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Billet de blog 14 mars 2022

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Pourquoi le discours d'Eric Zemmour fonctionne

C’est dans le recours quasi-systématique à l’histoire que réside la force de frappe cognitive du discours d’Eric Zemmour. Loin d’être une simple obsession personnelle, il explique le dynamisme de ses militants par la mise en récit de la lutte politique à travers un schéma narratif d’ordre religieux que les "Mythes et mythologies politiques" de l’historien Raoul Girardet nous permettent d’éclairer.

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            La caractéristique essentielle du discours d’Eric Zemmour et qui le distingue de ses concurrents à l’élection présidentielle, outre l’outrance, est sans aucun doute son recours systématique à l’histoire. Ou plutôt à la mise en récit de la situation actuelle par une utilisation (fallacieuse) de l’histoire. Cette mise en récit s’opère par la mobilisation des mythes politiques, identifiés par l’historien Raoul Girardet, à savoir le complot le sauveur, l’âge d’or, et l’unité, et qui font appel à un imaginaire politique préexistant que nous avons préalablement intériorisé. Ils agissent alors comme des schémas d’interprétation et de représentation du monde, sont porteurs de sens, et en cela constituent une herméneutique car il s’agit bien, avant tout, de croyances : « Le mythe est bien fabulation, déformation ou interprétation objectivement récusable du réel[1] ».

Il est important de noter que ces mythes ne sont pas l’apanage d’un camp politique, nous en sommes tous porteurs, mais ils résonnent différemment dans notre imaginaire en fonction de notre sensibilité partisane. Ainsi, le complot judéo-maçonnique est caractéristique de l’imaginaire d’extrême-droite, tandis que l’unité telle que la conçoivent les jacobins ne renvoie en rien à l’unité fantasmée par les contre-révolutionnaires.

Raoul Girardet précise bien que ces mythes resurgissent comme grille de lecture interprétative du réel lors de période de traumatismes sociaux. Ils s’enchevêtrent et s’interpénètrent, et opèrent comme des systèmes cohérents d’explication d’autant plus facilement que leur structure nous est familière. En quelques sortes, en prenant racines dans le passé, ils éclairent une situation présente inintelligible en la mettant en récit, et ainsi « justifient certaines péripéties du destin de l’homme ou certaines formes d’organisation sociales[2] ».

Aussi, c’est ce qui, selon nous, explique la situation de backlash que nous vivons actuellement avec la candidature d’E. Zemmour. Les traumas sociaux et culturels qu’ont constitué ces dernières années les manifestations de thématiques progressistes pour la frange la plus conservatrice de la société (Intersectionnalité, Black lives matters, Me too, mariage pour tous…) ont ouvert la voie au seul candidat capable de rendre compréhensible, par la mise en récit, les évènements actuels pour cette population.

Le terme de backlash, qui signifie contrecoup, illustre d’ailleurs bien, comme nous allons le voir, que le mythe n’a pas qu’une fonction d’explication ou de justification, mais par l’effet de révélation qu’il produit, il « se double d’un rôle de mobilisation : par tout ce qu’il véhicule de dynamisme prophétique[3] ».

L’âge d’Or

« Images d’un passé légendifié, visions d’un présent et d’un futur définies en fonction de ce qui fut ou de ce qui est censé avoir été […] Il se trouve pourtant que le pas ne peut manquer d’être vite franchi entre la légendification de certains temps privilégiés de la mémoire et leur fixation dans le sacré. Opposé à l’image d’un présent senti et décrit comme un moment de tristesse et de déchéance, se dresse l’absolu d’un passé de plénitude et de lumière. Aboutissement quasi inévitable ; cristallisant autour d’elle tous les élans, toutes les puissances du rêve, la représentation du “temps d’avant” est devenue un mythe. Et mythe au sens le plus complet du terme : à la fois fiction, système d’explication et message mobilisateur.[4] »

Ce « passé légendifié » est l’envers du déclinisme. Il renvoie systématiquement à « l’image d’un temps lisse et continu[5] » où sont censé avoir régné l’ordre et l’harmonie sociale. Cette époque peut être le Moyen-âge pour les romantiques, la société d’ordres d’Ancien régime pour les réactionnaires, ou bien encore l’Antiquité romaine pour les révolutionnaires. Ce temps de l’innocence est, pour Eric Zemmour, celui du « pays de votre enfance […] ce pays que vous chérissez et qui est en train de disparaitre[6] », celui d’avant mais 68.

