Union! Union de la gauche et des écolos! Candidat unique! Cette incantation s’entend un peu partout, dans bon nombre de médias, chez les commentateurs et aussi chez certains électeurs. Ce serait la recette magique, l’alchimie qui transformerait le plomb de la dynamique à gauche en or de la victoire. Sous l’effet d’une union de la gauche et des écologistes, la situation se débloquerait et un avenir radieux nous serait promis à nous militants, sympathisants ou électeurs dit de gauche. Sinon : l’apocalypse, l'abstention ou une disparition de la gauche à l’italienne. La réalité est, comme souvent, un peu plus complexe.
En premier lieu, de quelle union parlons-nous, avec qui et pourquoi faire? Imagine-t-on aujourd’hui sérieusement un militant-électeur du PS et d’Anne Hidalgo accepter de se ranger derrière une candidature de rupture comme celle portée par Jean-Luc Mélenchon? A l’inverse imagine-t-on un sympathisant insoumis voter pour un social-démocrate alors même que l’inventaire des années Hollande n’a pas été fait par le PS? Tout cela relève de la pensée magique.
Sans doute que dans un autre monde, un peu idéal, une candidature unique, un programme fédérateur ou un parti dominant tout en restant à l’écoute existeraient pour rassembler les forces d’une gauche rabougrie et porter une dynamique qui nous mènerait au pouvoir. Cette situation aurait peut-être pu exister : si François Hollande avait écouté sa gauche plutôt que Manuel Valls ; si, suite aux élections de 2017, Benoît Hamon avait décidé de s’arrimer solidement avec la France Insoumise et que celle-ci était parvenue à sceller l’union avec les communistes. Cette union tant fantasmée aurait sans doute été possible à ces moments-là, mais elle n’a pas eu lieu. Nous revoilà, cinq ans plus tard, comme si la situation n’avait pas évoluée et qu’une miraculeuse entente pouvait se faire en quelques jours.
Ceux qui la réclament l’union à corps et à cris, la veulent-ils vraiment? La voulait-il à l’époque? Rien n’est moins sûr. Prenons l’exemple du candidat Mélenchon, aujourd’hui le mieux placé dans les sondages. Au-delà de l’excuse concernant sa personnalité ou sa volonté de leadership (celle-là même qui est nécessaire à toute personne voulant mener un mouvement), n’est-ce pas le niveau de rupture que son programme porte qui en effraie certains? Niveau de rupture nécessaire avec la capitalisme pour assurer la transition écologique, niveau de rupture nécessaire avec les instances de l’union européenne pour mener une politique de transition, niveau nécessaire de rupture avec l’ordre républicain conservateur et teinté de paternalisme pour permettre l’égalité réelle.
Sans doute, les "unionistes" partent-ils d’un bon sentiment. Pourtant la réalité vient souvent rappeler que nos fantasmes ne sont que ces chimères. Quelle dynamique a amené cette fameuse union lors des élections régionales dans le Nord de la France, avec une candidate Verte soutenue par le PS, la LFI et le PCF? Elle n’a rassemblé qu’à peine 20% des voix, soit guère plus que ce que prévoyaient les sondages s’ils étaient partis chacun dans leur coin. En Ile-de-France, les trois candidats de gauche sont partis séparément au premier tour pour s’unir au deuxième ; malheureusement aucun gain de voix n’a été constaté entre les deux tours, alors même qu’ils avaient fait un beau cliché à trois. L’union ne semble pas auto-suffisante pour motiver largement les électeurs. D’autant que les candidats partant séparément pour des raisons programmatiques, leur union peut sembler factice à l’électeur, ce qui n’est guère convaincant pour glisser un bulletin dans l’urne.
Ensuite, il faut souligner le risque de présenter l’union comme seule solution à la victoire. En creux, cela signifie que s’il n’y a pas d’alliance, alors la défaite est assurée. Or, cette union semble bien mal partie et dans ce cas on intériorise déjà la défaite. Cela empêche toute dynamique de se créer. Quelle motivation dans la tête d’un électeur à aller voter, si on lui rabâche que la victoire est impossible? Le combat de l’organisation “La Primaire Populaire” peut paraître louable : organiser une primaire ouverte pour trouver le candidat unique de la gauche et des écologistes. Pourquoi pas, même si comme nous l’avons vu, l’union ne suffit sans doute pas. Mais leur action a aussi un effet négatif, bien qu’involontaire : à force de souligner cette désunion, on ne retient plus que ça et on tend le bâton à nos vrais adversaires.
