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Billet de blog 1 avril 2020

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Corps couronnés de sable dans le Sahel

Elle aurait être ensevelie ce jeudi matin. Pour éviter tout risque de contamination du Coronavirus, l’enterrement a été déplacé à une date ultérieure. Son corps de sable repose dans une cellule frigorifique de la morgue de l’Hôpital National de Niamey, avec un double tarif journalier par rapport aux nationaux.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elle aurait du être ensevelie ce jeudi matin. Pour éviter tout risque de contamination du Coronavirus, l’enterrement a été déplacé à une date ultérieure. Son corps de sable repose dans une cellule frigorifique de la morgue de l’Hôpital National de Niamey, avec un double tarif journalier par rapport aux nationaux. Angèle, morte de SIDA, laisse trois enfants au Pays qu’elle avait laissé avant de partir en migration, le Cameroun. D’autres comme elles avaient tenté l’aventure en Libye et en Algérie dans le secret espoir d’atteindre, un jour, l’Europe. Elle avait été expulsée et, avec d’autres femmes, accueillie et protégée dans une des maisons gérées par l’HCR, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés de Niamey. Elle reste, silencieuse, dans le froid artificiel de son avant dernière demeure terrestre. Avant de retourner au sable d’où, comme nous tous, un jour elle avait été engendrée, il y a cinquante ans de cela.

Nos corps, en effet, ne sont qu’un inconstant composé de sable et de vent qui vient ou qui va vers la mer. Il passe par le désert et il se contamine avec la poussière de laquelle nous sommes tous mélangés. Ces temps-ci, le temps du ‘Corona’, ce sont eux, les corps qui retournent en scène après avoir été, pour longtemps, oubliés. Retournent les visages comme retournent les corps. Ceux, par exemple que l’épidémie d’Ebola a fait sien se comptent par milliers. La dernière en ordre de temps s’est propagée en RDC et en a séduits et puis abandonnés plus de deux mil en un an. Celle qui a débuté en 2013 et qui s’est étendue dans plusieurs Pays de l’Afrique Occidentale en a engendrés environ 20 mil. Ils sont passés dans le silence quasi général et puis engloutis par d’autres événements car les corps des vivants et surtout ceux des morts n’ont pas la même importance partout. Il y a sable et sable, on le sait.

Le palu, d’autre part, continue sa folle course pour l’élimination des corps. Selon l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, en 2018 les cas de paludisme sont estimés à 228 millions tandis que les décès en relation avec la maladie seraient 405 mille. Les enfants de moins de 5 ans constituent le groupe plus vulnérable avec le 67 pour cent et donc 272 mil. L’Afrique, pour une fois devance l’Asie du Sud-Est et la Méditerranée orientale, reste de loin le continent le plus touché avec le 92 pour cent des cas et donc quelque 200 millions de corps touchés par cette maladie. Chaque 5 secondes un enfant perd sa vie à cause de la faim ou par manque de calories suffisantes. De tout cela, de ces corps humains de sable, personne ou très peu de monde parlent, car les corps ne se comptabilisent pas de même façon ces jours –ci et les moyens de communication n’usent pas les mêmes paramètres. L’industrie et l’économie, pour ces cas, ne se sont jamais arrêtées.

Bless est passé ce matin en montrant le bras sur lequel il y avait la trace des perfusions qu’on lui a pratiquées. Retourné au Libéria, son Pays d’origine, il est à nouveau parti en aventure à cause de la déception endurée pour ce qu’il trouvé dans son Pays rêvé après des années d’absence. Ni lui ni le Pays n’étaient plus les mêmes qu’avant. Son corps d’enfant soldat avait grandi pour terminer en Libye et, après un parcours tortueux, il avait atterrit auprès de l’OIM, l’Organisation Internationale des Migrations de Niamey. Après quelque semaine d’attente il a pu rejoindre la liste des passagers en vue de retourner dans le Pays par lequel il avait été abandonné. Trop tard peut-être, il a compris l’erreur de l’avoir quitté encore. Remis en forme par les médicaments il promet, sur le dieu des migrants, que cette fois-ci il restera dans son Pays pour toujours. Son ami s’était suicidé et lui en avait informé la sœur.

Le nombre des corps perdus dans la mer est innombrable, pas moins de 50 mil depuis 1990 et dans le désert les corps disparus sont estimés, par défaut, à 25 par semaine. Corps couronnés d’épines ou mieux de laurier pour le dernier repas royal dans lequel tous les pauvres seront invités et consacrés comme seigneurs de l’univers. Corps ‘confinant’ afin d’isoler une vie de l’autre, biopolitiques appliquées avec rigueur afin  de montrer que l’on vie avec des murs invisibles entre une rue et l’autre. Corps pris en otage par le sable du système néo libérale qui essai, sans y parvenir, de se trahir. La grande imposture avait commencé depuis longtemps et seulement une précaire insurrection du peuple aurait fait sortir les corps de leurs tombeaux.

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