Cet imaginaire « d’un groupe social homogène fortement rassemblé sur lui-même, dominé par des valeurs de convivialité, d’entraide et de solidarité[7] » est alors battu en brèche par l’irruption d’éléments allogènes et/ou de nouvelles valeurs. En l’occurrence les deux.

Les éléments allogènes proviennent alors de l’immigration « arabo-musulmane » dont les représentants seraient responsables de la hausse de la délinquance et de la criminalité[8], rompant avec le calme et l’ordre prétendu des temps jadis.

Quant aux nouvelles valeurs, il s’agit de celles charriées par Mai 68[9] et qui auraient engendré la destruction de la famille patriarcale, conséquence de l’individualisme et de l’émancipation féminine dévirilisatrice[10], vecteur d’indifférenciation de genre[11], et favorisées par l’essor de la société de consommation[12]. Ainsi, « Les anciens équilibres se trouvent puissamment mis en cause [13]» par une « révolution nihiliste parfaite[14] » qui vient subvertir les fondements de ce qui faisait le ciment de « la culture traditionnelle[15] » intemporelle et garante de stabilité, d’ordre et de vertu.

Néanmoins cette corruption de ces temps d’Eden ne peut être apparue ex nihilo, la responsabilité doit en être imputée à un ou plusieurs groupes. C’est ici que le mythe de l’âge d’or vient s’enchevêtrer avec celui du complot : « Une dernière stratégie reste pourtant à être mise en œuvre, aux multiples combinaisons et que les hommes du Complot ont toutes apprises à manier : celle de la corruption, de l’avilissement des mœurs, de la désagrégation systématique des traditions sociales et des valeurs morales[16]. »

Le complot

« Le mal que l’on subit, et plus encore peut-être celui que l’on redoute, se trouve désormais très concrètement incarné. Il a pris une forme, un visage, un nom. Expulsé du mystère, exposé en pleine lumière et au regard de tous, il peut enfin être dénoncé, affronté et défié[17] ».

Ce mal qui menace la France, E. Zemmour va chercher à l’identifier à travers l’histoire, car le mal, s’il change de visage, reste toujours le même.

Il peut venir de l’extérieur comme c’est le cas, bien-sûr, avec les musulmans et l’Islam car l’affrontement « entre la chrétienté et l’Islam, c’est une histoire millénaire[18] », voire de toute éternité puisque « c’est dans la chronique relatant la victoire de Charles Martel à Poitiers en 732 contre les Arabes que le mot Europe fut inscrit pour la première fois dans un texte[19] ». C’est ainsi en s’opposant aux musulmans que la Chrétienté, et la France qui devient alors son porte étendard, affirme son identité. Les croisades devenant alors une guerre de défense dans un affrontement éternel entre Orient et Occident, que l’on peut faire remonter à l’Antiquité[20], mais aussi une grande « victoire française. Le salut de l’Europe chrétienne est venu de France[21] » car « la civilisation islamique […] compte même parmi nos plus anciens et farouches ennemis[22] ».

Mais le mal peut aussi venir de l’intérieur par les élites et leur aveulissement et leur manque de foi. Ainsi les rois d’hier dont « L’affaiblissement de l’esprit de croisade ne fut pas une marque de progrès moral mais une preuve de décadence[23] », comme les protestants qui en se convertissant rompaient l’unité et l’homogénéité culturelle de la nation en formant un « état dans l’état », jusqu’aux élites politiques d’hier et d’aujourd’hui[24], de droite comme de gauche qui proclament leur attachement à des valeurs supra, voire internationalistes[25], progressistes[26], poursuivant leurs propres intérêts, et s’opposant donc à la nation éternelle et au peuple réel.

