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Billet de blog 11 octobre 2021

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Jonathan le menuisier et le fils de Dieu

De métier menuisier, Jonathan n’avais pas eu le temps d’attendre. Terminé sa formation professionnelle au Togo, son Pays natal, il est vite parti pour l’Algérie en cherche de travail depuis 2016. Il se trouvait dans un chantier de construction et il gagnait le suffisant pour lui et sa famille lointaine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De métier menuisier, Jonathan n’avais pas eu le temps d’attendre. Terminé sa formation professionnelle au Togo, son Pays natal, il est vite parti pour l’Algérie en cherche de travail depuis 2016. Il se trouvait dans un chantier de construction et il gagnait le suffisant pour lui et sa famille lointaine. Refoulé du Pays il retourne dans sa patrie et cherche, sans succès, un travail compatible avec sa formation technique. Sans connaissances, comme partout dans le monde, il n’est pas facile d’en trouver et il en fut ainsi que l’idée de repartir s’est creusé un chemin dans son esprit. Cette fois-ci la destination était l’Europe de la multitude de rêves racontés par ceux qui ne sont jamais partis. Jonathan retourne en Algérie en 2019. Malgré tous ses efforts il n’arrive même pas à atteindre la frontière avec le Maroc, militarisée depuis longtemps et il ne lui reste que travailler dans un chantier en tant que coffreur de béton armé. En Algérie ce qui est ‘armée’ est une partie de la société qui, après avoir exploité les migrants comme main d’œuvre bon marché, continue de les expulser dans le désert. Jonathan quitte définitivement l’Algérie et chemine la route de retour. Alger, Tamanrasset, In Guezam, Assamaka, Arlit, Agadez et finalement Niamey.

La mère de son fils, Eugénie, n’était pas d’accord avec son projet migratoire. Elle craignait de ne plus le voir, comme époux et comme père de son unique enfant, conçu il y a sept ans de cela. Elle avait entendu de très mauvaises nouvelles concernant la mer et quelqu’un lui avait signifié que la Méditerranée, à cause surtout des politiques restrictives de la mobilité, c’était transformé en une seule et grande ‘fosse commune’. Elle craignait plus que tout la disparition du père de son fils qui ne cessait de demander où se trouvait l’absent. Papa reviendra vite et il ne partira plus, disait Eugénie au seul fils du menuisier sans travail qui retourne au Pays avec deux sacs caressés de poussière. Jonathan ne regrette rien de son vécu car ses yeux ont vu le désert, ont effleuré des frontières, caressé la mer et rêvé un monde trop loin du sien. Dans le sac plus petit il a mis pêle-mêle les souvenirs de ses voyages d’aller, expulsion et retour. Dans l’autre plus grand il a rangé avec soin, avec des nouveaux habits pour sa femme et son enfant, le futur qu’il ne connait pas dans le Pays qu’il a jeté ailleurs. Les deux sacs de Jonathan sont une parabole de son passé et de son futur, consacrés par la saveur du vent.

Jonathan ne recommence pas du néant ! De métier menuisier en cherche de travail, caressant dans son esprit des paysages lointains et son état civil de marié avec un enfant de sept ans qui a commencé l’école. Jonathan s’est formé chez les salésiens qui opèrent dans son Pays le Togo, cousu sur la côte atlantique de la traite des esclaves. L’actuel président du Pays, qui continue la dynastie de son père a réussi dans le pari de continuer l’esclavage mais sur son peuple. Jonathan, à sa manière, a cherché, sans atteindre le but, de parcourir un sentier différent. Lui, jeune menuisier en cherche de travail, trouvera son fils qui a grandi, avec le nom qu’on lui a donné avant de partir. Ils l’ont appelé, par inspiration ou pas habitude, Godson, fils de Dieu.

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