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Billet de blog 2 août 2018

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Le contrôle des corps comme stratégie de domination

Démocratie alimentaire au Niger ou biopolitique de sable. Le point sur la démocratie dans le pays, 27 ans après la Conférence Nationale Souveraine.

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Le 29 juillet 1991 était célébrée à Niamey l’ouverture de la Conférence Nationale Souveraine qui, pendant quelques mois devait marquer la marche démocratique du pays dans les années à venir. A 27 ans de cet évènement fondateur, il est précis et sage de se demander où est passée la démocratie dans le pays. Ces trois décades sont un temps relativement court et suffisamment long pour s’interroger sur l’état de santé démocratique du Niger. Un pays qui a connu plusieurs coups d’état, des transitions et des solutions pragmatiques de survie dont la créativité et le hasard ont marché de pair jusqu’à présent.

La démocratie est un chantier toujours au travail. C’est un processus sans fin. Une construction permanente. Une invention et une pratique à la fois. C’est avant tout une forme de participation à la gestion du pouvoir à travers des relations qui bâtissent des institutions. C’est une trahison quasi certaine de toute révolution parce que la démocratie engage le réel et le quotidien qui est par sa nature partiel et concret. C’est un cheminement sans fin parce que chaque génération est appelée à créer sa forme démocratique et les institutions qui la rendent  possible dans le temps et l’espace.

Tout pouvoir, suivant en cela entre autres Michel Foucault, agit directement sur les corps afin de les « discipliner » et « domestiquer » selon le type de pouvoir que l’on veut détenir et perpétuer. On tentera donc de traduire cette affirmation en prenant une série de réalités et situations susceptibles de mettre en évidence cet aspect sur lequel pas toujours on se penche du point de vue politique. C’est à travers la gestion des corps, « disciplinés et punis » selon les mots de Foucault, que nous pourrons tenter de comprendre la manière dont le pouvoir pénètre, agit et transforme à sa manière les relations sociales. La manipulation des corps, ici comme ailleurs, est une stratégie de domination.

Famines et insuffisances alimentaire

Tout comme dans le Sahel elles sont régulières, cycliques, prévisibles, objet d’échange humanitaire et de marchandage politique à tous les niveaux. Bien sûr on citera l’aspect démographique, climatique, culturel et agricole. Tout est vrai et en quelque sorte estimé inévitable. Les famines et l’insuffisance alimentaire chronique affectent les corps et les rendent « dociles » à ceux qui détiennent le pouvoir de nourrir, de pourvoir les mécanismes de gestion des crises. Entre temps les corps ont été rendus suffisamment aptes et « ouverts » aux stratégies du pouvoir en place qui se présentera soit comme bienfaiteur soit comme courtier ou distributeur de services. Les corps sont devenus des otages de ceux qui pourront les nourrir.

Les prisons

Toujours et partout les prisons sont un système de contrôle social. Parfois une poubelle ou mettre les déchets sociaux, tantôt symbole de la violence légitime de l'Etat et, plus en général, la manière la plus rapide de faire entendre de quel côté penche la justice. Il s’agit de discipliner les corps des détenus, d’inscrire en eux la force de l'Etat, sa manière d’interpréter la justice et surtout de marquer à jamais les marques de sa vision du monde. Il est donc fort compréhensible que tout régime utilise la prison pour punir et « domestiquer » ceux et celles qui se positionnent de manière alternative au système. Le droit de la société d’être protégée par les malfaiteurs  devient un prétexte pour s’arroger le droit de corriger ceux que le pouvoir considère dangereux pour sa vision de société. La détention dans ces lieux de privation de la liberté est une occasion privilégiée pour assoir dans le corps des détenus l’écriture d’une histoire selon le pouvoir. Les journalistes, les activistes sociaux et les récalcitrants sont amenés à la raison : celle du pouvoir en place.

Les migrants et les réfugiés

Les évènements bien connus dans ce domaine sont une autre expression du contrôle sur le mouvement des corps des migrants, sur le droit à la mobilité. On arrête, on détient, on enferme dans les camps, on facilite le retour à la maison, on expulse, on viole et finalement on réprime tout droit. Toutes ces stratégies ne sont qu’une manière d’atteindre le but à travers l’usage de la force et de la violence sur les corps. Un espace comme celui du Sahel et du Sahara, ancien lieu d’échange, de commerce et de mobilité, est désormais soumis aux contraintes sécuritaires dictées par l’Occident et ses complices. On a déjà suffisamment réfléchi sur le phénomène et dans ce contexte on ne veut pas s’y appesantir. Il s’agit avec toute vraisemblance d’un processus de néo-colonisation qui bien dit son nom. Tout comme la colonisation, qui au fond est un contrôle coloniale sur les corps, aussi sur les migrants et les réfugiés ce contrôle se perpétue. Aussi pour les réfugiés, libérés des prisons de la Libye se trouvent hébergés dans des maisons d’accueil qui sont en même temps protection et « reconstruction » de leur identité humaine. Cela se fait surtout dans leur corps, désormais otages du monde humanitaire.

L’éducation scolaire

Toute éducation est un « dressage » en vue de reproduire et perpétuer le système de pouvoir en place. Le démantèlement de l’école publique dans le Pays est un signe en plus donné à ceux qui voudraient penser un autre future pour le Pays. Depuis l’école primaire jusqu’à l’université les conditions de vie des élèves les plus pauvres sont marquées par la privation et des conditions de vie indignes. Les corps sont concernés par le manque de nourriture et un milieu de vie qui ne peut qu’affecter sérieusement le travail scolaire et son efficacité. L’estomac vide est un symptôme et une stratégie parmi les plus simples pour perpétuer l’élite au pouvoir. Même dans ce cas la manipulation des corps joue un rôle fondamental pour la gestion du pouvoir en place.

