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Billet de blog 7 juin 2023

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La démocratie ne signifie pas le légalisme. Et le peuple n’est pas une foule

En partant du principe que la loi portant sur la réforme des retraites a suivi un cheminement légal, prévu par la constitution, auquel ont été conviés les parlementaires, du moins par leur abstentionnisme au moment du vote de la motion de censure, il en ressort selon lui que la procédure est démocratique. Or, le respect scrupuleux du droit, ce que l’on nomme légalisme donc, n’est pas nécessairement synonyme de démocratie.

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Ce billet d’analyse est également un exutoire destiné à retourner à notre monarque olympien toute la violence symbolique dont il lui plaît de nous accabler à chacune de ses cuistreries. Car « ceux de qui la conduite offre le plus à rire. Sont toujours sur autrui les premiers à médire » (Tartuffe)

« Le peuple, y lisait-on, a par sa faute
Perdu la confiance du gouvernement
Et ce n'est qu'en redoublant d'efforts
Qu'il peut la regagner.
Ne serait-il pas
Plus simple alors pour le gouvernement
De dissoudre le peuple
Et d'en élire un autre ? »

                                 Berthold Brecht, La Solution

« L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple, et la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus »

                                                           Emmanuel Macron, Président de la République française, Grand maître de la Légion d’honneur, Grand maître de l’Ordre national du mérite, co-prince d’Andorre, premier et unique chanoine honoraire de l’archibasilique du Latran, protecteur de l’Institut français, de l’Académie française, et du domaine de Chambord, 21 mars 2023.

Cette phrase du président de la République, bien qu’une référence à Victor Hugo dans l’Année terrible, celle de la Commune de Paris, pose non seulement la question de savoir si Emmanuel Macron sait ce qui s’est joué en 1871, bien que « la question elle est vite répondue », mais surtout trahit un esprit de classe et pose un sérieux problème du point de vue démocratique.

En partant du principe que la loi portant sur la réforme des retraites a suivi un cheminement légal, prévu par la constitution, auquel ont été conviés les parlementaires, du moins par leur abstentionnisme au moment du vote de la motion de censure, il en ressort selon lui que la procédure est démocratique. Or, le respect scrupuleux du droit, ce que l’on nomme légalisme donc, et au risque de donner un peu trop dans la pensée complexe, n’est pas nécessairement synonyme de démocratie.

Certes, dans une vision idéalisée de la démocratie représentative où l’Assemblée nationale est la transfiguration de la nation (le langage religieux est ici de mise il s’agit bien d’une fiction relevant de la croyance/représentation que nous nous donnons à nous-même), alors oui, la loi est « l’expression de la volonté générale » comme l’énonce l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1789. Mais selon ce même article, rappelons que la DDHC de 1789 a valeur constitutionnelle, « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation » (l’ordre est important). En d’autres termes, le peuple souverain ne cesse pas d’exister après s’être donné des représentants, au grand dam de E. Macron qui lui dénie toute capacité politique. Comme le résume très lyriquement John Oswald dans son Plan de constitution pour la République universelle, un observateur autrement plus assidu que notre président des principes républicains, car bien qu’il n’ait pas appelé son livre Révolution, il prit néanmoins part à la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 :

« Mais une nation, disent les politiques, ne peut délibérer que par l’organe de ses représentants ; or, si la nation peut délibérer par procuration, elle peut aussi s’assembler et décider par procuration de sorte que la souveraineté du peuple se réduit, en dernière analyse, à vox et praeterea nihil (la voix et rien de plus), au droit de voter pour se donner des maitres ; alors le gouvernement ressemble fort à cet état fantôme de choses dans lequel les poètes nous peignent le séjour des trépassés aux Champs-Elysées, où des ombres sans substances font illusions aux regards[1] ».

Ainsi donc, la légitimité, du point de vue d’une démocratie libérale, et contrairement à ce qui nous est affirmé par le Président, est tout autant dans la rue, que dans la procédure légale. Nous pourrions même arguer qu’elle l’est davantage, et ce malgré la légalité de la procédure, car les élus à travers qui le peuple souverain est supposé s’exprimer n’ont pas voté le texte, en conséquence de quoi il n’y a pas eu expression de volonté. Il y a ici un conflit entre d’une part la légalité, et la légitimité démocratique. Le légalisme, c’est-à-dire se borner au strict respect des textes de lois, en passant outre le fait que nous avons dans notre ordonnancement juridique des lois datant des empires, des monarchies, ou du régime de Vichy, n’est donc pas gage de démocratie.