Mais plus que tout, ce sont des gens de gauche que provient depuis deux siècles la souillure identitaire et morale par les valeurs qu’ils véhiculent : « la démocratie, le libéralisme, les droits de l’homme, le socialisme, comme s’ils avaient pressenti que ces religions nouvelles allaient remplacer dans le cœur des Européens la vieille foi chrétienne. On ne détruit que ce qu’on remplace ». C’est ce qui fait que chaque jour « notre pays se livre à la détestation acharnée de son histoire[27] » jusqu’à même trouver un peuple de remplacement en la figure de l’immigré[28].

Le Mal est ainsi nommé, l’Anti-France, l’union de tout temps des élites concourant à la destruction de la nation, et dont la haine de la France les amène à s’allier à l’ennemi extérieur. « Les alliances sont nouées.  […]L’individualisme, né il y a quatre siècles, aux confins de la Renaissance italienne et du protestantisme germanique, arrive au bout de sa course échevelée : il a transformé nos vieilles nations en société d’individus craintifs et capricieux […] De l’autre côté, la civilisation islamique a pris pied sur le sol européen, avec des diasporas de plus en plus fournies, qui imposent leurs mœurs, leurs lois, leurs imaginaires, leurs patronymes, dans une logique colonisatrice […] En attendant, ils sont alliés contre le même ennemi : le peuple français, ses mœurs, son histoire, son État, sa civilité, sa civilisation[29] ».

Dans cette fresque dressée, les protagonistes se trouvent essentialisés, réduits à des attributs inaltérables. Le peuple français, dépositaire de l’antiquité gréco-romaine et à jamais chrétien, les élites que le manque de pureté pousse à la corruption, et les musulmans, agresseurs éternels, cherchant depuis toujours à abattre la civilisation chrétienne, et donc la France, tantôt par le fracas des armes, tantôt de manière plus vile et pernicieuse par le biais de la démographie comme ce fut le cas en Afrique du nord[30] et comme c’est actuellement le cas avec le « grand remplacement » en cours[31]. Substitution démographique d’autant plus facile que les valeurs progressistes ont dévirilisé l’homme occidental alors que « Le mâle indigène incarne la virilité [et donc reproductibilité] triomphante et redoutée[32] ».

Raoul Girardet notait d’ailleurs que : « définie et développée à partir d’un obscur sentiment de menace, témoignage d’incertitude ou de panique, la mythologie de la conspiration tend en même temps à apparaitre comme la projection négative d’aspiration tacite, l’expression inversée de souhaits plus ou moins conscients, mais toujours inassouvis. L’ordre que l’Autre est accusé de vouloir instaurer ne peut-il être considéré comme l’équivalent antithétique de celui que l’on désire soit même mettre en place ? Le pouvoir que l’on prête à l’ennemi n’est-il pas de même nature que celui que l’on rêve de posséder ? Cette capacité toujours plus étendue de contrôle social, cette maitrise des évènements et des esprits qu’il est censé exercer ne correspondent-elles pas à cette forme de puissance revendiquée pour le service de sa propre cause ? Ce rôle qu’on lui attribue d’acteur déterminant de l’histoire qui se fait et de celle qui se prépare n’est-il pas celui-là même dont on se sent tragiquement frustré[33] ? »

Cette essence manichéenne des choses caractéristiques du discours religieux, et rendue crédible par une apparence de profondeur historique, bien que décontextualisée, permet alors de dresser des lois de l’histoire. Une en particulier : « Le conquérant d’hier est le conquis d’aujourd’hui et sera le conquérant de demain dans l’incessant flux et reflux de deux civilisations irréductiblement antagonistes[34] », tirée de l’expérience[35] « toute notre histoire récente – immigration, délinquance, terrorisme – s’éclaire à cette lumière historique[36] » que notre ennemi, lui, n’a pas oublié[37].