La santé

C’est un domaine privilégié de contrôle social. La gestion de la santé est la gestion des corps malades. Nous assumons que la maladie aussi est en relation avec la société et sa manière de la percevoir. Le système de délabrement qui affecte bonne partie du service public rend les patients  des victimes sacrificielles sur l’autel du profit des institutions privés. Pendant la maladie le patient est faible, à la merci de la bonne volonté des autres et des institutions concernées. Son corps est un objet de traitement et en même temps il court le risque de se transformer en objet ou marchandise pour la santé et les médicaments. Son corps est traité, domestiqué, soumis à des traitements et finalement rendu docile à la société. Ceci est d’autant plus vrai dans la mesure où le manque d’argent oblige à une quête souvent désespérée auprès des parents et voisins. Cela fragilise davantage la relation avec l’institution qui n’est pas perçue au service des plus faibles mais fonctionnelle aux forts.

Le travail

Les corps des travailleurs dans les mines d’uranium, en particulier, sans oublier les autres mines, or par exemple, où ces corps-là ont été exposés et ensuite sacrifiés au profit de Areva et d’autres entreprises. Des milliers de personnes, dans la totale impunité, ont vu leur corps se contaminer et disparaitre dans le silence assourdissant des marchandages économico-politiques entre l’Etat et les intérêts de la France. Les adultes et par conséquent les enfants, les maisons, la nourriture et l’eau ont subi le même sort. Ces corps ont été vendus au profit et à la politique de chantage des puissants. Les différents régimes, bon gré mal gré ont accepté de livrer les corps de leurs citoyens dans le but de garder le pouvoir et en échange de quelque miette des gains importants accumulés au fil des années. Cela n’est pas terminé et l’opacité des contrats qui persiste ne fait que confirmer l’état de dépendance de la démocratie économique du pays.

La religion

Toute religion a un impact sur les corps des croyants. Depuis le régime alimentaire en passant par les fêtes et les postures du corps dans le culte. Aussi dans ce cas on pourrait parler de discipliner le corps et de le rendre docile aux appels de la religion. Le corps est soumis à un rythme quotidien, hebdomadaire de pression. Il peut être vécu comme une libération ou simplement comme une contrainte. La frontière entre les deux est souvent exiguë. Un corps discipliné est une arme à double tranchant. Il peut se transformer en « chair à canon », en un kamikaze ou en instrument de propagation de paix. Le pouvoir à tout intérêt à manipuler la religion pour son propre fin de maintien du pouvoir. Cela peut s’exprimer dans la facilitation ou dans le contrôle de la religion dans ses expressions sociales et politiques.

La sécurité

Les corps des civils et des militaires sont tombés, nombreux,  ces dernières années à cause du terrorisme qui a affecté et infecté cette zone du Sahel. La violence et la réponse violente à cette violence ne peut qu’engendrer la mort des plus faibles. La tristesse des familles endeuillées et la résilience toujours remarquable des populations ne sauraient faire oublier les centaines des morts entre temps ensevelies dans le sable. Ce domaine est trop important pour le laisser dans les mains des militaires et des « spécialistes ». Ces corps mutilés, brûlés, jetés et perdus sont avant tout un signe éloquent de la violence meurtrière qui a pu trouver un terrain fertile grâce aussi à la complicité idéologique, religieuse et sociale de ceux qui avaient le devoir d’alerter en son temps. Le monopole de la violence de l’Etat risque de se transformer en monopole de la folie tout court. Pour que ces corps ne soient définitivement perdus il faudra tenter un regard différent sur le Sahel, sa militarisation croissante et sur les réalités néocoloniales  qui continuent d’entourer les présences militaires dans cet espace.

Les enfants et la mendicité

C’est une coutume bien connu au pays et ailleurs. La mendicité qui affecte des centaines, voire des milliers d’enfants.  Le ventre vide et le corps des enfants qui marche, demande, souffre de la faim et du manque de conditions satisfaisantes et humaines de vie. Tout cela affecte le corps et l’esprit des enfants et marquera à tout jamais leur vie d’adultes, s’ils ont la chance d’en atteindre l’âge. Cela crée une mentalité, des coutumes, un style de vie et une dépendance qui est l’exact contraire d’une vie digne et responsable. De fait la même mendicité se retrouve dans la société à tous les niveaux, et en particulier lorsqu’il s’agit de demander l’aide internationale et l’intervention du monde humanitaire. C’est la même logique qui se perpétue ailleurs. Les corps des enfants aujourd’hui et des jeunes/adultes demain est déjà « discipliné » par ce type de relation avec la société. Une vie de mendicité pour une société de mendicité.

Les partis politiques et les citoyens

En particulier, dans notre pays de « sable », métaphore de la fragilité et en même temps  de la difficulté à la solidité de la construction, la démocratie est devenue « alimentaire ». Cela ne signifie pas seulement un rapport avec la « politique du ventre » dont parlait François Bayart mais avec la survie politique. En d’autres termes c’est pour pouvoir « manger », avoir un statut, une visibilité reconnue et un statut social. C’est ainsi que l’on comprend le phénomène de « transhumance » des partis politiques bien visible pendant et surtout après les élections dans le pays. Les électeurs, eux, ont été achetés de la même manière : la politique de l’estomac. Il s’agit de réduire ou conserver le peuple dans la pauvreté et la mendicité afin de pouvoir l’acheter au temps opportun. La même vision de démocratie alimentaire affecte les citoyens et les partis politiques. Le pouvoir en place a la possibilité d’assoir sa domination, de sable bien entendu, sur la souveraineté du peuple, en attendant d’être un jour balayé par d’autres prétendants à le remplacer.

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