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Billet de blog 8 août 2025

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La brèche ou comment lire une photographie

Dans un monde saturé d’images, lire une photographie, c’est apprendre à voir autrement. Non pas comprendre, mais se laisser traverser. Une photographie n’est pas une fenêtre sur le réel : c’est une brèche. Une faille. Une présence fragile qui nous regarde autant que nous la regardons.

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Je regarde une photographie.

Pas nécessairement la mienne. Une image posée là, dans un livre, sur un mur, ou surgie d’un écran. Et je me demande : que vois-je vraiment ? Et qu’est-ce qui me regarde, à travers elle ?

Lire une photographie, ce n’est pas décrypter un code. Ce n’est pas non plus en extraire un sens comme on le ferait d’un texte. Une photographie ne s’explique pas : elle se traverse, elle s’éprouve. Elle résiste parfois. Elle se tait souvent.

Je crois que lire une photographie, c’est apprendre à se taire en soi.

Il faut d’abord se désarmer du savoir. Oublier les catégories, les écoles, les grilles de lecture. Il ne s’agit pas de nommer ce que l’on voit, mais de se laisser atteindre. Éprouver l’image comme on écouterait une musique sans paroles : par vibrations, par résonances. Où cela me touche-t-il ? Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ?

La photographie n’est pas une fenêtre, mais une brèche.

C’est peut-être là le plus difficile à comprendre — et à accepter. On voudrait que l’image nous montre, nous explique, nous oriente. Mais la photographie digne de ce nom n’éclaire rien : elle ouvre. Elle n’est pas un tableau à contempler, ni un document à interpréter, mais une faille dans le réel, un passage incertain par lequel quelque chose nous atteint — sans qu’on sache quoi exactement.

La fenêtre rassure : elle cadre le monde, elle le tient à distance.
La brèche inquiète : elle le fissure, elle en laisse échapper l’ombre.

Une photographie n’est jamais pleine. Elle est incomplète par essence. Ce qu’elle montre est toujours bordé d’un silence. Et c’est dans ce silence que réside sa puissance. Lire une photographie, c’est plonger dans cette ouverture — parfois minuscule, presque imperceptible — par laquelle le monde vacille.

Illustration 1

Je me souviens de certaines images comme de rêves. Floues, inconfortables, inoubliables. Elles ne m’ont rien appris. Elles m’ont transformé.

C’est cela, lire une photographie : accepter d’être changé par elle.

Pas par son sujet. Pas par ce qu’elle « montre ». Mais par ce qu’elle fait. Par le tremblement qu’elle provoque. Ce léger déplacement de l’âme. Ce vertige. Car une photographie n’est jamais tranquille. Elle vacille. Elle vacille en moi.

Souvent, ce que je lis dans une photographie, ce n’est pas ce qu’elle contient, mais ce qu’elle laisse fuir. Le hors-champ. L’ombre. L’absence. Ce qui a été là, peut-être. Ou pas. Une photographie, c’est toujours un reste. Un peu de lumière d’un jour révolu.

Lire une photographie, c’est apprendre à voir ce qui n’est plus là.

Ce qui revient, pourtant, sans cesse, comme un murmure. Un visage, un geste, un silence. C’est cela qui me bouleverse : quand l’image ne me donne rien, mais qu’elle tient, obstinée, dans sa densité muette. Comme si elle savait quelque chose que j’ignore.

Alors je me penche, je respire, je regarde à nouveau.

Et je comprends que lire une photographie, ce n’est pas comprendre.


Matthias Koch (non, pas juste photographe)

Né en 1964, quelque part dans l’angle allemand du monde.
Traverse : Caracas, Santiago, Oaxaca.
Puis s’enracine — Ardèche.

Il ne photographie pas les choses. Il photographie leur écho.
Ce qui tremble encore, même après disparition.

Il œuvre dans les zones grises :
mémoire, exil, effacement, silence.

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