« Paradoxalement, le mythe du Complot tend à remplir une fonction sociale non négligeable, qui est de l’ordre de l’explication. Explication d’autant plus convaincante qu’elle se veut totale et d’une exemplaire clarté : tous les faits, quel que soit l’ordre dont ils relèvent, se trouvent ramenés par une logique apparemment inflexible, à une même et unique causalité, à la fois élémentaire et toute puissante[38]».

Le mythe prend alors sa tournure justificatrice, dès lors que les conséquences nous sont connues, il nous faut alors « nous battre sur tous les fronts. Pour sauvegarder notre identité et rétablir notre souveraineté. Tous ces combats sont liés[39] ». Et puisque « Nous vivons un moment que nous revivons régulièrement dans notre histoire, où le peuple ne se reconnaît plus dans ses élites, ne se reconnaît plus dans les partis politiques, ne se reconnaît plus dans ce qu’on appelle aujourd’hui “ le système ”[40] » il nous faut alors un Sauveur rédempteur, pourquoi pas quelqu’un qui a su, avant les autres, prophétiser ce moment charnière.

Le sauveur

« L’image légendaire est, de toute façon, celle d’un vieil homme qui s’est illustré en d’autres temps […] Il a exercé avec honneur de hautes charges, de grands commandements, puis a choisi une retraite modeste loin des tumultes de la vie publique. Interrompant une vieillesse paisible et respectée, l’angoisse de tout un peuple confronté brusquement au malheur l’appelle ou le rappelle à la tête de l’Etat. Ayant « fait don de sa personne » à la patrie, provisoirement investi d’un pouvoir suprême d’essence monarchique, sa tâche est d’apaiser, de protéger, de restaurer[41] ».

Ce modèle de sauveur décrit par Raoul Girardet est celui de Cincinnatus, mais aussi de Pétain, et plus encore de De Gaulle. C’est dans cette narration que E. Zemmour lui aussi cherche à s’inscrire, de la mise en scène de son annonce de candidature à a présidentielle calquée sur l’appel du 18 juin, jusqu’à la façon de se raconter dans l’introduction de La France n’a pas dit son dernier mot….

Présentant d’abord ses faits d’armes en tant qu’éditorialiste ayant réussi au fil des années à mettre « au jour la mécanique de l’idéologie progressiste qui avait conduit notre pays à l’abîme[42] » et ventant sa perspicacité et son ingénuité, il reconnait finalement avoir pêché par excès d’orgueil : « j’étais convaincu d’avoir gagné à moi tout seul la bataille des idées. J’avais seulement oublié que je n’avais pas gagné la guerre[43] » et de conclure « Je devais me remettre au travail[44] ». Mais désormais, face au péril « dans la rue, on ne m’interpellait plus seulement pour me demander des “ selfies ”, mais pour m’encourager à me « présenter » car ces personnes « avaient lu « tous mes livres », ou m’avaient regardé à la télévision ; ils pensaient comme moi ou je disais comme eux[45] ».

On parvient ainsi à ce que Raoul Girardet désigne comme :

« Un processus d’identification d’un destin individuel et d’un destin collectif, d’un peuple tout entier et de l’interprète prophétique de son histoire […] Le Voyant, le Chef prophétique n’apparait plus alors comme le simple représentant, le simple exécutant de la volonté générale. Il en est l’incarnation au sens le plus profondément religieux du terme [ce qui justifie alors des dérives autoritaires] : il l’incarne dans la totalité de ses dimensions sociales ; il l’incarne aussi dans la totalité de son destin historique, dans son passé, dans son présent et dans son avenir.[46] ».

Ayant dénoncé les maux du pays, cachés par les élites mais ressentis par les Français, E. Zemmour se place alors en seul dépositaire, et du même coup en seul recours, de l’âme française véritable, dans la continuité des portraits qu’il a lui-même dressés dans Destin français (le terme destin induit la prédestination), et au sein duquel les noms de De Gaulle, Pétain, et Napoléon apparaissent plus de 200 fois chacun, car « à chaque fois, la France a trouvé en elle-même, au sein de son peuple, que ce soit Jeanne d’Arc, Bonaparte ou de Gaulle, un « homme providentiel » qui porte le fer et rassemble les énergies au nom de la survie de la nation[47] ».

