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Billet de blog 23 mars 2021

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Confinements, deconfinements et trois jouets dans le Sahel

Il les a déposés d’un geste naturel sur le tombeau de terre d’ Aliya, décédée il y a deux mois de cela. Un petit poisson, une trompette et un oiseau. Voici les jouets d’enfants que Johnson, lui-même gravement malade, a mis sur la terre encore fraiche d’enterrement.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il les a déposés d’un geste naturel sur le tombeau de terre d’ Aliya, décédée il y a deux mois de cela. Un petit poisson, une trompette et un oiseau. Voici les jouets d’enfants que Johnson, lui-même gravement malade, a mis sur la terre encore fraiche d’enterrement. Un geste de tendresse sans limites car Aliya, n’importe où se trouve en ce moment, puisse apprendre à jouer ce que, pendant son, trop brève, existence, n’a pas pu faire auparavant. A côté des jouets en plastique colorée, une croix de fer planté dans la terre, ‘deconfinée’ comme toutes les croix des cimetières et de l’histoire humaine. Ils seront ensemble pour toujours, les jouets et la croix, la mince couche de ciment étalé sur la terre comme un deuxième ventre dans l’attente d’éclore. Les fleurs et les branches plantées il y a peu étaient déjà sèches à cause du vent qui souffle ces jours-ci sur Niamey, la capitale. Egalement ‘deconfinée’ nous sonne l’aventure de Patrick, originaire de la RDC qu’il a abandonnée en 2005 pour aller ailleurs chercher la vie qu’il avait égaré dans sa patrie. Quelque quinze ans en Algérie, d’abord étudiant et puis travaillant et finalement cherchant de traverser la mer afin d’atteindre l’Europe de tous les rêves. Arrêté, expulsé et déporté de l’Algérie il se trouve présentement à Niamey, ôte de l’Organisation Internationale des Migrations, depuis trois mois dans l’attente de son retour au Pays. Il ne regrette nullement son vécu et il affirme la volonté de se ‘reconstruire’ après tout ce temps. Les tentatives échouées de voyager en Europe et le ‘racisme’ de certains algériens qui lui ont tout volé l’étonne encore. Il est surpris que l’Union Africaine ne dise rien de cela aux gouvernants d’Algérie à propos du traitement que l’on réserve, dans ce pays, aux migrants et réfugiés. ‘Tu n’es arrivé avec rien et tu quitteras sans rien’, voilà la logique des forces de l’ordre qui est à la base de la confiscation des biens que les étrangers ont mis à coté au cours des années de dur et souvent exploité labour dans le Pays. Il s’agit d’injustices ‘deconfinées’ qui crient dans le désert de l’indifférence des politiciens et de la société civile.D’autre part pourquoi se plaindre. On a ‘joué’ à confiner peuples, migrants, désirs de transformation, soif de justice et tentatives fragiles d’appropriation de dignité. On a multiplié les murs, les clôtures, les systèmes de control, radars, drones, traçage de ‘clandestin’, banque de données, biométries et armes chaque fois plus sophistiquées et numérisées. Nous avons, pendant des décennies, creusé des tranchées, tracé des barrières, dessiné mers et déserts comme des frontières et finalement c’est à nous que tout cela arrive. Nous nous trouvons confinés mentalement, socialement, économiquement et surtout humainement par des choix politiques qui se trouvent à la merci d’intérêts idéologiques et monétaires. Cela devait nous arriver afin d’éprouver dans notre peau ce qu’entre temps nous avions oublié. Que dans cette vie et qui sait dans l’autre, nous sommes tous des migrants et que la vie même est une migration et que le monde et la terre sont pour tous en en particulier pour les pauvres. Nous avons oublié que nous sommes rien que des créatures de sable, nues, fragiles, mortelles, précaires, provisoires et éternelles seulement lorsque nous acceptons notre identité de frontière, entre terre et souffle, aimant, de vie. Cela nous fait sourire que chez nous, comme le rappelle un journal local, à avoir été confinées sont…des poules. Le journal en question cite le Point Focal de l’Organisation Mondiale de la Santé Animale qui reconnait l’existence de deux foyers de grippe aviaire à Niamey. Le premier dans une cour avec peu de volaille et le deuxième dans un élevage qui compte plusieurs milliers de poules pondeuses. Chez elle, on nous dit, on a tout de suite imposé les ‘gestes barrière’, une quarantaine et un confinement qui interdit tout contact avec les étrangers. Le journal conclue avec une note de solidarité par rapport à la volaille en question et désire rappeler aux animaux qui devraient se sentir privilégiés parce que, en 2006, leurs confrères animaux, environ 17 mil, avaient été froidement abattus.Johnson, sans rien ne demander à personne, a posé sur la terre du tombeau d’ Aliya, avec délicatesse, trois jouets comme cadeau. Une trompette pour sonner, un petit poisson pour une mer qui encore n’existe pas et un oiseau coloré de jaune comme la poussière dans le vent, pour voler ailleurs.

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