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Billet de blog 16 avril 2021

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En France, trois pôles politiques se structurent et se font face.

Au travers de la figure du triangle et de ces trois sommets, ce billet tente d'expliquer la structuration du système politique et des principaux pôles idéologiques et partisans. Trois pôles se constituent : néolibéraux, identitaires, eco-socialistes.

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L’implosion du système de représentation politique, largement dynamité en 2017, n’a pas encore repris une forme stable. Les mouvements des plaques tectoniques sont toujours puissants. Dans un tel contexte, il devient assez difficile de s’y retrouver : l’extrême-droite prétend donner des brevets d’adhésion républicaine à tout va, tandis que des autoritaires type Macron prétendent la défendre (la République, pas l’extrême droite, quoique…), et en même temps ceux qui luttent contre le racisme sont accusés de le propager. Les points de repère paraissent de plus en plus flous, sans doute bien aidés par une épidémie qui n’en finit plus de finir et qui ne facilite pas la pensée prospective. 

Le vieux clivage gauche-droite semble lui aussi plus incertain que jamais : tout le monde se veut “et de droite et de gauche”, “ni de gauche ni de droite”, “par delà le clivage”... La gauche ne sait plus si elle doit se nommer de gauche, épuisée par les vestiges du quinquennat Hollande. Notre gouvernement actuel, résolument de droite (loi travail, suppression de l’ISF, obsession sécuritaire…), ne se qualifie pas ainsi. La tentative de dépassement exécutée par le Macronisme, feignant de proposer une nouveauté, a finalement abouti à accélérer ou révéler ce qui existait déjà auparavant : la prédominance du bloc bourgeois. Depuis les années 2000, le contexte existait déjà. Les partis de gouvernement (PS et UMP) géraient paisiblement une alternance, alors qu’ils proposaient, dans les grandes lignes, la même politique (appliquée, il est vrai, avec plus ou moins de violences) : soumission aux forces de la mondialisation et de la construction économique européenne, réduction du pouvoir des salariés face à celui du capital. “Mondialisation, concurrence, croissance” pour reprendre les termes chers à François Ruffin. Cette alternance paraissait de plus en plus factice et se trouvait être une politique menée plutôt pour ceux qui profitaient de la mondialisation. C’est cette illusion que la Macronie a fait voler en éclats. Comme souvent, les structures partisanes étaient en retard sur la réalité politique du pays. Macron a su fédérer autour de sa personne une bonne partie des anciens responsables de cette politique et l’électorat qui va avec. Le terme triangulation est parfois utilisé pour décrire cela : prendre le meilleur de deux idées (ici celles du PS et de l’UMP) pour en faire une synthèse plus haute. Dans la mesure où les idées se rejoignent largement, de synthèse supérieure il n’y en eut point ; seulement une accélération.

Pour autant cette tentative de triangulation peut être intéressante, en considérant la forme géométrique du triangle et ses trois sommets. En effet, il paraît de plus en plus clairement que nous assistons à la structuration de trois pôles politiques. Comment sont-ils constitués? L’exemple français est assez parlant. Deux pôles solides se font clairement face, alors qu’un troisième se cherche encore. 

D’un côté les libéraux, néolibéraux, l’extrême centre, le bloc bourgeois... Nous retiendrons ici néolibéraux, sans doute le terme le mieux partagé même s’il ne recouvre qu’une partie de la réalité. Ce pôle est entièrement voué à la mondialisation économique, aux intérêts des grandes entreprises, défenseur de la construction européenne, relativement libéral sur la question des mœurs, mais avec une tentation autoritaire évidente, tant l’adhésion à ses thèses n’est plus majoritaire. La dimension écologique commence à être prise en compte, mais peine à sortir de l’incantation. La foi est totale dans le progrès technique : capitalisme vert, avion vert, voiture verte… et, au moins pour la France, une défense du nucléaire civil. La Macronie représente très bien cet espace : il rassemble une grande partie de la droite (Bruno Lemaire, Darmanin, Edouard Philippe, Castex), les restes du PS (Castaner, Veran, Ferrand, Le Drian) une poignée d’opportunistes, ainsi qu’une grande majorité des électeurs âgés et des classes supérieures.. Valls et le Printemps Républicain y auraient toute leur place. Ils en ont sans doute été écartés pour la seule raison que l’image de l’ancien premier ministre est définitivement mauvaise : haï par ce qui reste de la gauche, trop mêlé au quinquennat Hollande pour la droite. 