Alors certes Macron n’est pas Orban, et Orban n’est certes pas Pinochet ; cela ne nous conduit pas pour autant à nous féliciter que le régime d’Orban soit plus « démocratique » que le Chili de ces années-là… Ainsi être médiocre, tout Mozart de la finance et 3e prix de piano du conservatoire d’Amiens que l’on soit, ne signifie pas être la flamme du Progrès juste parce que certains en ont éteint la chandelle.

En réalité, la démocratie est davantage un principe de gouvernement, qui implique que le citoyen ne soit plus simplement sujet de droit mais acteur, qu’une forme stricte de régime politique qui correspondrait à une sorte de check-list institutionnelle (un idéal-type pour citer Max Weber) ou qui se définirait simplement par la négative, comme un étendard brandi contre les régimes plus autoritaires (« Essayez la dictature et vous verrez ! » E. Macron). Et en tant que principe de gouvernement, la légitimité de la production normative est toujours soumise à un ressenti de la population en vertu de ce principe, indépendamment de la légalité de sa production, et quelles que puissent être les accusations de sédition… « Le prix de la liberté est une vigilance éternelle » résumait sobrement un certain Benjamin Franklin.

Ainsi les institutions sont là pour concrétiser la réalisation d’un principe de gouvernement, et non pour concourir à la préservation de l’Ordre établi, tout républicain soit-il. Or, c’est justement ce dernier que vise l’argument légaliste, ici utilisé pour dissimuler le fait du Prince que Machiavel eut espéré plus habile.

Cette fin de non-recevoir se cristallise tout particulièrement à travers l’usage du mot « foule », généralement affublée du qualitatif d’« émeutière ». On entre là dans la représentation bourgeoise de ce à quoi ressembleraient les masses si elles n’étaient pas guidées par une élite, au hasard des représentants élus (« élection » et « élu » font aussi partie du champ lexical de la religion). Ces élus, ou cette élite dirigeante que La Boétie qualifiait de « mange-peuples », suffisamment rationnels, objectifs et détachés, auraient alors seuls le discernement nécessaire, la virtù dirait Machiavel, pour déterminer le bien commun, et préserveraient alors les masses de leurs bas instincts, qui, sans cette noble gouvernance, se laisseraient aller à leurs passions les plus viles. C’est pour cela que le peuple souverain, sitôt les élections actées, doit se dissoudre de lui-même plutôt que de céder à la tentation de se reconstituer dans la multitude désolante de la foule sentimentale qui sévit au vent mauvais, et l’emporte de ça, de là, pareille à la feuille morte.

« Le bourgeois [disait Paul Nizan] feint de traiter le peuple comme l’ensemble de ses enfants ; il le reprend, l’avertit, le secourt, car il est assez clair que ce peuple ne saurait prendre lui-même en main ses destinées. Quand il punit le peuple il le punit comme son propre enfant, pour son bien. Il dit : qui aime bien châtie bien. Les morts de la Commune [on y revient] furent tués pour le progrès du peuple[2] ».

Alors certes, E. Borne, à travers la violence institutionnelle dont elle a fait preuve afin de nous imposer sa réforme présentée comme un progrès social, n’a pas pour autant commis le centième du quart de ce que A. Thiers a fait endurer aux parisiens. Ni A. Hidalgo, sauf à écouter Cnews. Toutefois cette perception du peuple, des masses, de la plèbe, ou de la foule, ces termes étant le plus souvent interchangeables, reste identique dans le temps et a fait l’objet d’une tentative d’objectivation, c’est-à-dire d’un tour de force réactionnaire destiné à valider des préjugés de classe sous couvert d’arguments pseudo-scientifiques, par un certain Gustave Le Bon au XIXe, dans un ouvrage qui a connu une certaine notoriété, de Mussolini au manuel de formation de notre police nationale : La psychologie des foules. Il les décrit comme foncièrement irrationnelles, sujettes aux passions (tristes), incapables d’esprit critique (d’où la nécessaire pédagogie de la réforme), suggestibles aux individus charismatiques, bref l’exact opposé des élites (arguments identiques à ceux avancés pour exclure les femmes du droit de vote où les femmes s’incarneraient dans la foule et les élites dans le genre masculin), et bien sûr à la contagion des idées révolutionnaires. On y est.

