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Vieux lucide, donc sans illusions, mais toujours pas encore sans espoir quoi qu'il écrive.

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Billet de blog 3 janvier 2014

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14-18 Souvenirs croisés d'un poilu de 67 ans et de son petit-fils de 70 ans (1)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A Antoine Perraud qui craint, à juste titre "d'en baver" en 2014 à propos de la Grande Boucherie de 14-18, "celle mon Colon que je préfère".

http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/010114/en-14-feu-sur-la-guerre

1914 2014 : Je ne commémore pas. J'évoque, je rappelle, je déterre, je parle avec les morts pour les rendre vivants.

Voici les premières pages d'un récit, humble, filial qui s'inscrit, non pas dans le "devoir de mémoire" mais dans la lutte contre l'oubli, les trahisons, la grandiloquence commémorative, tout le saint barda des poncifs, des va-t-en-guerre et de la Gloïre, comme l'écrivait B. Vian.

Il y a une centaine de pages. Si ça plaît, je continue. Si ça ne plaît pas, mes enfants et mes petits-enfants auxquels je m'adresse, en feront la lecture.

14-18 Souvenirs croisés d'un poilu de 67 ans et de son petit-fils de 70 ans

Eugène Vincent, classe 15

Gérard Planterose, classe 63

Mon grand-père paternel est mort lorsque mon père avait onze ans. Donc, moi et mes frères nous n'eûmes qu'un seul grand-père, le père de notre maman.

Il était bourru, maître en sa maison, ou presque, avait grimpé les échelons de l'entreprise de transit dans laquelle il termina fondé de pouvoirs. Il avait participé à la guerre de 14, en parlait peu, aimait sa "Mamoune", ma grand-mère Rose, une femme d'une beauté égale à son élégance et que j'appelais Mémé.

Etant le premier de ses petits-enfants, j'eus droit de porter son prénom, Eugène, en plus du mien, de celui de mon père Jacques et de feu mon autre grand-père Fernand.

Je me sentis toujours choyé, chaque fois que je séjournais chez lui à Sanvic près du Havre, alors que j'habitais à côté de Rouen.

Je lui ai toujours voué un amour filial et reconnaissant pour m'avoir légué une part de son caractère, sa chevelure qui ne m'abandonne que depuis quelques années alors que mon père était chauve à vingt-huit ans, et une aptitude à jouir de la vie tout en respectant les autres et en étant courageux dans le travail et fidèle à ceux que l'on aime. Rigueur morale, pudeur des sentiments, exigences partagées et défit à la camarde.

Voici le texte qu'il nous a légué alors qu'il n'était encore que dans l'adolescence de la vieillesse. Il était alors âgé de 67 ans, j'en ai 70. Je l'ai recopié avec fidélité, sans en changer un mot, sans en avoir modifié une phrase.

Sécheresse de style comme un rapport ou un constat de police. Avait-il lu Stendhal ? Peut-être. Il possédait une boulimie de lecture qui lui faisait dévorer le pire et le meilleur, les romans à trois sous, le Reader Digest, ou Dorgelès, Gide et les romanciers de son époque.

Tous les soirs, il remontait à pied,  à Sanvic sur les hauteurs du Havre où il avait fait construire une maison de briques et de rognons de silex avec France-Soir sous le coude. Il était abonné au Havre Presse. Il fumait des cigarettes roulées à la main dont, au lendemain de la guerre, il conservait à la fois des mégots ramassés dans les cendriers ou dans la rue, et ses propres mégots baveux et jaunis dans une boite de fer jadis pleine de cigarettes anglaises ou américaines, cadeau de nos occupants et libérateurs.

Avant la remontée sur le plateau de Caux qui vient mourir là en donnant une vue sur la ville et l'estuaire de la Seine, il était allé terminer sa journée dans un café du boulevard de Strasbourg avec quelques collègues en buvant un Byrrh ou un Saint Raphaël. L'armée de conscription a toujours su fabriquer des amateurs d'alcool et de tabac, dont certains jusqu'à l'excès. Elle fut donc une grande pourvoyeuse de futurs cirrhosés et de cancéreux des poumons, ce qui représente une économie notable pour les caisses de retraite à défaut de creuser le trou de la Sécurité Sociale.

Par chance, mon grand-père eut toute sa vie, une santé de fer, et un flirt poussé avec la camarde avec laquelle il fit une longue partie de cache-cache jusqu'à plus de 80 ans.