Zemmour s’approprie ainsi la légitimité charismatique de ces grandes figures. Face à ce nouveau péril que nous vivons, cet homme ce sera lui. Malgré cette confession qu’il nous livre : « Dans mes rêves d’enfant, je n’avais jamais imaginé être chef de l’État[48]», il accepte de faire le sacrifice de sa personne car le tragique de l’histoire l’appelle, et enjoint ceux qui partagent sa foi à faire de même « Ce défi français, ce défi pour la France, cette renaissance française, cette reconquête française exigent que nous nous arrachions à nos petits conforts, nos petites vanités, nos petits ego[49] ».

L’unité

            « C’est en fonction d’ailleurs du critère d’unité, ou plus précisément de participation à une même œuvre d’unification, que se construit la figure légendaire de nos souverains, de leurs ministres et de nos hommes d’Etat. L’histoire de France tout entière tend ainsi à se présenter sous la forme d’une lutte sans cesse entretenue entre deux faisceaux de forces contradictoires : les forces bénéfiques d’une part qui sont celles de la convergence, du rassemblement, de la cohésion ; les forces maléfiques d’autre part, celles de la dispersion, de l’éclatement, de la dissociation. […] Des premiers Capétiens au jeune Louis XIV, il y a des souverains qu’il convient d’admirer : ceux qui ont fait la France, les rassembleurs de terres, les patients édificateurs de l’autorité de l’Etat, les défenseurs, face au péril extérieur, de l’intégrité nationale, les pacificateurs de nos guerres civiles[50]. »

C’est au nom de l’Unité de la France et de ces hommes dans le sillage desquels il prétend s’inscrire que E. Zemmour cite Maurras et les « quarante rois qui ont fait la France[51] » et qu’il en appelle à « un implacable Richelieu combattant sans relâche « l’Etat dans l’Etat » et « les partis de l’étranger » pour abattre les La Rochelle islamiques qui s’édifient sur tout le territoire[52] » (La Rochelle étant à l’époque de Richelieu un bastion protestant).

C’est également pour cela qu’il loue De gaulle : « le grand réconciliateur. L’homme qui referme les plaies séculaires, qui « règle les questions vieilles de cent cinquante-neuf ans », selon le mot du Général à propos de la Ve République et de la mort du roi Louis XVI[53] ». En effet, De Gaulle, par l’instauration d’une monarchie républicaine, a su guérir la France du poison de la discorde distillé par les élites du XVIIIe siècle et leurs sociétés de pensée qui ont dirigé[54] la Révolution et ainsi mené à un affrontement entre français au service de leurs propres intérêts et idéaux car, comme « Taine explique dans Les Origines de la France contemporaine que la Révolution française ne fut avant tout qu’un transfert immobilier, la bourgeoisie triomphante et ses ministres qui la représentent s’installant dans les hôtels particuliers de l’aristocratie défaite et marginalisée[55] ».

Ce qui se dessine ici est une conception proprement réactionnaire (voire complotiste) de l’histoire de France. Ce sont les minorités et les élites qui provoquent les changements et cherchent à altérer la substance même de la France. Mais malgré la corruption de ces ennemis de l’intérieur, le retour à une monarchie présidentielle nous le démontre une fois de plus, la France reste un bloc inaltérable qui doit rester inaltéré. C’est le sens de la formule « Vive la République, et surtout vive la France » (nous soulignons) qu’E. Zemmour lance à la fin de ses meetings.

Malheureusement « Mai 68 aura été à la République gaullienne ce que 1789 fut à la monarchie capétienne : le grand dissolvant[56] » et « ce travail séculaire de restauration a été saccagé[57] ».

