Dans sa série Todtnauberg, Matthias Koch ne photographie pas la Forêt-Noire : il photographie ce qui y rôde. Le silence d’un monde que l’on croyait révolu, et qui pourtant revient. Car ce n’est pas le paysage que Koch interroge, mais ce qu’il dissimule. Le nom même de Todtnauberg — ce hameau allemand où Heidegger écrivit une partie de son œuvre — agit ici comme un seuil, une fracture temporelle. C’est là que le philosophe reçut Paul Celan en 1949, dans un étrange face-à-face entre le penseur compromis et le poète rescapé des camps. De cette rencontre, il ne reste qu’un poème énigmatique, et un silence lourd d’abîmes.
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Matthias Koch part de ce lieu pour remonter les strates d’une mémoire européenne non réconciliée. À travers des images volontairement austères, il évoque la persistance des régimes autoritaires, leur retour cyclique sous des formes nouvelles, parfois sournoises. Todtnauberg parle de cette tragique récurrence : l’éternel retour des horreurs que l’on croyait dépassées. Gaza, aujourd’hui, n’en est que le dernier exemple — effroyable, indéniable. On y bombarde des civils, on y piétine le droit, et l’Europe regarde ailleurs, comme tant de fois dans le passé. Koch, sans l’illustrer frontalement, le rappelle par l’écho visuel d’un monde en suspens.
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Les arbres, les routes forestières, les bâtisses de montagne ne sont jamais neutres : ils deviennent décor d’un théâtre mental où se rejoue l’histoire — ses oublis, ses dénis, ses répétitions. Rien n’est crié dans Todtnauberg, tout est murmuré. Koch travaille par allusions, creux, silences. Ses photographies semblent respirer l’air épais de l’après — après les discours, après les ruines, après les réconciliations avortées.
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Todtnauberg est une mise en garde, mais aussi une élégie. Le photographe ne cherche pas à convaincre, mais à éveiller. Son regard n’est ni documentaire ni nostalgique : il est traversé par la philosophie, la littérature, et par l’expérience d’un Allemand vivant en France, attentif aux signes ténus d’un basculement latent. L’Histoire, suggère-t-il, n’est pas linéaire mais cyclique — et l’oubli en est le carburant.
Agrandissement : Illustration 4
Dans un monde saturé d’images criardes et immédiates, les photographies de Matthias Koch demandent du temps. Elles s’adressent à une conscience éveillée, à celle ou celui qui sait que ce qui menace ne crie pas toujours, mais s’installe doucement, dans les replis du quotidien. À Todtnauberg, peut-être, tout recommence.
Pour aller plus loin
L’ensemble de la série Todtnauberg, accompagnée d’un texte de présentation, est à découvrir sur le site de l’auteur :
👉 www.matthiaskoch.co/projects/todtnauberg