On ne décide pas toujours d’ouvrir une enquête. Parfois, c’est le réel qui vous y contraint, par insistance, par signes ténus que l’on ne peut plus écarter. Figures d’un Monde en Sursis est né ainsi : d’un faisceau d’indices, d’une inquiétude persistante, d’un monde qui laisse tomber ses masques par fragments.
Depuis des années, je photographie ce qui s’effrite.
Non pas les catastrophes spectaculaires, mais les brèches discrètes.
Des détails qui portent en eux la fatigue du monde : une trace, un renoncement, une disparition minuscule mais suffisamment entêtante pour révéler un basculement plus large.
Mis bout à bout, ces fragments composent un diagnostic :
celui d’un monde qui tient encore debout, mais dont les fondations se délitent lentement.
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Un monde en équilibre précaire
Notre époque avance comme si de rien n’était.
Pourtant, chacun le sent : quelque chose se dérègle.
Ce décalage entre le fonctionnement apparent et la fragilité réelle, c’est ce que la photographie permet d’exposer — à condition de ralentir le regard.
C’est cela, un monde en sursis :
un monde maintenu par habitude, plus que par force.
Claude Molzino : quand la pensée s’empare des images
La rencontre avec Claude Molzino, philosophe, a été déterminante.
Elle n’a pas vu dans ces images une simple série photo, mais un matériau de pensée.
Elle les a lues comme on lit des phénomènes : dans leur surgissement, leurs manques, leurs intensités.
Agrandissement : Illustration 2
De ce dialogue exigeant, elle a tiré un livre entier, Figures d'un Monde en Sursis, un texte qui explore en profondeur ce que ces images révèlent d’un monde à la dérive.
Ce n’est pas un commentaire : c’est une expansion, une mise en tension philosophique.
Son ouvrage accompagne l’exposition comme une deuxième voix — rigoureuse, inquiète, indocile.
Exposition — Aubenas, du 30 janvier au 13 mars 2025
Cette enquête visuelle sera présentée à La Ferme, à Aubenas, un lieu ouvert, traversant, propice à la confrontation avec ces signes faibles du réel.
Horaires :
Lundi–mardi : 12h–18h
Mercredi–vendredi : 12h–22h
Le temps long est ici une condition d’expérience.
Regarder vraiment demande de l’attention, presque une discipline civique.
Pourquoi écrire ici, maintenant ?
Parce que ce que montrent ces photos — et le livre de Molzino — dépasse la seule esthétique.
C’est une alerte.
Nous sommes nombreux à percevoir la fatigue du monde, mais peu à vouloir la regarder en face.
Documenter ces effritements, même modestes, c’est refuser la grande diversion qui permet toutes les dérives politiques, sociales et écologiques.
Photographier, dans ce contexte, n’est pas un geste artistique.
C’est un acte de vigilance.
Une manière de dire : le monde change sous nos yeux.
⌘ Matthias Koch (non, pas juste photographe)
Né en 1964, quelque part dans l’angle allemand du monde.
Traverse : Caracas, Santiago, Oaxaca.
Puis s’enracine — Ardèche.
Il ne photographie pas les choses. Il photographie leur écho.
Ce qui tremble encore, même après disparition.
Il œuvre dans les zones grises :
mémoire, exil, effacement, silence.