
Agrandissement : Illustration 1

C’est un paradoxe de notre temps : jamais les images n’ont autant circulé, jamais la photographie n’a été autant consommée, commentée, partagée — et pourtant, jamais les photographes n’ont été aussi précaires.
Le monde est saturé de photos, mais vidé de reconnaissance pour ceux qui les font.
Les nouveaux rentiers de l’image
Les photographes ont créé un écosystème immense, une économie parallèle où d’autres, nombreux, prospèrent.
Il y a les fabricants d’appareils, de logiciels, de filtres, d’objectifs, d’imprimantes. Il y a les écoles de photo, souvent privées, promettant des carrières improbables contre des frais d’inscription faramineux. Il y a les galeries qui prélèvent 50 % du prix d’un tirage, les plateformes qui « exposent » gratuitement les artistes en échange de leurs droits, les festivals qui demandent aux photographes de venir à leurs frais, les curateurs, les consultants, les influenceurs d’art, les experts, les « coachs créatifs ».
Tous vivent de la photographie. Tous, sauf ceux qui la font.
L’économie inversée de la création
Le photographe, lui, continue de travailler dans une étrange économie inversée : il paie pour exister. Il paie son matériel, ses déplacements, ses tirages, ses expositions. Il paie parfois pour être vu, pour être sélectionné, pour participer.
Et lorsque, miracle, il vend un tirage ou décroche une commande, la rémunération couvre à peine les coûts. Le travail créatif est souvent traité comme une passion à subventionner soi-même, comme si le simple plaisir de créer suffisait à nourrir une existence.
L’illusion du partage
On nous a vendu le rêve d’une « démocratisation » de la photographie. Tout le monde peut photographier, tout le monde peut publier, tout le monde peut être artiste. En réalité, cette illusion de liberté masque une dépossession : le photographe est devenu un fournisseur gratuit de contenu pour des plateformes qui s’enrichissent de sa visibilité.
Instagram, par exemple, n’existerait pas sans les images des photographes — et pourtant, c’est Meta qui engrange les profits, pendant que les créateurs rivalisent d’astuces pour capter quelques secondes d’attention.
La valeur d’une image
Ce déséquilibre ne vient pas d’un manque de talent ou d’offre. Il vient d’un effondrement de la valeur symbolique de l’image. L’image n’est plus rare : elle est partout. Sa production n’est plus perçue comme un savoir-faire, mais comme un réflexe.
Ce n’est pas la photographie qui a perdu son pouvoir, c’est notre regard qui s’est émoussé. Dans un flux ininterrompu d’images, il devient difficile de distinguer le geste artistique du contenu de distraction.
Pour une reconquête du sens
Face à cette situation, certains photographes résistent. Ils se recentrent sur le tirage, la lenteur, la matière. Ils privilégient la rencontre avec le public, l’échange, la transmission. Ils refusent d’être de simples fournisseurs de pixels et revendiquent leur rôle d’auteurs.
Peut-être que la survie de la photographie passera par une économie différente, plus locale, plus artisanale, plus ancrée dans le réel. Par un retour à la valeur du regard, du temps, de la pensée.
Mais pour l’instant, le paradoxe demeure :
Le monde vit de la photographie — sauf ceux qui la font vivre.
⌘ Matthias Koch (non, pas juste photographe)
Né en 1964, quelque part dans l’angle allemand du monde.
Traverse : Caracas, Santiago, Oaxaca.
Puis s’enracine — Ardèche.
Il ne photographie pas les choses. Il photographie leur écho.
Ce qui tremble encore, même après disparition.
Il œuvre dans les zones grises :
mémoire, exil, effacement, silence.