Quand Benyamin Netanyahou promet une “victoire totale” à Gaza, il ne propose pas une stratégie militaire, mais une logique de guerre totale. Le langage qu’il emploie — comme celui du Endsieg nazi — révèle bien plus qu’un objectif : une idéologie de l’anéantissement. Ce parallèle dérange, mais il est nécessaire. Car ce n’est pas seulement Gaza qui est en jeu, c’est notre capacité à dire non à l’histoire qui bégaie.
Comparer la notion de « victoire totale » prônée aujourd’hui par Benyamin Netanyahou à celle du Endsieg nazi ne relève pas du scandale facile ni de la provocation. C’est une mise en lumière de ce que des régimes acculés peuvent produire lorsqu’ils substituent à la politique une logique d’extermination — lorsque la guerre n’est plus un moyen, mais une fin en soi.

Agrandissement : Illustration 1

Une guerre existentielle posée comme absolue
Le Endsieg, littéralement « victoire finale », fut le mot d’ordre des nazis dans les dernières années de la Seconde Guerre mondiale. Il ne s’agissait plus alors de négocier, ni même de gagner au sens stratégique du terme, mais d’anéantir totalement l’ennemi : les Alliés, bien sûr, mais surtout les Juifs, les Slaves, les communistes — tous présentés comme des entités menaçant l’existence même de l’Allemagne.
De la même manière, lorsqu’Israël, sous la direction de Netanyahou, parle aujourd’hui de “victoire totale” à Gaza, il ne s’agit pas simplement de neutraliser le Hamas, ni de libérer les otages. Il s’agit d’écraser une entité entière, un territoire, une population. Une guerre de pureté, contre un mal désigné comme absolu, qui ne peut être que détruit. Non négocié. Non contenu. Non humanisé.
L’imaginaire de l’éradication
Les deux récits partagent une même grammaire : celle de la déshumanisation. Le Hamas est qualifié de “cancer”, Gaza de “repaire du mal”, les civils comme “boucliers humains” ou “dommages collatéraux” inévitables. La guerre n’a plus de borne, elle devient une croisade contre une présence perçue comme radicalement incompatible avec la “sécurité”.
C’est la même logique que celle qui faisait des Juifs des “parasites”, des “vermines” à extirper. Une fois que l’ennemi est déshumanisé, tout devient permis. Les bombardements, les sièges, la famine, les coupures d’eau, les destructions d’hôpitaux ou d’écoles ne sont plus des crimes, mais des “nécessités”. Et le monde regarde, pétrifié ou complice.
La fuite en avant dans la démesure
Ces logiques apparaissent dans des contextes de crise. Le Endsieg surgit quand l’Allemagne nazie sent sa défaite inéluctable, et choisit alors la radicalité plutôt que la raison. Netanyahou, lui, agit dans un climat d’effondrement politique, de délégitimation interne, d’isolement international croissant. Il instrumentalise le choc — réel et immense — du 7 octobre pour prolonger un pouvoir moribond, et enferme Israël dans une logique de guerre perpétuelle.
Ce n’est plus le Hamas qui est visé : c’est la population entière. Et l’objectif n’est pas la sécurité d’Israël, mais la survie d’un régime sans horizon politique, prêt à tout pour ne pas céder. La “victoire totale” devient une fuite en avant, une promesse impossible qui justifie l’injustifiable.

Agrandissement : Illustration 2

L’inversion mémorielle
Ce qui rend cette situation tragique, c’est que ce discours émane d’un État fondé en partie sur la mémoire de la Shoah. Un État né du refus que le crime absolu se reproduise. Mais que reste-t-il de cette mémoire, quand elle sert à couvrir des crimes de masse ? Quand l’exigence du “plus jamais ça” se retourne en un “à nous maintenant” ? Quand l’héritier de l’histoire devient, à son tour, le porteur d’une logique de déshumanisation ?
La mémoire ne donne aucun droit de tuer. Elle oblige à ne pas recommencer. Et pourtant, c’est bien ce que nous voyons : une inversion morale, où le souvenir de la souffrance devient le carburant d’une violence sans limites. La “victoire totale” comme fantasme, c’est la négation même de ce que l’histoire a enseigné au monde après 1945.
Ne pas détourner les yeux
Ce n’est pas une question de sémantique. Ce n’est pas une provocation. C’est un devoir de lucidité. Quand un dirigeant — quel qu’il soit — mobilise un langage de guerre absolue, quand il trace une ligne entre les “humains” et les “ennemis à exterminer”, nous devons entendre l’alarme. Nous avons déjà entendu ces mots. Nous avons déjà vu où ils mènent.
Ce qui se joue à Gaza, ce n’est pas seulement une guerre tragique et injuste. C’est aussi notre capacité à reconnaître les signes d’une logique totalitaire, fût-elle habillée du langage de la démocratie ou de la mémoire. Le Endsieg n’est pas seulement un mot du passé. Il peut renaître, sous d’autres noms. Sous d’autres bombes.
⌘ Matthias Koch (non, pas juste photographe)
Né en 1964, quelque part dans l’angle allemand du monde.
Traverse : Caracas, Santiago, Oaxaca.
Puis s’enracine — Ardèche.
Il ne photographie pas les choses. Il photographie leur écho.
Ce qui tremble encore, même après disparition.
Il œuvre dans les zones grises :
mémoire, exil, effacement, silence.
Dans sa série Todtnauberg, Matthias Koch interroge le retour cyclique des régimes autoritaires, ces formes de pouvoir qui ressurgissent sous des habits neufs, mais obéissent toujours aux mêmes logiques de domination, de peur et de contrôle. En s’appuyant sur la mémoire des lieux et l’apparente tranquillité du paysage, il révèle les failles d’un présent traversé par les ombres du passé. Rien n’est figé : l’histoire, parfois, recommence.