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L’autoportrait de l’ombre est un paradoxe. Ce n’est pas le visage qu’on expose, mais une absence, une silhouette fugace projetée sur le sol. L’ombre est une esquisse mouvante, insaisissable. Le photographe se retire, laissant derrière lui une trace sans détail, sans visage, comme s’il cherchait à disparaître dans son propre portrait.
Photographier son ombre, c’est embrasser l’idée que l’on ne peut jamais vraiment se saisir. L’ombre échappe, se déforme, s’étire sous l’effet de la lumière, et devient le reflet d’un être toujours en mouvement, jamais fixe. C’est un autoportrait sans narcissisme, où l’essentiel n’est pas dans ce que l’on montre mais dans ce que l’on laisse deviner. Là où le visage pourrait chercher à s’imposer, l’ombre, elle, s’efface.
Cette photo n’est pas un cri, mais un murmure. C’est une manière de dire « je suis là », tout en acceptant que ce « je » reste flou, insaisissable. L’ombre renvoie à ce que l’on est vraiment : un être de passage, ancré dans le temps, mais toujours en train de s’évanouir dans l’instant qui suit. Elle épouse les contours du corps sans le dévoiler, se pliant aux caprices de la lumière comme à la réalité fuyante de notre existence. Il y a dans cette pratique une sagesse discrète. L’ombre rappelle que ce qui nous définit n’est pas toujours ce que l’on montre au monde, mais ce que l’on ne peut pas montrer, ce que l’on porte en soi. Comme un voyageur qui avance à l’orée de la lumière, le photographe se laisse guider par l’idée que l’essentiel ne peut qu’être entrevu, jamais capturé. L’autoportrait de l’ombre n’est pas un exercice de vanité, mais un hommage à cette part de nous-même qui reste toujours en retrait, silencieuse, et que seule la lumière sait révéler à demi.
Matthias Koch est né en 1964 dans le sud de l’Allemagne. Très tôt, la vie l’a conduit loin de ses racines : il a vécu au Venezuela, au Chili, au Mexique. Ces années d’exil et de traversées ont forgé chez lui un regard attentif aux marges, aux dissonances, aux territoires instables. Longtemps, il a cherché un lieu où s’ancrer, un paysage avec lequel il puisse entrer en résonance. C’est en France, en Ardèche, qu’il a finalement trouvé ce territoire d’écho — rude, habité, traversé d’histoires enfouies — qui accompagne aujourd’hui son œuvre.