Macron tient cette famille parce qu’il est au pouvoir aujourd’hui, mais on pourrait sans difficulté l’imaginer remplacé par un Bertrand, un Philippe, une Pécresse ou un improbable Hollande renaissant. Toutefois, les logiques des partis restent fortes et empêchent certains rapprochements naturels de s’opérer : une bonne partie du PS, certains écolos dit “réalo” (de Rugy et consorts), une grande partie de la droite, devraient logiquement à terme rejoindre ce camp. 

Le deuxième pôle est constitué de ce qu’on a coutume d’appeler l’extrême-droite. Ici aussi, le terme désigne sans doute partiellement la réalité. La question centrale de ce pôle est celle de l’identité : obsession de la recherche d’une identité supposée pure, d’un groupe à défendre face à ceux qui veulent l‘envahir, le modifier ou lui enlever sa pureté et son homogénéité. Aussi, nous les qualifierons d’identitaires. Il s’agit aussi du camp de la peur : peur de l’étanger, peur de l’immigration, peur pour la sécurité, peur du terrorisme. Il ne s’agit pas de nier le danger qu’il représente, mais force est de constater que la plupart de ces partis (Le Pen, Salvini, Orban…) ont opéré un virage, certainement feint, vers l’acceptation du jeu démocratique. La dérive autoritaire des démocraties leur simplifie sans doute grandement la tâche. Ils se posent comme les défenseurs des supposées valeurs de l’Occident ; l’ennemi est souvent l’étranger, quasi systématiquement le musulman. 

Sur le volet économique, la théorie est moins claire. Ils sont sans doute sensibles aux dégâts causés par la mondialisation néolibérale, ou du moins l’utilisent cyniquement pour porter leur obsession des frontières. De la fermeture des frontières économiques à celle des frontières politiques, il n’y a un pas qu’ils franchissent allègrement. Rejeter la mondialisation néolibérale a également l’avantage de les faire paraître comme principaux opposants aux néolibéraux. 

Ils prétendent sans doute défendre les salariés, mais à la manière d’un Sarkozy : “travailler plus, pour gagner plus”. Donner l’impression de prendre le parti du salarié, mais d’une manière individualiste, en faisant fi des syndicats, dans un rapport direct entre un Etat fort et les travailleurs. Ils ne défendent pas l‘augmentation du SMIC et encore moins celles minimas sociaux. Les syndicats et les fonctionnaires sont des ennemis. Leur modèle économique ne vise nullement à défendre les services publics ou renforcer le pouvoir des salariés dans l’entreprise. 

Fortement structuré autour de l’ex-Front National (Rassemblement National) et d’une dynastie familiale (les Le Pen), ce pôle est dans une dynamique électorale positive. D’une part, le pôle néolibéral a tendance à renvoyer vers les identitaires tous ceux qui s’opposent à lui, espérant ainsi, malgré tout, rallier les classes moyennes supérieures, chez qui le rejet du Front National reste profond. Mais, il semble évident que ce faisant, il pousse également tous ceux qui en ont assez la mondialisation néolibéral vers ce pôle : l’élection de Trump en serait un exemple. D’autre part, cette dynamique positive crée un appel d’air grandissant pour une partie de la droite obsédée par les questions sécuritaires et identitaires, jugeant les libéraux trop mous sur le sujet.

Le troisième pôle, sans doute le plus faible en France et aussi à l’étranger, celui de notre bord ne le cachons pas, peine à se structurer clairement. Eco-socialiste, populiste de gauche, de gauche et écologiste, la définition n’est pas encore claire et le leadership politique et idéologique n’est pas assuré. Nous utiliserons le terme éco-socialistes. En France, la LFI n’est pas parvenue à en prendre clairement la tête. EELV s’y verrait bien, mais le compte n’y est pas encore. Le PS ne semble pas savoir où se situer. Là encore, les organisations partisanes (LFI, PCF, EELV, PS pour parler des plus grandes) complexifient une possible union. Pour reprendre une note de blog de Gilles Raveaud, ils leur restent trois lignes de partages à clarifier : la relation avec l’Union Européenne, le degré de rupture dans la transition écologique et la position face aux questions identitaires (et à l’assaut conservateur sur les valeurs de la République).  Pour le reste, les lignes directrices au niveau politique et économique sont assez claires : prise en compte de la nécessité d’opérer une transition écologique et sociale, remise en place des services publics et des communs, sortie de l’impasse néolibérale, refus de l’obsession identitaire, vers une société ouverte, voire créolisée...

