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Depuis sa fondation en 1948, l'État d'Israël s’est construit à l’ombre immense de la Shoah. L’extermination de six millions de Juifs d’Europe par le régime nazi a constitué un traumatisme historique sans précédent, qui a profondément marqué la conscience juive mondiale. Mais cette mémoire, sacrée et nécessaire, a aussi été — et demeure — mobilisée dans le discours politique israélien pour justifier des choix géopolitiques lourds de conséquences : l’occupation des territoires palestiniens, l’expansion coloniale et le refus du droit au retour des réfugiés.
De la mémoire à la légitimation
Dès les premières années de l’État hébreu, la Shoah fut intégrée dans le récit national : Israël, disait-on, est le refuge ultime contre l’antisémitisme et la répétition du désastre. Ce récit a permis de forger une légitimité morale et historique à l’entreprise sioniste, malgré les expulsions massives de Palestiniens (la Nakba de 1948) et les violations du droit international qui ont suivi.
Le lien est donc clair : la Shoah est invoquée pour sacraliser l’existence d’un État juif sur une terre déjà habitée, justifiant une politique de dépossession au nom de la survie. Dans cette logique, toute critique de l’État d’Israël est soupçonnée d’antisémitisme, ce qui verrouille le débat et empêche toute mise en question des pratiques coloniales.
Une rhétorique d’État
Des dirigeants israéliens, de Ben Gourion à Netanyahou, ont usé de cette mémoire à des fins de politique étrangère. Ainsi, lors des offensives militaires à Gaza, les comparaisons implicites entre les Palestiniens et les ennemis du peuple juif réactivent l’imaginaire de l’éradication. Israël se présente toujours comme victime — même en position de force. Dans un monde occidental encore hanté par sa responsabilité dans l’extermination des Juifs, cela fonctionne : l’impunité persiste.
L’occultation de l’autre histoire
Mais cette instrumentalisation produit un oubli massif : celui de la Nakba, de l’occupation, des villages rasés, des enfants palestiniens tués, de l’apartheid territorial. La mémoire de la Shoah est érigée en totem intouchable, tandis que celle des Palestiniens est niée ou effacée. Pire : les victimes d’aujourd’hui sont parfois comparées aux bourreaux d’hier, dans une inversion cynique qui déshonore la mémoire des morts.
Pour une mémoire désenclavée
Reconnaître l’instrumentalisation de la Shoah par l’État d’Israël ne revient pas à nier la Shoah — bien au contraire. Il s’agit de refuser qu’un crime contre l’humanité serve de caution à d’autres injustices. Il s’agit de restaurer une mémoire plurielle, capable d’entendre la souffrance juive sans nier la souffrance palestinienne.
Car il n’y aura pas de paix possible sans justice. Et pas de justice sans un travail de mémoire honnête, débarrassé des récits sacralisés et des usages cyniques de l’histoire.