Elle vient de naitre. Une frontière différente de celles qui l’ont précédées et dont elle avait lu, vu et entendu parler depuis son enfance. On lui avait raconté que les frontières existent depuis toujours et on disait que c’est Dieu qui les avait voulues afin de diviser les nations selon les couleurs et les formes des territoires. Tout le monde l’avait rassurée que la plus-part de celles -ci étaient tout à fait ‘naturelles’. Montagnes, fleuves, mers, cailloux, arbres fruitiers et déserts de sable. Même le ciel, pourtant compliqué à mesurer, avait été choisi par d’autres comme une frontière naturelle entre états voisins. Quelqu’un avait pris des coquillages et en avait fait une sorte de barrière contre des éventuels ennemis. Ce n’est qu’avec le temps qu’elle avait compris que les frontières ‘naturelles’ étaient en réalité inventées comme les autres dont elle avait eu l’occasion de faire l’expérience.
Elle s’était aperçue que toutes les frontières sont bâties par des mains humaines et qu’elles peuvent changer selon à qui le pouvoir revient en moment-là. Avec regret elle avait pu constater que les frontières de papier, en relation avec les documents, les visas d’entré ou de transit n’étaient nullement moins dangereuses que celles tissées par des barbelés ou des compliqués systèmes de control biométrique. Les anciennes fortifications n’avaient pas par autant abandonnées malgré des plus performantes technique de divisions des propriétés. Depuis son enfance, puis, elle avait été frappée par l’extraordinaire capacité d’utiliser les paroles pour les transformer en frontières. Pire encore elle avait pu constater que rien n’était plus divisif et ‘frontal’ comme les mots. Aucun d’entre eux n’est né ‘innocent’ et, avec l’usage et la manipulation, les paroles se changent en barrières, morceaux de verre qui coupe et comme des couteux.
Grace à ses voyages elle avait appris, souvent à ses dépens, le refus de transit des frontières qui lui empêchait d’entrer dans un nouveau territoire, différent de celui de sa naissance. Cela lui avait semblé une grande injustice, comme si les humains étaient des arbres avec des racines tellement profondes qui n’auraient jamais pu bouger ailleurs. S’il en était vraiment ainsi on n’aurait jamais peuplé le monde et ses différents continents. Mais à ce moment-là les frontières n’avaient pas encore été inventées et cela a continué pendant longtemps. Après les guerres ont commencé et avec elles l’accumulation des richesses, les territoires à accaparer et les armées à définir. Il fut ainsi que, selon elle, les frontières ont pris pied et se trouvent à être comme celles que nous connaissons de nos jours. Elle avait même entendu dire que c’est les ‘bon murs ceux qui font des bon voisins’.
Heureusement elle avait entendu un autre proverbe qui en revanche affirmait que ‘qui n’a pas de clôtures n’a pas d’ennemis’. Mais pas tout le monde pensait ainsi et alors les murs ont commencé à foisonner et prospérer partout dans ce monde si étrange. Clôtures de fer, murs en béton armé, de cailloux, d’imaginaire et d’instruments électroniques, tout est bon. Les murs font désormais partie du paysage que les personnes et les états ont assumé comme un instrument pour se doter d’une identité, une histoire et surtout d’une politique. Elle en avait la certitude. Les frontières ne sont que l’application à la géographie du pouvoir militaire de l’argent. Un auteur dont le nom l’échappait (Yves Lacoste peut être), ne disait-il pas que la géographie sert à faire la guerre ? Au fond il n’avait pas tort si on regarde à la manière dont on a débuté la plus- part des conflits armés. L’histoire du monde est désormais l’histoire des murs.
En conclusion notre frontière s’était enrichies avec des remarquables expériences. Ne lui avait pas échappé l’existence des frontières ‘invisibles’, qui, selon son opinion, étaient peut- être le plus tragiques. Elles étaient bien réelles et indéfinissables à la fois. Il était suffisant d’un regard pour créer une barrière infranchissable à la rencontre avec l’autre et puis, fatalement, la suspicion, la méfiance, la peur et finalement la division s’installaient. Son choix était maturé avec le temps, l’expérience et la chance de croiser tout genre de frontières frustrés par leur travail. Elle savait pertinemment qu’il aurait été difficile de la comprendre et mois encore de partager son choix. Elle en avait parlé avec sa meilleure amie qui l’avait à son tour encouragée. Elle avait choisi de DESERTER et depuis lors on a perdu ses traces. Ce n’est que les migrants qui sont les dernières à affirmer de l’avoir vue.