L’histoire obéit à des lois immuables, elle est faite de flux et de reflux. La corruption cherche toujours à s’étendre et les barbares autrefois tenus aux marges de l’empire (colonial) font une nouvelle offensive. Afin de redonner à la France sa « colonne vertébrale[58] » et la débarrasser, à l’instar de l’Empereur, « des scories de violence et de désagrégation de la société[59] » il faut restaurer les valeurs traditionnelles qui ont fait la France et retrouver l’homogénéité culturelle du pays réel ; « seul ce rétablissement nous permettra de ramener l’ordre et la paix civile[60] », car comme pour Napoléon, De Gaulle, ou Pétain, et maintenant E. Zemmour : « À chaque fois, l’objectif était le même : panser les plaies de la division, et refaire des Français autour de leur État et de l’amour de leur patrie[61] ».

                Ainsi, la réinterprétation de l’histoire par E. Zemmour se fait en maniant un schéma narratif d’ordre religieux porteur d’absolus, d’autant plus percutant qu’il nous est familier. Il réussit alors à mobiliser une frange non négligeable de la population en réintroduisant du tragique par la mise en récit d’un péril existentiel, le Salut passant alors par la Reconquête culturelle. Le mot de culture est ici entendu au sens large, celui de Weltanschauung, c’est-à-dire de conception/vision du monde. En effet, l’extrême droite mène, depuis des années, un combat pour l’hégémonie culturelle et il nous semblait important de montrer qu’elle n’est pas simplement l’émanation d’esprits irrationnels, pour ne pas dire malades, mais que les individus y sont perméables justement parce qu’elle évolue dans un monde de sens.

« A l’arrière-plan de la mythologie du Complot, se découvre toujours, en fin de compte, la vision d’un Ordre, au sens religieux du terme, unitaire, conquérant, instrument nécessaire à la réussite d’une grande entreprise engageant et transcendant le destin de chacun[62]. »

[1] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.13.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.97-98.

[5] Ibid.

[6] Eric Zemmour, annonce de candidature, https://www.dailymotion.com/video/x85zizj.

[7] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.130.

[8] « Les maires socialistes, ont inondé leurs cités de migrants, provoquant une éruption de violences, de vols, de viols en série », Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[9] « Mai 68 l’emporterait en greffant son idéologie dissolvante au cœur de la famille », Eric Zemmour, Le suicide français, Albain Michel, 2014.

[10] « À partir du moment où la puissance paternelle est abattue par la loi, le matriarcat règne. L’égalité devient indifférenciation. Le père n’est plus légitime pour imposer la loi. Il est sommé de devenir une deuxième mère », Ibid.

[11] « Dans Hélène et les garçons, cette complexité irréductible des rapports entre les sexes, cette altérité fondamentale, était aplanie, évacuée, supprimée, niée par la conversion des garçons au modèle féminin […] L’objectif pédagogique n’est plus : « Tu seras un homme, mon fils », mais plutôt : « Tu seras une femme, mon fils ! », Ibid.

[12] « Mais l’émergence de l’homosexualité triomphante est d’abord liée à une évolution décisive du capitalisme […] Le « Jouissons sans entrave » des rebelles de Mai 68 deviendra bientôt un slogan publicitaire […] Il faut détruire la virilité en l’homme pour que naisse et prospère sa pulsion consommatrice. », Ibid.

[13] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.54.

[14] Eric Zemmour, Le suicide français, Albain Michel, 2014.

[15] Ibid.

[16] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.40.

[17] Ibid.

[18] Eric Zemmour, Destin français, Albain Michel, 2018.

[19] Ibid.

[20] « La culture grecque, c’est l’Europe ; et pendant des siècles, son meilleur défenseur fut le légionnaire romain. L’Asie n’a pas attendu l’Islam pour combattre la civilisation hellénique. Mais avec l’Islam, Mahomet donne une foi et un drapeau à ce combat. L’Islam est d’abord un arabisme, mais sa victoire fait de lui l’étendard de la revanche de l’Orient sur « Iskander le roumi » (Alexandre le Grand) et mille ans de domination grecque », Ibid.

[21] Ibid.

[22] Eric Zemmour, France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[23] Eric Zemmour, Destin français, Albain Michel, 2018.

