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Billet de blog 15 août 2021

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Migrer dans le silence : Emmanuel retourne au Pays

Emmanuel est sourd muet depuis sa naissance, le 23 aout de 1983 à Ibadan, dans l’Etat d’Oyo au Nigéria. Il a déclaré avoir accepté l’aide offerte par le Service Social ‘Rencontre et Développement’ d’Alger, pour un retour ‘volontaire’ au Nigéria.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Emmanuel est sourd muet depuis sa naissance, le 23 aout de 1983 à Ibadan, dans l’Etat d’Oyo au Nigéria. Il a déclaré avoir accepté l’aide offerte par le Service Social ‘Rencontre et Développement’ d’Alger, pour un retour ‘volontaire’ au Nigéria. Il arrive à Niamey passant par Tamanrasset, la station ‘Niger’ sur la route qui mène au Niger de Tamanrasset à In Guezzam. De là il a pris une 4x4 jusqu’à Agadez et finalement Niamey, qu’Emmanuel atteint le jour suivant son départ de la capitale régionale des migrants. Emmanuel ne parle pas et n’entend pas mais a pu voyager, avec un ami, depuis le Nigéria jusqu’en Algérie. De Lagos, capitale économique de son Pays, à Lomé d’où il arrive au Burkina Faso et puis Gao au Mali avant d’entrer en Algérie. Emmanuel est parti ce matin à 3 heures de Niamey pour Cotonou au Bénin et par la suite il fera de son mieux pour franchir la frontière avec le Nigéria et retourner à Lagos, son point de départ.

Ses parents sont déjà vieux et lui est marié avec trois enfants qui se trouvent à Lagos avec leur maman. Avec son ami ils voulaient arriver au Maroc, Pays que son compagnon a pu atteindre passant la frontière. Il a informé les siens une fois en Algérie et aussitôt après il a pu commencer à travailler comme carreleur dans la capitale Alger. L’ami l’a trahi et, pour compléter le désarroi, Emmanuel a été attaqué et volé de tout ce qu’il avait avec lui. Son passeport, sa carte d’identité, son portable et tout l’argent qu’il avait gagné en travaillant. Cela s’est passé dans le mois de juin. Ce mois d’aout Emmanuel décide de demander de l’aide à l’Association pour retourner à la maison et fêter en famille ses 38 ans d’utopie migrante. Pour communiquer avec lui il a suffi une feuille, un Bic et le temps pour écouter son silence.

Sa femme travaille à Maza Maza, qui se trouve à la périphérie de Lagos et que, en langue houssa signifie ‘faire vite les choses’ : c’est ce qu’Emmanuel a tenté de faire.  Il pense d’aller la saluer avant de voir ses parents à Ibadan. Son premier nom, tiré de la tradition Yorouba est Adediran, qui signifie ‘la couronne me revient’ et son deuxième nom est Aluwadare qui correspond à ‘Dieu m’a justifié’. A ces noms on a ajouté celui d’Emmanuel, ‘Dieu est avec nous’, dans les langues sémitiques et qui complète les noms qui ont marqué son parcours migratoire. La sienne a été une brève et royale couronne de sable qu’il a gagné traversant le désert du Sahara. Un roi quelconque comme chaque migrant sait de mériter en courant derrière la mer, les montagnes et les déserts. Tout cela pour une couronne de sable que personne ne pourra leur arracher. Emmanuel, dans son monde assiège par le silence, retourne chez lui avec une couronne qu’il a soigneusement cachée dans l’unique sac qui lui reste du long voyage effectué.

L’autre nom Yorouba, Aluwadare, implique aussi Dieu qui l’a justifié. Après avoir été trahi par l’ami avec qui il avait voyagé et puis attaqué et volé à Alger, Emmanuel attend de Dieu une justice qui d’habitude arrive bien en retard. Ce qui pourrait le sauver c’est donc son dernier nom, Emmanuel, en hébreux ‘Dieu est avec nous’, chose que tout migrant connait par cœur et que l’on n’oublie pas. Lui-même, avant de partir de Niamey, a écrit su un bout de papier le message que voici…’Je ne saurai pas quoi dire…je n’ai pas l’argent pour aller de Cotonou à Lagos et pour cela j’aimerai que tu pries pour moi avant de quitter ce Pays. Merci pour avoir pris soin de moi, je prie Dieu de te bénir’.  Emmanuel, avec une couronne invisible dans le sac, dans l’attente d’une justice qui se fera un jour, retourne chez lui pour célébrer son anniversaire. Ses enfants chanteront pour lui.

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