Il y a également un certain confort à refuser de prendre position tant qu’il n’y a pas d’union. Cela permet de se placer dans une espèce de pureté idéologique, tout en ne prenant pas le risque de descendre dans l’arène. Pourtant c’est le propre de la politique de devoir faire des choix dans une situation incertaine.
Enfin, si on regarde du côté de nos adversaires de droite et d’extrême droite, les quatre nuances de conservatisme de Macron à Le Pen en passant par Zemmour et Pécresse ne semblent pas les empêcher d’engranger des voix (ou du moins des points dans les sondages).
Beaucoup d’électeurs, sympathisants de gauche et des écolos aimeraient sans doute qu’une candidature sorte du lot et entraîne tout le monde derrière elle, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, alors à quoi bon ressasser les mêmes rengaines et empêcher tout autre voie, en attendant une union qui semble impossible et qui n’apporterait sans doute pas de victoire. Alors que faire? Se lamenter, intérioriser la défaite, considérer les prochaines élections comme une course de chevaux qui désignera le leader d’un tas de cendres ou laisser passer l’orage pour sauver ses postes aux élections législatives?
On est en droit d’espérer plus.
Certes, une fusion de quatre ou cinq partis en une liste unique semble illusoire. On peut néanmoins dégager deux grandes lignes idéologiques. Pour reprendre les termes du XXème siècle : il y aurait la gauche révolutionnaire et la gauche réformiste, ou plutôt en ce XXIème siècle un pôle populaire et de rupture et un pôle gestionnaire et d’accompagnement du capitalisme. Si seuls deux principaux candidats à gauche sortaient du lot, cela permettrait d’avoir une vision plus claire des enjeux et serait mobilisateur pour les électeurs. Il ne s’agirait plus là d’accompagner une défaite annoncée dans les urnes, mais de choisir une alternative claire entre deux approches distinctes de ce que doit être la gauche. Contrairement à ce que pense Valls, un des fossoyeurs de la gauche, ces deux pôles ne sont sans doute pas irréconciliables et sont nécessaires à une démocratie vivante. Leur point d’équilibre reste à trouver.
Dans cette perspective, EELV a certainement besoin de clarifier son positionnement. On peut à ce titre regretter que le parti ne soit pas parvenu à trouver une programme et un candidat plus convaincant, car il aurait probablement pu être le pivot central d’une large coalition de gauche : on imagine plus facilement un électeur de Mélenchon ou d’Hidalgo voter pour un vert qu’un électeur passé du PS à la LFI et inversement.
Ensuite, la situation actuelle nous démontre encore une fois les limites du régime présidentiel. Personnalisant à outrance la politique, la fameuse rencontre fascisante d’un homme et d’un peuple, elle ne favorise pas l’échange et le compromis entre les forces politiques. Poussé à son paroxysme par Macron, les limites et les risques de nos institutions sont criantes. Ainsi, toute force de gauche qui prétend réellement changer nos vies doit se prononcer clairement pour la fin du régime présidentiel, tant celui-ci est délétère pour la démocratie et sans doute encore plus aux forces progressistes, moins promptes à se ranger derrière un chef. Cela s’accompagnerait sans doute d’une plus grande part donnée à la proportionnelle dans une assemblée à la fois renforcée et plus représentative, ce qui faciliterait très probablement les alliances.
En conclusion, il est grand temps d’arrêter de geindre et de se plaindre de la situation actuelle, d’autant plus face aux dangers que font peser la droite extrême et l’extrême droite sur la France. Si l’union ne peut se faire par le haut, il faut qu’elle se fasse par le bas. Il s’agit alors d’analyser la situation et de choisir le programme le plus abouti, l’organisation la plus à même de rassembler les forces politiques, associatives, syndicales… et le ou la candidat qui semble le mieux à même de porter tout cela. Il est plus que temps de mener le combat contre les forces réactionnaires.