Pour Le Bon, par ailleurs hostile au suffrage universel, car s’il paraît être l’expression d’un choix individuel, entrainé par la foule qui s’élance et qui danse dans une folle farandole, l’individu enivré et heureux se laisse aller à un comportement social plutôt que collectif dont il est incapable, la société est avant tout (d’) Ordre. La foule, l’irruption des masses et de leurs revendications, est alors perçue comme la tumeur maligne d’un corps naturellement sain. On observe ici dans une conception organiciste de la société au sein de laquelle chacun est à sa juste place qu’il s’agit avant tout de ne pas interroger.

C’est cette perception de la société comme naturellement ordonnée, et de la foule comme d’une excroissance malsaine, qui justifie alors une juste répression, et non simplement le maintien de l’ordre, pour lequel nous avons ô combien constaté que l’argument légaliste est à géométrie variable.

Cependant, si « L’État est cette communauté humaine, qui à l’intérieur d’un territoire déterminé (...) revendique pour elle-même [Nous soulignons] et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime[3] », dixit Max Weber, ce concept de « monopole de la violence physique légitime » ne demeure qu’un constat, l’énoncé d’un chercheur afin d’expliciter un état de fait, et non une vérité intangible à valeur performative. Mauvaise nouvelle pour G. Darmanin qui pensait avoir soudainement trouvé un argument d’autorité dans la sociologie pourtant largement acquise à l’islamo-gauchiste et empreinte de culture de l’excuse (des policiers…), mais bonne nouvelle pour nous car il est à rappeler que Weber vécut sous le règne de Kaiser Guillaume II. Du reste, dans un Etat qui se veut « démocratique », ce monopole de la police, autre nom de la violence physique légitime, ne demeure valide qu’à l’instant où la population se reconnait, par un moyen ou un autre, à l’origine de la loi et accepte en conséquence de s’y conformer. Si tel n’est pas le cas, que les citoyens ne s’estiment plus législateurs, alors cette revendication est susceptible d’être contestée.

C’est là que le bât blesse. Les manifestations et protestations faisant suite au 43.9 gouvernemental étaient tout autant dirigées contre un texte que contre une méthode perçue comme relevant d’un déni de démocratie. Ces actions ne sont pas l’œuvre d’une foule émeutière sans discernement guidée par quelques individus qui la manipuleraient (« ce sont toujours les mêmes qui manifestent » E. Macron, encore) et face à laquelle il faudrait avancer le rempart de la légalité des gens de bien. Non, elles sont l’expression d’une colère générale qui se focalise sur des faits biens précis. Ces gens savent pourquoi ils manifestent. Parce qu’ils n’ont pas renoncé à faire valoir leurs droits et contestent à quelques-uns la capacité de définir ce qui relève de l’intérêt général. Ce qui est plutôt sain en « démocratie », reconnaissons-le.

Et comme il semblerait que pour le gouvernement l’argument d’autorité fait loi, je me propose de conclure par une phrase de Bernanos. Attendu qu’ils ont eu l’un comme l’autre des accointances avec l’Action française, je pense que le ministre détenteur du monopole de Max Weber ne démentira le recours à cet auteur ; Bernanos donc :

« Il faut beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre »

Et puisque pour notre président, la culture, c’est comme la confiture à ce qu’il semble, du Hugo il y en a un peu plus, je vous le mets quand même, c’est cadeau :

« O faquins, gorgez-vous. N’ayez d’autre souci,
Dans ces royaux logis dont vous faites vos antres,
Que d’aplatir vos cœurs et d’arrondir vos ventres ;
Emplissez-vous d’orgueil, de vanité, d’argent,
Bien. Allez. Nous aurons un mépris indulgent,

[…]

Soit. Mais n’attentez pas au droit du peuple entier.
Le droit au fond des cœurs, libre, indomptable, altier
Vit, guette tous vos pas, vous juge, vous défie,
Et vous attend. J’affirme et je vous certifie
Que vous seriez hardis d’y toucher seulement
Rien que pour essayer et pour voir un moment ! »

                        Victor Hugo, L’Année terrible, « Aux rêveurs de monarchie ».

[1] Oswald John, Le Gouvernement du peuple ou Plan de constitution pour la République universelle, Paris, L’imprimerie des révolutions de Paris, 1795.

[2] Paul Nizan, « Les chiens de garde », Maspéro, Paris, 1965, p.56-57.

[3] Weber Max, Le Savant et le Politique, Paris, Plon, 1959.

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