La plus part d’entre nous est un otage du destin. Exactement comme Johnson que la guerre civile a chassé, depuis son enfance et avec sa famille dans un camp de réfugiés au Ghana. Sa mère et son fils se trouvent maintenant aux Etats Unis où lui-même avait débarqué il y a quelques années de cela en ‘indésiré’. Après son séjour au camp il était parti au Sénégal et aussitôt après avoir gagné un peu d’argent, il s’envola au Mexique en passant par la Jamaïque de Bob Marley et le mouvement Rasta. Comme beaucoup d’autres lui aussi avait passé le mur qui sépare les deux mondes et il passa plusieurs mois à Washington. Juste le temps de lui confectionner, pour souvenir, un ‘Passeport Mondiale’ (World Passport), tout à fait inutile pour rester au Pays. Renvoyé au Sénégal il transite en Guinée et il cherche, en vain, d’atteindre les côtes de l’Europe. Il n’a jamais pu passer les frontières libyennes et il est donc resté au Niger qui est devenue sa patrie précaire. Après quelque mois à la Maison d’Arrêt de Niamey, il demande à sa vielle maman de lui envoyer l’argent pour acheter des valises afin de retourner au Pays natal. En attendant il répare des chaises pour le jour du retour dans une maison qui n’existe plus.
Aussi nos frontières sont des otages de l’Occident, du Covid et des Complices Locaux. Elles ont été mises aux enchères avec l’externalisation en vue du control de la mobilité des migrants. Elles sont désormais dans le jeu des rapports de force qui régissent les géopolitiques du moment présent. Elles font l’objet de vente et d’achat pour tout type de trafic, contrebandiers, bandits, djihadistes, entrepreneurs, commerçants d’armes, cocaïne et cannabis. Beaucoup, grâce à eux, s’enrichissent. Entre eux Eucap-Sahel qui a été conçu pour aider les Pays du Sahel à former les agents qui sont supposés gérer la sécurité aux frontières. Ces dernières se révèlent mortelles en mer, au désert, dans la tête des gens et dans les politiques qui les créent. C’est le pouvoir de qui détient le pouvoir que de décider entre ‘ensablés, noyés, crucifiés et sauvés. Les frontières sont de sable, ciment, pierre, barbelés, électriques, virtuelles ou de papier et elles sont en attente peut être, du prévu ‘passeport sanitaire’. Les frontières sont là pour assurer la protection des inégalités dont fait mention le dernier rapport de l’ong OXFAM, publié à l’occasion du Forum virtuel de Davos, en Suisse, qui prône le Grand Reset du monde occidental.
Néanmoins, au Sahel, les otages principaux restent les pauvres. Avec n’importe quel régime ou saison politique, ce sont eux, les ‘vendables’ des accords, des plans d’ajustement ou des Grandes Transformations de l’économie. Ils sont irremplaçables pour les Agences Humanitaires, les prêcheurs ambulants de violence armée et des religions comme substitut organisé d’illusions à bon marché. Ils sont tout aussi importants pour les politiciens en quête des mandats électoraux. Ce sont les pauvres otages qui en garantissent la survie et surtout la perpétuation. Ils se présentent comme incontournables pour les idéologies, les armés de réserve, les manifestations de la rue, les cantines populaires, les adoptions à distance, les couloirs humanitaires et les fonds d’urgence pour la Covid et les inondations. Ils sont des otages choisis et donc bien soignés par les chercheurs et ils se transforment en objets d’études, d’enquête et des mesures visant à protéger une main d’œuvre bon marché délocalisée, utile en temps de crise globale. Ils n’étaient pas là il faudrait les inventer et c’est pour cela qu’on a inventé les statistiques et les recensements financés par la Banque Mondiale, qui a d’abord contribué à créer les pauvres et ensuite à les maintenir en vie.
Elles sont aussi des otages des plus graves formes de pouvoir, les femmes qui, dans l’intention de qui régit les leviers de la société, existent pour reproduire, maintenir et assurer la continuité du monde tel qu’il a ainsi été conçu. Elles font objet d’usage, consommation, échange, publicité, marché, plaisir ou simplement comme un objet de prestige. Elles sont un otage des modes, visions, promesses, trahisons et pièges dans lesquels elles aussi risquent de tomber, parfois, par naïveté ou des intérêts. Les politiques les trompent et en font juste un problème de quota pour les administrations, les banques ou les ministères de la défense en rose. Pourtant ce sont elles qui travaillent le plus, par exemple la terre. Elles soutiennent la vie, portent sur leurs dos le poids des jours des enfants qui grandissent avec elles, dans l’attente d’un demain meilleur. Elles sont les seules à pouvoir changer le monde lorsque, un jour quelconque, elles pourront finalement exercer le pouvoir sans écraser ou dominer l’autre.
Puis nous trouvons les jeunes, otages des mentalités du passé et d’un futur qui leur échappe car il leur a été volé ou confisqué par les ‘vieux’. Otages sont les électeurs disputés pour les deuxièmes tours des présidentielles à coups d’argent et d’alliances qui n’ont aucune crédibilité. Otage est une partie de la Société Civile qui court derrière les bailleurs des fonds, des Partenaires et des humanitaires bénévoles qui ne manquent jamais. Otages sont les paysans des zones occupées par les groupes armés et les fidèles qui ne peuvent pas professer la foi qui les anime. Otages privilégiés sont les intellectuels, à la merci des puissants et de la peur de penser. Otages sont surtout les paroles, séduites et asservies au mensonge. Au final, à rester libre d’inventer, agir, enseigner et croire est encore lui, le sable, dont nous tous ici, au Sahel, sommes des otages.