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Billet de blog 9 août 2021

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Les ‘desaparecidos’ du Sahel et l’indignation disparue

Tristement à la une pendant les régimes militaires d’Amérique Latine, les ‘desaparecidos’, les disparus n’ont jamais abandonné la scène. Ils sont absent comme jamais dans la chronique quotidienne de notre temps que l’on voudrait faire passer comme vraie histoire. Pendant mon séjour en Argentine le thème de la mémoire était devenu crucial

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tristement à la une pendant les régimes militaires d’Amérique Latine, les ‘desaparecidos’, les disparus n’ont jamais abandonné la scène. Ils sont absent comme jamais dans la chronique quotidienne de notre temps que l’on voudrait faire passer comme vraie histoire. Pendant mon séjour en Argentine le thème de la mémoire était devenu crucial et les marches pour la revendiquer au début n’étaient pas participées. Dans la ville de Còrdoba, par exemple, les marches faisaient assez de bruit mais les militaires qui les escortaient étaient plus nombreux que les militants. Un des conjoints, fils ou filles, neveux, cousins ou simplement des amis,  marchaient pour faire mémoire des familiers disparus dans les années de la dictature militaire. En effet dans plusieurs Pays de l’Amérique Latine on avait lancé l’opération ‘Condor’ qui, avec les universitaires de Chicago, visait à ‘normaliser’ le continent et instaurer un régime néolibéral partout. C’est après que l’on découvrit l’existence des listes de personnes à éliminer, des lieux de torture et les minables ‘vols de a mort’ dans lesquels les ‘indésirables’ étaient jetés dans la mer depuis l’avion afin de ne laisser aucune trace.  

L’époque des disparus, des absents, des invisibles, des effacés, des otages, en un mot, des ‘desaparecidos’ n’est pas terminé. Ils apparaissent et puis disparaissent vite selon les intérêts, les opportunités, les nécessités ou simplement par hasard. L’important c’est qu’ils ne dérangent pas, qui ne gênent pas, qui ne questionnent pas le système établi, qu’ils ne passent pas la frontière qu’on leur a assignée et destinée par la force des choses. Les migrants, les réfugiés, les déplacés, les paysans et les éleveurs, les chercheurs d’or, les ‘talibés’, les enfants dans la rue, les prisonniers, les mendiants, les victimes de la traite et en général les pauvres, sont ceux qui représentent cet étrange et constant phénomène social. L’histoire est faite par les disparus, l’écrivent les vainqueurs et c’est le vent qui raconte au sable qui tout couvre et garde. Prenons, par exemple, les migrants qui ont été pendant un moment au-devant de la scène. Ensuite avec l’externalisation des frontières européennes, les contrôles systématiques de qui ose appliquer le droit à la mobilité, avec le risque des routes plus dangereuses et le rôle ‘paternel’ de l’OIM pour les amener librement à la case départ où tout semble se terminer dans l’oubli. Les retournés disparaissent quitte à les revoir l’année suivante sur la même route…

Bon nombre de réfugiés des Pays qui souffrent des conflits armés ont trouvé asile au Niger. Ils arrivent des Pays voisins et parfois plus lointains pour tenter de reconstruire leur présent avec les ruines du passé et les espérances du future. Ils se trouvent, parfois pendant des années, en attente dans des maison de transit, d’accueil, d’orientation, de protection ou dans des camps confectionnés pour mieux les servir et les contrôler. Certains d’entre eux viennent des lieux de détention, des travaux forcés et des tortures en Libye par des vols et des ‘couloirs humanitaires’ qui, d’ailleurs, ne questionnent par les politiques qui sont à la base de ce phénomène. Ils disparaissent à leur tour de la vue et de l’intérêt de ceux qui ne sont pas concernés et, parfois, pour exister sont obligés à organiser des ‘sit-in’ devant les bureaux de l’HCR. Quant aux paysans et aux éleveurs, entre les problèmes lié à la terre, à la transhumance et à l’usage des points d’eau, ils apparaissent seulement lorsque le conflit pour l’un des éléments cités conduit à la violence armée. C’est alors qu’ils deviennent ‘visibles’ grâce aussi aux accusations de complicité, de la part des éleveurs, avec les groupes armés terroristes.

Dans une récente interview le Commissaire pour l’Energie et les Mines pour l’Afrique Occidentale, faisait noter que le 10 pour cent de la population du Niger, Mali et Faso, dépend de l’exploitation des mines d’or artisanales. Avec plus de mille mines ‘informelles’ cette activité atteint la moitié de l’exploitation aurifère assurée par les Compagnies légalement reconnues. Les mineurs, beaucoup d’entre eux des enfants, disparaissent dans les mines creusées et échafaudées avec des matériels de fortune. De la même manière disparaissent du regard, par habitude, les enfants disciples des écoles coraniques, que les marabouts envoient quotidiennement mendier sur les routes des capitales du Sahel. Ils disparaissent comme les enfants qui se cachent la nuit dans les rues et les marchés de la ville. Effacés, par contre, se trouvent les centaines de détenus dans les cellules saturés des prisons, avec peu de nourriture et encore moins d’assistance sanitaire. Disparus les droits humains il ne reste que l’espace pour la charité qui, quand elle ne marche pas avec la justice, se transforme en ‘ambulance’ du système. La mendicité est interdite par décret mais les mendiants existent encore et redeviennent ‘visibles’ aux carrefours ou aux ronds- points qui font désormais partie de notre paysage domestique. Les victimes de la traite, femmes en particulier, ont disparu et s’est seulement grâce à quelque ONG qui opère tant qu’il y a l’argent pour le projet, qu’elles retournent à exister. Quant aux pauvres, ceux qui enrichissent pas mal d’Organismes, par le fait d’exister et de se perpétuer, ils disparaissent lorsque leur présence devient superflue. Toutes ces disparitions, et bien d’autres, arrivent parce que, en réalité et en relation avec l’usage politique de la Covid, certains aspects de la vie sociale ont disparu. Il s’agit de la planifié et disparition des ‘classes sociales’, de la démocratie, de la justice et de l’indignation pour le vol de la dignité. Ces quatre conditions ‘desaparecidas’ sont à la base des autres disparitions. Les marches de la mémoire n’ont pas terminé d’être actuelles et nécessaires. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.