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Billet de blog 13 décembre 2021

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Les pères absentés et les lunettes mises au rebut

Elle est née en Côte d’Ivoire le jour de Noel du siècle passé. Pour quelque jeu du destin ou pour ne pas tomber dans la banalité, on l’a appelée ‘Pascaline’, nom du jour de Pâques.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elle est née en Côte d’Ivoire le jour de Noel du siècle passé. Pour quelque jeu du destin ou pour ne pas tomber dans la banalité, on l’a appelée ‘Pascaline’, nom du jour de Pâques. Née dans la même région de l’ancien président Laurent Gbagbo, elle a été forcée de fuir le Pays car persécutée à cause de son appartenance ethnique. Ils l’avaient menacée de mort et puis brulé sa maison. Pascaline a fui avec un garçon et une fille qu’elle n’a pas accouchée : les deux nés de deux pères différents. Elle est restée un temps au Ghana et, de frontière en frontière, est finalement arrivée au Togo, Pays francophone, l’année suivante. Là elle a obtenu la protection humanitaire et a été installée dans un grand camp construit par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés pendant 11 ans. En Côte d’Ivoire, avant l’éclatement de la guerre, Pascaline avait connu le papa de l’enfant qu’elle n’a pas conçu et amené en exile. Lui vivait et travaillait en Italie et avait promis de la conduire avec lui, le jour de son retour en Europe. Un matin il a disparu sans laisser aucune trace et a laissé à Pascaline son enfant comme gage d’un retour qui n’a jamais eu lieu. Pour ce qui est de la petite, elle est la fille d’une nièce qui est restée sans mari à cause de la guerre au Pays.

Pascaline était malade et avait l’impression que, dans le camp des réfugiés ivoiriens où elle se trouvait, l’on ne s’occupait pas de soigner sa maladie. Elle laisse les deux enfants, qui entre temps ont bien grandit, à une lointaine cousine et parts, avec sa carte de réfugiée et un sac à Niame avec le but d’être consultée et soignée. Le Haut- Commissariat pour les Réfugiés estime ne pas pouvoir intervenir et alors, après quelques mois passé auprès de l’Organisation Internationale des Migrations, elle a demandé et obtenu d’être rapatriée au Pays. La fille de sa nièce, qu’elle avait amenée lors de sa fuite, s’appelle Mireille et, pendant son séjour au camp, a donné la vie à une petite dont le papa, aussi dans ce cas, a disparu la laissant seule. Mireille, elle-même sans père, s’est donc retrouvée avec une fille dont le papa s’est absenté. Elle a appelé sa fille Jade, nom d’une pierre précieuse de l’Orient. Pascaline est partie le mardi matin avec un vol direct à Abidjan, la capitale économique de la Cote d’Ivoire.  Elle retourne dans sa patrie après 11 ans car sa vie a été menacée. Ni elle ni le Pays ne sont plus les mêmes. Les trois enfants restés au Togo pourront la rejoindre bientôt.

Le jour avant son voyage, Pascaline, avec un beau sourire, passe saluer et remercier pour l’aide. A cause des yeux un peu fatigués elle n’arrive pas à voir convenablement mais elle est contente car à l’OIM on a pris soin d’elle. Il lui est maintenant difficile de ‘lire’ sa vie et ce qui l’attend au Pays dans lequel est née, un jour de Noel le millénaire passé. Elle prend son temps pour choisir une paire de lunettes mises au rebut et, plus que les lentilles elle prend soin de choisir des montures élégantes. Elle demande ensuite l’adresse d’un courrier électronique que jamais elle n’utilisera et promet solennellement d’appeler une fois arrivée au Pays qu’elle a laissé il y a de cela 11 ans. Elle ne se plaint pas non plus des pères absentés auxquels elle semble habituée. D’autre part, celui des pères absentés, n’est pas un phénomène nouveau. Les Pères de la Constitution, de la Démocratie, de l’Indépendance, de la Nation et des Explorations des sages utopies ont disparu. Des pères absentés et disparus par habitude, couardise, insouciance ou négligence de tout ce qui pourrait donner un sens et une direction à l’histoire contemporaine.  

Elle, appelée Pascaline et née le jour de Noel, souri et choisi, avant de partir, une paire de lunette avec une belle monture, mises à rebut.

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