Ouvrage de Jean-Paul Demoule, archéologue & professeur à PARIS-1, président de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) de 2002 à 2008.
Son livre est sous titré « comment l’archéologie raconte notre passé ».
A l’heure où l’enseignement de l’Histoire devient du zaping émotionnel pour que les générations soient sans repère, à l’image de ceux qui nous gouvernent, voilà un livre qui nous rappelle fort justement à la raison.
L’Histoire se fait à partir des documents écrits, des témoignages, des actes, des lois, des monuments et des fouilles.
Ah ! Les fouilles !
La bête noire des promoteurs, et des élus. « Quoi ! Il va falloir attendre que ces messieurs et dames de l’INRAP aient fini de gratouiller la terre pour retrouver trois boutons de culotte et une canette pour continuer à creuser notre parking, à étaler notre autoroute, à construire notre énième carrefour, à lancer notre TGV ? Mais on n’en a rien à f… »
Tel est l’état d’esprit dominant de cette époque mercantile où l’Histoire commence avec la naissance de chacun et où « le temps, c’est de l’argent ».
Si pour Yves Lacoste, « la géographie, ça sert à faire la guerre », pour Jean-Paul Demoule, « l’archéologie est un sport de combat ».
A preuve cet extrait p. 160 :
« Si nous nous reportons à nouveau à l’intéressant Guide pratique des parents, CP CM2 distribué par la Ministère de l’Education Nationale à l’automne 2008, le Moyen-Âge est ainsi résumé : « Le Moyen-Âge » : Après les invasions, la naissance et le développement du royaume de France. Les relations entre seigneurs et paysans, le rôle de l’Eglise. Conflits et échanges en Méditerranée : les Croisades, la découverte d’une autre civilisation, l’Islam. La Guerre de cent ans. 496 : baptême de Clovis ; couronnement de Charlemagne ; 987 Hugues Capet, roi de France ; Saint Louis ; Jeanne d’Arc. »
Sans épiloguer, ni ironiser sur cette « découverte d’une autre civilisation » que furent les sanglantes croisades, on voit bien la suite de poncifs, « les invasions » comprises, à laquelle est ainsi réduit le Moyen-Âge. Certes, il ne faut pas non plus idéaliser. Les libertés communales, par exemples, ne concernent pas les campagnes, où vivent 90% de la population, laquelle doit produire pour tous les autres, et notamment le clergé, autant de bouches à nourrir.
C’est donc une autre vision du Moyen Âge qu’il faut avoir, débarrassée de ses mythes, positifs (Clovis) ou négatifs (on n’est plus au Moyen Âge !), et de ses amnésies (les Francs germaniques, les communautés juives). Non plus « une longue nuit barbare » entre la brillante Antiquité et la plus brillante encore Renaissance, mais une époque d’un millénaire marquée aussi bien par une révolution industrielle et technique que par l’évolution des mentalités. »
On aura compris que Jean-Paul Demoule, en creusant le sol, en analysant ce que l’on y trouve, remet en question les mythes, les erreurs, les croyances qui conduisent à instrumentaliser les esprits à propos de « l’identité française » qui s’est construite sur des migrations successives, puisque, depuis l’arrivée des homo faber, la France est, avec l’Espagne à l’extrémité ouest de l’Eurasie.
« C’est pourquoi, à côté de la « pureté » ethnique et nationale, il faut aussi pulvériser le mythe de « l’origine ». Il n’y a pas d’origine de la France, pas de jour où la France aurait commencé. Certains évoquent le fameux baptême de Clovis, que je me suis efforcé de démythifier. Chateaubriand, bien que royaliste légitimiste, n’était pas dupe. Il se moque dans ses Etudes historiques qu’on ait pu jusqu’à la Révolution célébrer une messe à la mémoire de Clovis (qu’il nomme Klovigh), ce qui était pour lui un non-sens historique : « La vérité religieuse a une vie que la vérité philosophique et la vérité politique n’ont pas : combien de fois la société avait-elle changé de mœurs, d’opinions et de lois, dans l’espace de mille deux cent quatre vingt ans ! » Oui, il y a deux cents ans, le vicomte François-René de Chateaubriand, ministre d’Etat et pair de France, chef de file du romantisme, savait déjà que la nation n’a pas de caractère immuable, qu’elle évolue et se recompose sans cesse, avec des individus nouveaux et venus de toutes parts. » p 296
Vous aurez compris pourquoi d’aucuns n’aiment guère les archéologues, ces fouineurs de notre passé qui nous éclairent sur notre présent en remettant en question les croyances et mensonges que l’on nous a inculqués.
Livre décapant, frais et dont on sort un peu moins…niais qu’avant. Cela repose de la fatuité communicante de la campagne présidentielle en cours.
02/04/2012