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Il est des douleurs si profondes qu’elles devraient à jamais servir de boussole morale. La Shoah en fait partie. L’extermination de six millions de Juifs par le régime nazi fut un crime sans équivalent, une entreprise industrielle de déshumanisation et de mise à mort. Elle a laissé dans l’histoire une blessure ouverte, un cri silencieux qui disait : « Plus jamais ça. »
Mais que vaut ce serment, quand il ne protège plus que les morts ? Que vaut cette mémoire, quand elle n’empêche pas les vivants de devenir à leur tour les instruments d’une violence sans frein ?
Le 7 octobre 2023 a été un jour d’horreur. Des civils israéliens ont été massacrés, des familles entières prises pour cibles, des femmes violées, des enfants tués. Un crime de guerre, indéfendable. Une tragédie insoutenable.
Mais une tragédie ne justifie pas une autre.
Depuis ce jour, Gaza est devenue le théâtre d’un massacre sans fin. Un territoire assiégé, affamé, détruit. Des civils écrasés sous les bombes, des enfants amputés à même le sol, des familles anéanties. Ce n’est pas une guerre : c’est un châtiment collectif. Et ceux qui l’infligent se réclament, dans une terrible ironie, de l’héritage de la Shoah.
Israël, État né des cendres d’Auschwitz, fondé pour que les Juifs ne soient plus jamais des victimes passives de l’histoire, se comporte aujourd’hui comme un pouvoir colonial et brutal, indifférent aux souffrances qu’il inflige. On nous dit : « Israël a le droit de se défendre. »
Oui. Mais défendre n’est pas exterminer. Défendre n’est pas raser des hôpitaux, affamer une population entière, bombarder des écoles, couper l’eau et empêcher l’aide humanitaire de parvenir. Ce n’est pas la défense d’un peuple : c’est la négation de l’humanité de l’autre.
Ce qui se passe à Gaza insulte la mémoire de la Shoah. Non pas parce que les deux tragédies seraient comparables — elles ne le sont pas. Mais parce que la leçon de la Shoah ne peut être à géométrie variable. On ne peut pas pleurer les enfants juifs de 1942 et détourner les yeux des enfants palestiniens de 2024. On ne peut pas se réclamer de l’histoire des victimes pour justifier des crimes d’aujourd’hui.
La Shoah n’a pas conféré un droit de tuer. Elle a imposé un devoir : ne jamais recommencer. Ni pour nous, ni pour d’autres. Ce devoir est universel, ou il n’est rien.
Alors oui, ce que fait Israël aujourd’hui à Gaza déshonore la mémoire des siens. Parce que les morts d’hier nous commandent d’agir pour les vivants. Et parce qu’il n’est pas d’honneur dans l’histoire qui survive à l’oubli des victimes.