Sans être définitive et prétendre à englober la totalité de la réalité, cette définition de trois pôles : néolibéraux, identitaires et éco-socialistes permet d’avoir une vision plus claire des débats actuels, des positionnements de chacun et des lignes de fracture dans chacun de ces pôles.

En complément, cette approche permet de se débarrasser de la notion d’extrêmes. Chacun des trois pôles est un sommet et un extrême pour les deux autres. Cela rend caduque la prétendue position centriste ou modérée du pôle néolibéral, qui est bien celui d’une idéologie poussée à l’extrême : celle de faire plus d’argent, d’ouvrir les possibilités d’en faire toujours plus et de la laisser se concentrer dans quelques mains. Enfin, elle invalide le prétendu “rapprochement des extrêmes” entre extrême droite et extrême gauche. 

Si l’on observe désormais les dynamiques des forces politiques à la lumière de ce triangle, cela illustre la position difficilement tenable de la droite traditionnelle française. Idéologiquement proche du macronisme, elle peine à s’en démarquer. Il ne lui reste alors que deux choix : se laisser tenter par une dérive vers les identitaires ou reprendre la place que Macron leur a prise. Il s’agirait alors plus d’une guerre d’appareil que d’un débat idéologique. 

En observant le mouvement des gilets jaunes, on pourrait le placer sur la droite reliant le pôle identitaire au pôle éco-socialiste. Le rejet du régime néolibéral était sans doute le ciment le plus puissant de ce mouvement, mais il oscillait entre une demande de plus de démocratie et de justice sociale et une tentation de délégitimer tous les corps intermédiaires. En Italie, le Mouvement 5 étoiles se situerait également au milieu de ces deux pôles. Il a successivement dirigé avec la Ligue (extrême droite italienne) puis le “centre”. Ses origines sont pourtant partiellement écosocialistes : les cinq étoiles représentent les enjeux liés à l'eau, à l'environnement, aux transports, au développement et à l'énergie. Le rejet de la construction libérale européenne est également au centre de ce mouvement. En même temps, il est né de la journée du “Vaffenculo” ; tout un programme...

Le tiraillement du PS peut aussi s’illustrer à travers ce schéma. Matrice de nombreux macronistes, il peine à définir son nouveau positionnement après avoir longtemps occupé une place centrale, dans la régime bipartisan du vingtième siècle. Se veut-il un simple accompagnateur du système néolibéral, tout en en atténuant les pires effets?  Dans ce cas, il se situerait bien dans le pôle néolibéral. Ou se veut-il véritable force de transformation sociale et écologique? Le débat reste ouvert. Il reste ouvert également au sein de nombreux partis écologistes. On voit notamment les Verts gouverner avec la droite en Allemagne. Aujourd’hui tout le monde, ou presque, a compris l’importance des enjeux idéologiques. La question qui demeure est celle de la manière de les prendre en compte. Capitalisme vert, croissance verte, développement durable, techno-centrisme ou rupture avec le monde productiviste et extractiviste? Là encore la question est à trancher. 

Ce schéma avec trois pôles qui se font face nous permet donc de mieux comprendre les enjeux et les lignes de fracture des différents mouvements politiques. De ces observations ressort clairement la faible structuration, en France et partout ailleurs, du pôle éco-socialiste. La désunion et les défaites étant rarement porteuses d’espoir et de dynamique, il convient de s’inspirer de ce qui a pu fonctionner ailleurs. Nous ne qualifierons pas l’administration Biden d’éco-socialiste, pourtant ses premières mesures laissent entrevoir un changement de paradigme. La structuration et la réussite du camp Sanders ne sont sans doute pas pour rien dans ce programme. De même en Espagne ou au Portugal, le camp de gauche (plutôt d’inspiration gauche radicale) apportent leur soutien à des gouvernements centristes et contribuent également à faire pencher la balance. Il est donc temps de prendre conscience de la faiblesse actuelle de notre camp et, avant d’espérer remporter des victoires électorales, d’essayer pour commencer de s’unir sur un programme d’actions concrètes et de sortir des logiques partisanes qui empêchent toute avancée. 

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