INTRODUCTION

Lorsqu'arrivé au terme de ma carrière, ma résolution fut prise de rentrer en retraite, mes chefs et amis aux côtés desquels j'ai vécu près de quarante années, me manifestèrent leur sympathie et leurs souhaits de longue vie au cours de cette troisième phase, la plus courte, de l'existence d'un homme. Comme dans la pensée qu'une brusque rupture entre le mécanisme journalier de mes activités et le vide absolu en lequel j'allais me trouver plongé ne laissait pas de m'inquiéter quelque peu, mon Directeur me fit cette remarque que chacun ici-bas ayant son violon d'Ingres, je pouvais toujours rédigé un carnet de mémoires relatant ce qu'il appela mes "hauts faits d'armes", qualification à coup sûr imméritée, mais l'idée de retracer ce que fut mon entrée dans la vie adulte me parut assez séduisante ; ce d'autant que mes souvenirs de cette période s'étendant du 15 décembre 1914 au 8 septembre 1919 sont restés marqués dans mon esprit sans aucune altération. Avant donc que ces souvenirs ne s'estompent, je vais m'efforcer sans aucune prétention littéraire mais avec le souci d'une véracité absolue de faire revivre mon temps bleu horizon alors qu'à 19 ans, mes yeux s'ouvrant à la vie, je risquais chaque jour pendant quatre années consécutives d'avoir à les fermer pour l'éternité.

En dédiant ces lignes à mes enfants et petits-enfants, je voudrais que ces derniers plus tard puissent les méditer et qu'ils y trouvent le gage de mon affection.

Sa mise à la retraite fut pour lui, une déchirure. Plus personne à commander, plus l'obligation de monter et descendre en ville, plus de décisions à prendre.

Sa femme, maîtresse de maison depuis leur mariage, possédant un caractère aussi autoritaire que le sien, il eut l'impression d'être infantilisé. Comme beaucoup d'hommes de ces générations-là, il eut certainement le sentiment d'habiter chez sa femme dont il découvrit les habitudes, les amies, les réunions, les soucis ménagers et les promenades.

Dès les premiers jours, au lieu de paresser au lit, il se leva comme de coutume, vers les six heures, six heures trente, pendant que sa femme restait au lit jusqu'à 9 heures. Ce qui l'obligeait à tourner en rond, à regarder les "veinards" qui partaient au boulot, à observer filer les nuages venus du bout de l'Atlantique et qui accompagnaient les transats et les navires marchands dont on entendait les sirènes lorsqu'ils quittaient ou entraient dans le port.

La course des nuages lui remettait en mémoire ceux qu'il avait eu tout le temps de contempler, dans le froid visqueux des tranchées de l'Argonne ou de la Champagne. Et des images, des odeurs, des sensations lui revenaient en vagues s'échouer dans son présent de retraité.

Retraite ! Un mot terrible pour cette génération qui avait été élevée, entraînée, convaincue pour ne jamais céder un pouce de terrain à l'ennemi.

La retraite, c'était être remisé à l'arrière du front du travail, avec les perclus, les pistonnés, les bancals, les péteux, les trouillards, les garde-mites. Et les pires... les vieux ! Une vraie dégradation devant les troupes.

Quant à être payé pour ne rien faire, bien que 1936 ait institué les congés payés, c'était une situation presque paradoxale, voire inimaginable.

Pendant leur enfance, que ce soit à la maison ou à l'école, on leur avait rabâché qu'il n'y avait "pas plus glorieux que le labeur" ; que "ne rien faire menait à tous les vices" ; que "toute peine méritait salaire" ; que "ceux qui ne travaillent point ne méritaient pas d'avoir du pain" ; que "le pain se gagnait à la sueur de leur front"...

Tant et si bien que certains ouvriers et employés furent absolument outrés quand on leur annonça qu'il allaient pouvoir rester chez eux pendant quinze jours, payés et, ne rien faire.

Vivre comme des bourgeois ? Cela sentait l'arnaque et la provocation.

2 Août 1914

J'étais à Chartres, modeste employé au Comptoir National d'Escompte depuis l'âge de 14 ans. Cela n'allait pas bien avec l'Allemagne et quoique éloigné des soubresauts de la politique, je ne pouvais ne pas m'apercevoir que les esprits s'échauffaient. Vint le décret de Mobilisation Générale ; ce fut, non pas une explosion de joie, mais un ressaut de toutes les fibres patriotiques qui animait la presque totalité du Peuple français à ce moment. Drapeaux sortis, harangues enflammées, chacun vitupérant contre Guillaume et son digne fils, en voulait et entendait marcher incontinent sur Berlin.