[24] « Une partie de nos élites se retourne toujours contre le peuple français, pour prendre parti en faveur de l’empire du moment, au nom d’un universalisme dévoyé », in Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[25] « Ils sonnaient sans mot dire le glas du clivage droite-gauche qui annonçait les reniements de chacun des deux camps, la droite abandonnant la Nation et l’État, la gauche rejetant le Peuple et la Révolution. […] La droite, elle, amorçait son virage libéral, européen et atlantiste, et découvrirait bientôt, de manière pragmatique, que cette idéologie droit-de-l’hommiste servirait de ferment au retour de la « Grande Nation » dans la famille occidentale et otanienne », in Eric Zemmour, Le suicide français, Albain Michel, 2014.

[26] « Mises en danger, les élites ont alors compris que leur survie passerait par la radicalisation idéologique et l’accélération du processus de destruction : peuple, famille, jusqu’à l’existence des sexes. Elles ont accentué la dissolution des nations […]  Elles n’ont pas hésité, au nom de la liberté individuelle, à favoriser encore et encore l’islamisation des pays occidentaux et en particulier de la France. Au nom de l’égalité homme-femme, elles ont fait de l’homosexualité et de l’indécision des genres le nouveau modèle à suivre », in Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[27] Ibid.

[28] « Le fameux « beauf » que Libération ne tardera pas à ériger en tête de Turc de toute une génération. La mienne. Il fallait d’urgence trouver un « peuple » et une cause de remplacement : ce furent les immigrés […] Puisque les ouvriers français ne voulaient plus jouer le rôle que July et ses pairs leur assignaient, ils deviendraient dès lors leurs ennemis mortels », Ibid.

[29] Ibid.

[30] « La conquête arabe des terres chrétiennes d’Afrique du Nord ou de l’Empire byzantin a toujours commencé de manière pacifique, par une fraternisation des populations, des alliances même entre musulmans et chrétiens, unis par le monothéisme et la solidarité séduisante mais factice des « religions du Livre », contre un pouvoir despotique ou oppresseur. Ce n’est qu’après, bien après, lorsque le rapport de force démographique le permit, que les armées arabes imposèrent le pouvoir sans partage de l’Islam », in Eric Zemmour, Destin français, Albain Michel, 2018.

[31] Essentialisation du conflit entre civilisation qui n’est pas sans rappeler celle du choc des civilisations de S.Huntington qui a donné une explication mono-causale et culturaliste aux attentats du 11 septembre et justifié l’intervention américaine en Afghanistan et en Irak.

[32] Eric Zemmour, Destin français, Albain Michel, 2018.

[33] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.61.

[34] Eric Zemmour, Destin français, Albain Michel, 2018.

[35] « En se résignant à l’échec des croisades, Philippe le Bel renonçait à toute colonisation de l’Asie musulmane. Moins de cinquante ans après le départ du dernier croisé de Terre sainte, c’est l’Asie musulmane qui envahissait la chrétienté », Ibid.

[36] E. Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[37] « Les propagandistes du Califat islamique (Daech) sonnèrent l’heure de la revanche contre les « croisés ». Cette appellation fit sourire nos esprits laïcisés et incrédules. Nous avions tort. Cette histoire longue est encore très vivante en terre d’Islam », in Eric Zemmour, Destin français, Albain Michel, 2018.

[38] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.54.

[39] Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[40] Ibid.

[41] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.77.

[42] Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[43] Ibid.

[44] Ibid.

[45] Ibid.

[46] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.78.

[47] Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[48] Ibid.

[49] Ibid.

[50] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.158.

[51] Eric Zemmour, Le suicide français, Albain Michel, 2014.

[52] Ibid.

[53] E. Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[54] Eric Zemmour, « La Révolution n’est pas ce qu’on vous a dit ! », FigaroVox, 8 mai 2019.

[55] E. Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[56] Ibid.

[57] Eric Zemmour, Le suicide français, Albain Michel, 2014.

[58] Ibid.

[59] Ibid.

[60] Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[61] Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

[62] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990, p.61.

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