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Billet de blog 25 mai 2021

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Les fugitifs du Sahel et nous

Ma première fois d’assister à cette scène fut à Monrovia, au Libéria. C’était la conclusion de la guerre civile qui a sévit dans le Pays pendant quinze ans. Les gens, par milliers, se massaient dans les rues de la capitale, terrorisés par l’entrée en ville du groupe rebelle LURD

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une centaine de chrétiens, fuyants la zone de Dolbel, sont arrivés à Niamey. La raison de leur fuite se trouve dans le massacre de six personnes, perpétré tôt le matin, dans le village de Fantio dans la même paroisse. Tout comme dans d’autres villages de la région et d’ailleurs, le message des Groupes Armés Terroristes se répète : abandonner le village pour sauver soi-même et sa famille. Le groupe mentionné s’unit aux autres milliers de personnes qui, pour vivre et espérer, sont forcés de laisser derrière eux les biens qui constituent leur pauvre richesse. Une vie fuyante qui se manifeste comme une des métaphores de notre temps. Il s’agit d’une dramatique parabole de notre condition humaine. Bien avant de pousser les autres à fuir on trouvera d’abord la fuite de soi-même, c’est-à-dire de ce qui constitue notre propre humanité. Qui s’éloigne de soi, tôt ou tard, fera fuir les autres de sa propre terre.

Ma première fois d’assister à cette scène fut à Monrovia, au Libéria. C’était la conclusion de la guerre civile qui a sévit dans le Pays pendant quinze ans. Les gens, par milliers, se massaient dans les rues de la capitale, terrorisés par l’entrée en ville du groupe rebelle LURD (Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie). Sous la pluie abondante de la saison, tous ce peuple fuyait, amenant tout ce qu’il pouvait sauver du pillage des ‘sauveurs’. Les matelas, des couvertures, des casseroles, des moustiquaires et les nombreux enfants portés au dos ou attrapés par la main. Des scènes apocalyptiques qui me révélaient, une fois de plus, le vrai visage de la guerre, de toute guerre. Les guerres sont les morts, les blessés, les abandonnés et surtout eux, ceux qui fuient pour se sauver et espérer ailleurs. Où allez-vous, on leur demandait : nous ne le savons pas, ils disaient, nous allons lointain, ailleurs.

Le Faso, patrie de Thomas Sankara et du journaliste Norbert Zongo, brulé par les sicaires du pouvoir, est victime des attaques terroristes depuis cinq ans. Cela a provoqué, à part les nombreuses victimes, des milliers de déplacés et donc une crise humanitaire sans proportion dans l’histoire récente du Pays. Leur nombre est passé de 560 mille à plus d’un million le passé mois de décembre. Sur les 300 communes que compte le Pays au moins 266 accueillent une partie des déplacés dont le 54 pour cent a moins de 15 ans ! Ils n’ont eu d’autre choix que celui de fuir de leur lieu de naissance. Après avoir vécu le traumatisme du voyage, la peur des attaques, des représailles, des règlements des comptes et des conflits ethniques, il sera difficile de vivre une vie ‘normale’. D’autre part ce fut la ‘normalité’ le terreau dont sont sortis les drames cités.

La pauvreté endémique, le changement climatique, la violence armée, l’insécurité alimentaire et la malnutrition, continuent de maintenir le Sahel dans une extrême fragilité. Dans les régions touchées par les conflits armés, les civiles sont confrontés à une crise de protection et ont dû fuir ailleurs. Les services de base, la santé et l’éducation sont sérieusement affectés. Environ 5 mille écoles sont fermées et ainsi pour plus de 130 dispensaires, avec des inconforts évidents pour les femmes en grossesse. Cette année quelque 29 millions de sahéliens aura besoin d’assistance et de protection, 5 en plus de l’année passée. Au Niger, enfin, dans le dernier rapport du Haut-Commissariat pour les Réfugiés, on calcule 234 mil réfugiés, près de 300 mil déplacés et plus de 3 mil demandeurs d’asile. C’est sans compter les milliers des migrants de passage et les hôtes des maisons de l’Organisation des Migrations Internationales.

Les fugitifs du Sahel ne sont ni des nombres ni des accidents de parcours mais un des visages et symboles de notre époque qui fuit d’elle-même sans savoir où aller. Avant de se trouver, peut-être, il faut d’abord aller loin.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.