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Billet de blog 22 mai 2025

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Naviguer entre les images - Penser la pratique photographique comme un archipel

Et si chaque photographie était une île ? Non pas un minuscule continent autonome, mais un fragment de terre entouré de courants, attentif aux marées qui le relient à d’autres rivages. Imaginer nos images ainsi, c’est déplacer le centre de gravité du geste photographique : on ne possède plus un territoire figé, on navigue dans une constellation vivante.

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Illustration 1

La métaphore de l’archipel invite d’abord à regarder chaque photo pour ce qu’elle est : un relief singulier, un microclimat, une langue de roche où pousse une végétation unique. Son grain, sa lumière, ses accidents techniques composent une topographie qu’il serait vain de vouloir normaliser. Pourtant, toutes ces “îles” n’existent que parce qu’une mer les entoure — un espace d’eau mouvant fait d’accrochages successifs, de partages en ligne, de commentaires, de réemplois. Cet entre-deux liquide n’est pas un vide : c’est le milieu qui rend possible la rencontre, la dérive, la surprise créative.

Lorsque l’on pense ainsi, le photographe bascule de propriétaire à navigateur. Il trace des routes temporaires : une série, un livre, une exposition, un carrousel, chacun comme une traversée plutôt qu’une frontière. Le spectateur devient caboteur : il choisit son ordre, hisse sa voile intérieure d’une image à l’autre, construit son récit avec les échos qu’il entend et ceux qu’il invente. La narration cesse d’être linéaire ; elle devient rythmique, soumise à des allers-retours, à des retours de houle qui rapprochent soudain deux rivages lointains.

Cet horizon archipélique valorise les blancs. Les silences, les hors-champ, les temps morts laissent respirer la carte ; ils deviennent l’eau nécessaire pour que deux images ne se contaminent pas mais s’appellent. On comprend alors que la cohérence d’un projet ne vient pas d’une uniformité de style ou de sujet, mais du battement qu’il installe : un motif qui réapparaît comme un courant chaud, une texture qui se prolonge sous la surface, une absence qui fait signe vers d’autres terres invisibles.

Illustration 2

Il naît de tout cela une éthique de la relation. Créditez vos influences ; mentionnez l’archive familiale ou le photographe inconnu qui a inspiré votre cadrage. Discutez du degré de visibilité que souhaite la personne photographiée ; certaines criques restent secrètes. Acceptez enfin que l’œuvre vous échappe : qu’un visiteur la remixe, qu’un réseau social la transporte, que le vent numérique l’emporte vers des latitudes où votre nom s’efface. Vous n’y perdez pas votre autorité ; vous y gagnez la profondeur d’une marée.

Adopter l’archipel, c’est renoncer à posséder l’image pour embrasser la navigation. On aborde, on jette l’ancre, on repart. On sait que l’horizon se déplace, qu’aucune carte n’est définitive. Au lieu d’une collection de miroirs immobiles, surgit une constellation oscillante où chaque île-image garde son mystère tout en invitant d’autres rives à répondre. Et c’est peut-être là la promesse la plus fertile : photographier non pour clore le monde, mais pour laisser couler entre les cadres un courant d’histoires toujours recommencées.


Aller plus loin

  • Édouard Glissant – Poétique de la Relation
    Le texte fondateur pour comprendre l’archipel comme philosophie du monde et de l’art.

  • Joan Fontcuberta – La Furia de las Imágenes
    Une réflexion sur la circulation ininterrompue des images et la nécessité de penser leur dérive.

  • Exposition « Trembling Thinking » (Americas Society, 2018) – catalogue en ligne
    Quand photographes et plasticiens traduisent le « tremblement » glissantien en gestes visuels.

Matthias Koch est né en 1964 dans le sud de l’Allemagne. Très tôt, la vie l’a conduit loin de ses racines : il a vécu au Venezuela, au Chili, au Mexique. Ces années d’exil et de traversées ont forgé chez lui un regard attentif aux marges, aux dissonances, aux territoires instables. Longtemps, il a cherché un lieu où s’ancrer, un paysage avec lequel il puisse entrer en résonance. C’est en France, en Ardèche, qu’il a finalement trouvé ce territoire d’écho — rude, habité, traversé d’histoires enfouies — qui accompagne aujourd’hui son œuvre.

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