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Billet de blog 4 avril 2022

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Un privilège immérité : once ans au Niger

Etranger par choix est un grand métier. Passent les Pays et glissent les visages rencontrés comme dans un conte où les personnages cherchent leur auteur. Parfois ils se mélangent dans la mémoire qui, nous le savons, est plutôt sélective et garde dans son archive tout ce qu’il faut pour ne pas se perdre dans le monde du passé.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Etranger par choix est un grand métier. Passent les Pays et glissent les visages rencontrés comme dans un conte où les personnages cherchent leur auteur. Parfois ils se mélangent dans la mémoire qui, nous le savons, est plutôt sélective et garde dans son archive tout ce qu’il faut pour ne pas se perdre dans le monde du passé. Etranger en Côte d’Ivoire, en Argentine, au Libéria et, enfin, au Niger, Pays encastré dans le Sahel comme une terre de passage. Vivre en étrangers d’adoption n’est pas une habitude, on pourra tout au plus l’oublier, par moments. Etranger et donc externe ou mieux…étrange, du latin et du vieux français ‘estrangier’. Il s’agit d’une place privilégiée car définie par des limites, des marges et des frontières qui se présentent comme mobiles, nomades et négociables. Néanmoins je me trouve en bonne compagnie parce que, selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés HCR, l’année passée les personnes qui ont fait cette expérience d’étrangement, souvent sans l’avoir voulu, a atteint le chiffre de 84 millions. Si l’on formait un Pays à part avec eux, il serait le dix-septième plus grand du monde, juste avant l’Iran ou l’Allemagne. Je suis citoyen de ce Pays ça fait déjà une vie.

Etranger par choix depuis once ans au Niger je me découvre, tout comme dans les Pays habités avant de celui-ci, comme un privilégié. Avant tout par le lieu, le Sahel, complexe et aussi pour cela séduisant. Son nom signifie ‘rivage’ et donc marge de la plus grande mer désertique du monde appelée Sahara. Un Pays, le Niger, marginal dans tous les sens car, entre autre, il est classé presque systématiquement bon dernier dans la liste mondiale du développement humain. Vivre en marginal dans un Pays marginal c’est le premier des privilèges car c’est à partir des marges, des frontières, naissent les nouveautés pour tous. Le privilège est lié aussi au moment que l’on vit et qui se présente convulsionné, dangereux et menaçant. Pourtant riche de prophétie car le monde nouveau, s’il viendra, sera un mélange de sable et de vent, de terre et de ciel. Les églises brulées en 2015 à Zinder et Niamey, l’enlèvement du Père Pierluigi Maccalli trois ans plus tard et avec lui des centaines de citoyens locaux, les déplacés internes, les famines qui s’annoncent et la violence armée qui ne finit pas sont les signes de ce désarrois. On a parfois l’impression que ce qu’on vit n’est qu’ une ‘parabole’, un symbole des contradictions du monde entier. Les migrants qui traversent le Niger ils l’ont appris par cœur. Ils sont en effet, comme le ‘miroir’ de notre temps où l’argent et les nouvelles circulent sans problèmes et les pauvres sont bloqués et considérés des criminels.

Etranger par choix et donc conscient résident du pays numéro 17 dans la liste mentionnée, on se perçoit comme étrangers partout, y compris chez soi et avec son propre peuple. Etrange, externe, étranger comme quelqu’un à qui on rappelle son ‘étrangeté’ quand par aventure il tentait de l’oublier. Il vit alors, l’étranger, l’expérience unique de la précarité dans l’hospitalité, provisoire et toujours conditionnée à la bienveillance de celui qui l’accueille. Cela représente une révélation essentielle de notre condition humaine constitutive : étrangers résidents prêts à partir ailleurs. Le privilège de la fragilité, dont le sable est la métaphore incontournable, nous offre, avec la pauvreté, l’opportunité d’un regard sur la réalité qui n’a pas de prix. En effet, c’est seulement avec les pauvres, à partir d’eux et avec leurs yeux, prêtés gratuitement à ceux qui décident de partager leur sort comme des complices, qu’on pourra distinguer la vérité dans l’histoire humaine dont ils ont la clé. Nous sommes, au Niger, le Pays le plus jeune et le plus fécond du monde, nous avons des enfants, des paysans, des mendiants, des agences onusiennes, huit rwandais que personne ne veut, couloirs humanitaires, groupes armés, crises alimentaires cycliques et mariages qui durent très peu. Rester ‘ensablé’ ici, un chantier d’humanité en action, c’est un privilège qu’on ne saurait rater aussi parce que le mois de Ramadan vient de débuter. Une des agences de téléphonie de la place propose, par SMS, l’envoie des versets coraniques pendant le mois et un bonus spécial pour qui fera une recharge du portable dans les trois jours.

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