : Bonjour, je suis le barbier de la Bastille. Eh bien, lui répond Linguet Vous ferez bien de la raser.

Il apparaît donc clairement que l’humanité n'a d'autre choix que de mourir dignement de faim ou de partir à la quête du pain, mais à ses risques et périls. C'est une espèce de quête du Graal, mais le chemin est semé d’embuches et la voix pavée de boue et de sang...

Dieu, quant à lui, s'en lave les mains tout comme Ponce Pilate !

Voilà, en effet, plus de deux mille ans que les chrétiens supplient le Seigneur, tous les jours de leur fournir leur pain quotidien ; et voilà plus de deux mille ans que le Seigneur fait la sourde oreille ! Certes le quidam de Nazareth a multiplié les pains, par un tour de passe-passe, aux noces de Cana, mais depuis personne n'a répété cette supercherie.

L'homme est donc livré à lui-même.

Cependant, des petits malins ont trouvé la solution en faisant travailler les autres pour leur fournir leur pitance. C'est ainsi que dans la Rome antique, les esclaves ont nourri les hommes libres ; à l'époque féodale, les cerfs ont engraissé les seigneurs ; au moyen âge, les compagnons ont fourni leur becquetance aux maîtres de jurande. Et depuis la Révolution industrielle, le prolétariat s'épuise à assurer le nécessaire et le superflu aux porcs bourgeois.

Si les masses populaires se sont éreintées à nourrir les autres, elles se sont fait taper sur les doigts là où elles ont réclamé leur dû. Quelques exemples suffisent à nous éclairer sur le sujet.

En octobre 1789, des milliers de femmes parisiennes ont marché sur Versailles pour ramener la famille royale à la capitale. Elles disaient : Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. La faim sévissait en France alors et le pain manquait terriblement. Leur revendication était claire ; mais à la place du pain, elles eurent droit à la dictature sanglante de cet enfoiré de Robespierre. Quant au boulanger, il prit la poudre d'escampette pour être rattrapé à Varennes.

En 1876, Porfirio Diaz prit le pouvoir au Mexique. Il fit cette déclaration : Voilà mon système de gouvernement : Je donnerai du pain à tous les citoyens, mais si quelqu’un me demande autre chose que le pain, je lui taperai sur la tête avec ce club. Cela donna naissance à l'expression « pan o palo », le pain ou le bâton ; mais Diaz mania surtout le bâton.

En 1977, le peuple égyptien se soulève pour réclamer du pain, mais les militaires qui le gouvernaient, plus habitués au maniement des armes qu'à la fabrication du pain, l'arrosèrent copieusement de mitraille !

En 1984, les masses tunisiennes envahirent les rues pour protester contre le doublement du prix du pain, mais les sbires du pouvoir les envoyèrent bouffer des pissenlits par la racine. C’est, parait-il, plus délicieux que la baguette !

Partout dans le mode, de l'Afrique à l'Asie et de l'Asie a l'Amérique latine, on a assisté au même scenario.

Alors, trop c’est trop. Il est temps d'arrêter le massacre et de proposer au peuple autre chose que le pain.

C'est pourquoi, et en m'associant à Ernest Coeurderoy1, je lance l'appel suivant. « Peuple, tu as raison. Il te faut le beau froment qui mûrit au soleil glorieux et puis le vin vermeil, les fruits aux saveurs fines, les métaux utiles et les pierres précieuses, les enivrants parfums, les tentures écarlates, les manteaux de velours et de soie, les femmes aux seins roses, les coursiers hennissants et la chasse et les fêtes et les concerts et les réjouissances et les spectacles qui versent dans les cœurs des flots d'amour et d’harmonie. (...). Il te faut tout cela et tu ne jouis pas même de l'air qui court. Et si l'on te refuse tout cela, PRENDS-LE, peuple. Prends-le comme tu pourras, par la torche et le glaive ! »

1 - E. Coeurderoy : Pour la Révolution, Editions Champ Libre, 1972

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