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Billet de blog 12 juin 2018

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Quand le renard perd le poil mais pas le vice: nous sommes tous Mamoudou

Il était passé par le Niger. Mamoudou Gassama aurait pu disparaitre comme un inconnu au désert ou dans la mer Méditerranée, complice occasionnelle des migrants. On aurait pu l’emprisonner, voler et finalement renvoyer dans son pays natal, le Mali, dans n’importe quelle frontière qu’il a défiée pour atteindre la France.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il était passé par le Niger. Mamoudou Gassama aurait pu disparaitre comme un inconnu au désert ou dans la mer Méditerranée, complice occasionnelle des migrants. On aurait pu l’emprisonner, voler et finalement renvoyer dans son pays natal, le Mali, dans n’importe quelle frontière qu’il a défiée pour atteindre la France. Nous vous le disions que les Mamoudou arrivaient pour vous sauver et vous ne vouliez pas nous croire. Maintenant que le gouvernement français lui a promis la naturalisation pour avoir secouru un enfant en danger de vie vous nous donnerez raison. Ici au Sahel nous formons des grimpeurs de palais, collecteurs de fruits, vendeurs de journaux, techniciens de laboratoire, infirmiers, danseurs, inventeurs de frontières, peintres, trapézistes, mendiants et footballeurs pour votre sélection. Nous faisons de notre mieux afin de vous contenter et nous rendre utiles à votre mission de civilisation de l’Afrique. Parce que vous avez peut-être perdu le poil mais non le vice colonial. Ce dernier vous accompagne toujours et vous le transmettez aux nouvelles générations. Celles, justement, que nous sauvons en défiant la force de gravité de vos politiques qui condamnent les humains pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils font.

Nous sommes tous Mamoudou. Vous nous avez fait l’aumône d’un document qui nous permettra de passer sur vos routes la tête haute. Comme des héros parce que un Mamoudou quelconque de 22 ans a pris par la main un de vos enfants destiné à précipiter dans le vide. Jusqu’à votre président, qui vous représente, nous a reçus avec tous les honneurs. Vous pensez de nous ‘régulariser’ avec un bout de papier et puis, dans trois mois, vous nous livrerez un permis de séjour de la durée de 10 ans. Et finalement vous voudriez nous ‘naturaliser’ pour que nous devenions un comme vous. Vous n’y réussirez pas parce que nous resterons différents de vous. Avec nos mains nues, les mêmes que nous avons porté de loin, nous pourrons grimper vos palais, qui ne sont pas différents des barbelés que vous avez placés à vos frontières. Pendant des années nous nous sommes entrainés à les grimper, de jour et de nuit. Voilà pourquoi nous pourront escalader vos montagnes d’indifférence et d’hypocrisie qui condamne la solidarité. Le délit de solidarité avec lequel vous jugez et condamnez ceux qui sauvent nos vies vous ne l’avez pas appliqué avec Mamoudou. Vous êtes donc coupables de complicité dans la création d’un monde sans fraternité.

Votre président Macron, qui, tout comme les autres présidents, affirme que la France n’a pas pour vocation à accueillir toute la misère du monde, nous a reçus et nous a félicités. Autres, moins importants que lui, voulaient nous donner une médaille, la légion de cet honneur que vous avez perdu pour toujours pendant l’épopée coloniale jusqu’au aujourd’hui. En revanche vous n’avez pas perdu le vice de vous mettre, vous et votre monde comme exemple de civilisation et seul critère de l’histoire. Vous avez simplement échoué et, avec vous, les droits que pourtant vous appelez civiles mais qui en réalité sont inciviles. Vous nous avez offert un contrat de 10 mois comme apprentis Sapeur-Pompier pour nous faire éteindre les incendies que notre présence propage. Vous n’y réussirez pas, en soyez certains. Avec Mamoudou nous sommes partis en 2013, nous avons employé 5 ans afin de vous rejoindre et sauver. Un an en plus de l’enfant français suspendu dans le vide. Une main attache à la terrasse et l’autre saisie pour lui donner la vie que le lâchait ce soir-là dans votre capitale. La maire de Paris a reconnu la valeur héroïque de notre action.

Nous sommes des héros sans documents. Pour ceux comme nous, irrégulier, illégaux, clandestins et sans doute criminels, la seule porte possible est celle de sortie. C’est cela la dé-port- action au pays d’arrivé. Vous nous avez baptisés récemment les "dublinés", du nom de la capital de l’Irlande ou vous avez décidé notre identité. Le lieu de débarquement est aussi celui de la déportation et ensuite de réadmission au pays de nos origines. Vous nous avez donné 10 mois de sursis avec les Sapeurs-Pompiers, un permis de séjour et un jour votre nationalité. Comment ne pas croire aux contes.

                                                                                                        Mauro Armanino, Niamey, juin 2018

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