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Billet de blog 22 avril 2019

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Cathédrales de sable dans le Sahel

Les véritables cathédrales sont de sable. Rien à voir avec celle de Paris, bâtie sur la pierre et par des siècles qui donnent l’impression de ne rien oublier. Rois, princes, papes, empereurs, gens communes, marchands, fidèles, passants et banquiers, tous sont entrés par la même porte

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les véritables cathédrales sont de sable. Rien à voir avec celle de Paris, bâtie sur la pierre et par des siècles qui donnent l’impression de ne rien oublier. Rois, princes, papes, empereurs, gens communes, marchands, fidèles, passants et banquiers, tous sont entrés par la même porte. Néanmoins aucune cathédrale, malgré les rêves d’éternité, n’est destinée à durer pour toujours. Quelque siècle ou des millénaires et puis, inexorables, le sable et la cendre prendrons le dessus sur les attentes des restaurations visant à garder l’originel. Chez nous au Sahel cela est claire et c’est pour cela que, depuis le début on ne bâti que sur du sable, signe de éternelle fragilité et provisoire pérennité. Aussi à Niamey, depuis quelque temps, on ne fait que construire sans arrêt ce qui, au fond, ne sert en rien la vie réelle des habitants de la capitale. Hôtels de luxe, hôpitaux de référence pour une infime portion de clients, routes d’excellence et futuristes universités islamiques pour les femmes. C’est cela et bien d’autres choses que le régime actuel propose et impose aux communs citoyens de notre Pays, fondé lui-même sur le sable. Nos cathédrales et lieux de culte sont différents et ne sont rien d’autre que du sable que le vent garde débout. Ils durent le temps qu’il faut et ils n’ont pas l’ambition à se pérenniser comme ceux de pierre. Ils sont, en cela, beaucoup plus adhérent à la réalité, aux saisons de la vie et à l’histoire, toutes choses qui ne durent qu’une semaine ou un peu plus.

Nous savons bien ce que le feu, les cendres et la destruction des églises. Le 16 et 17 janvier de 2015 à Zinder d’abord et à Niamey le jour suivant, les lieux de culte ont été frappés par le feu destructeur des fanatiques peut être payés par le système. Il y a avait eu l’effet ‘Charlie Hebdo’ à Paris et une bonne partie de la population locale n’avait pas du tout compris que le Président puisse affirmer d’être lui aussi ‘Charlie’. Nous connaissons donc la douleur et la destruction des églises, lieux de culte, de rencontre, d’identité et de présence pour des communautés fragiles dans un contexte d’hégémonie culturelle musulmane. Certaines églises venaient juste d’être rénovées ou achevées avec la participation des fidèles et des aides extérieures. L’attaque de bandes des jeunes guidés par des adultes avait été perçue comme une trahison de la confiance dans le dialogue quotidien avec les voisins. Tout est sable, aussi la confiance entre personnes qu’on présumait sacrée et donc fragile comme une promesse non gardée.

Tout est parti en fumée en quelques heures ce samedi matin. Seulement la cathédrale catholique de Niamey a pu être sauvée avec l’aide des militaires après deux heures de combats acharnés. Nous savons ce que signifient la désolation des lieux de culte vandalisés, les statues en morceaux sans forme. Nous comprenons bien ce qu’est la douleur pour la perte de ce qu’on estimait beaucoup. Seulement le sable compte. Nous ne pouvons pas oublier que ce qui s’est passé à la cathédrale de Paris arrive tous les jours dans l’autre Cathédrale. Femmes, enfants, jeunes, adultes et vieux, tous des véritables Cathédrales, brulés et dépecés par des bombes, des drones armés, des armes sophistiquées et des armes légères. Visages défigurés par le feu et la cendre en Libye, au Yémen, en Syrie, en Palestine, en Afghanistan, au Sri Lanka et dans bien d’autres lieux inconnus de torture. Les otages du Sahel sont prêtés au sable depuis des mois.

Nous, ici au Sahel, faisons partie de cette Cathédrale qui est chaque jour profanée par des tueries et des vendeurs d’armes. L’autre cathédrale, celle de Paris, n’est que pierres, bois et illustre histoire et au fond inutile : elle devrait laisser la place à la première. La même indignation, tristesse et le sens de perte d’un bien si précieux devrait également être ressenti, avec la même intensité, pour la Cathédrale qui est bâtie sur des disparus et des souffrances, une Cathédrale humaine composée par des visages. C’est des visages de sable que personne n’oserait déclarer éternels. Rien de tout ce que nous construisons ne saura défier le temps. Les palais pour tromper les citoyens, les rails d’un train qui ne partira jamais, les universités tristement absentes du débat, tout cela c’est une pièce de théâtre écrite sur le sable. Pour cela ici chez-nous on ne se fait guère d’illusions. Le future n’appartient qu’au sable

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