Esprit cocardier monté à sa cote maxima, des cortèges accompagnant les cliques et fanfares suivaient le défilé incessant des mobilisés. Mon travail de chaque jour n'en était pas rompu pour autant, bien au contraire, puisque le départ des appelés dans mon Agence, dont Directeur et Sous-Directeur, me laissait pratiquement avec le Caissier d'âge avancé, la responsabilité de la tâche à accomplir. Période assez courte d'ailleurs puisque début septembre, ce fut l'avance allemande jusqu'à 60 km de Paris, la retraite des Armées après la défaîte de Charleroi et le redressement opéré par la bataille de la Marne.

Un épisode intervient à ce moment. De mon frère Gaston, dont nous n'avions aucune  nouvelle depuis son départ au front avec le 44e Régiment d'Artillerie, nous reçûmes dans les premiers jours de septembre une carte postée à Paris. Il invitait mes parents à lui faire parvenir du linge de rechange et ravitaillement, étant cantonné, disait-il, pour quelques jours, au fort de Rosny-sous-Bois. Malgré l'irrégularité des trains, je me mis en route aussitôt, porteur d'un volumineux paquet, pour, le lendemain matin, me trouver après quelques péripéties sur la route de Lagny, sur laquelle se trouvait un flot ininterrompu de troupes en direction de l'Est. La coïncidence voulut que j'assistais au passage du 4e Corps dans lequel se trouvait le 44e Régiment d'Artillerie. A mes appels sur l'emplacement dans la colonne de la 4e batterie à laquelle appartenait mon Frère, les conducteurs me répondirent qu'elle se trouvait en tête, c'est à dire à 7/800 m. compte tenu des attelages et des pièces tractées. Bien entendu, le train rapide de la colonne m'enleva de suite tout espoir de remplir ma mission et je dus réintégrer Chartres sans avoir eu la joie d'embrasser mon Frère une dernière fois. Ce retour fut d'ailleurs assez pénible puisque, partis de la Gare Montparnasse à 6 heures le soir, nous avons mis 7 heures pour parcourir 90 km ; ceci en raison de l'encombrement des voies et de la priorité accordée aux trains de troupes. Nous étions du reste en plein exode des Parisiens vers la province et les gens paraissaient ou exténués ou frappés de stupeur.

Dès ma rentrée au domicile paternel, la pensée que j'avais le devoir de m'engager ne me quitta pas. Formalités accomplies, je me vis ajourné par le Médecin-Major sans causes apparentes. J'ai su depuis qu'il y avait eu intervention de mon Père auprès du Chef du recrutement, le Commandant Dupuy de la Bardonnière dont le fils était mon collègue au CNEP. Sursis tout à fait relatif, puisque la classe 1915 fut appelée au Conseil de Révision en Octobre. Là, je fus reconnu bon pour le service armé à ma grande joie. Jour mémorable où, avec mes Camarades également conscrits, nous nous sommes offerts un repas copieux qui se prolongea non sans dommage pour notre équilibre jusqu'aux heures du lendemain matin.

Mon grand-père, Pépé, comme ma grand-mère, ne possédaient que leur certificat d'études primaires. Ce qui ne les empêcha pas d'avoir une orthographie sûre et une richesse de vocabulaire qui font aujourd'hui défaut à un nombre certain de bacheliers.

L'une de mes occupations favorites consistait à écouter tout en faisant semblant de jouer ou de lire, les conversations de ma grand-mère avec sa fille ou/et avec ses amies ou ses sœurs.

Ce n'étaient pas des échanges de haute tenue philosophique, quoique, mais des recettes de couture, des remarques sur les plantes et l'art de les faire pousser, de les utiliser dans la cuisine ou pour soigner, des vacheries sur les absentes, des commentaires sur la mode. Peu ou pas de politique. Pas de religion sauf en cas de décès ou de maladie grave. Mais jamais un mot grossier, jamais la bouche salie par ces gros mots auxquels elle faisait la chasse aussi bien à l'égard de ses enfants et petits-enfants qu'à l'égard de son mari, qu'elle obligea à se désarmer de son vocabulaire de poilu.

Certes, on peut remarquer qu'Eugène a la majuscule facile "F"rère, "P"ère, "C"amarade, ça y va mon "C"ommandant ! Mais tout cela a été écrit dans l'urgence, comme s'il avait longtemps hésité, avait rassemblé ses idées, les avait ressassées et puis, tout d'un coup, tant pis pour Mamoune qui a dû rouspéter contre le tictictiqueli de la machine à écrire, il est monté à l'assaut de ses souvenirs, quasiment à la  baïonnette !

Il n'a pas osé écrire qu'il en avait chialé de ne pouvoir rejoindre le troupeau des condamnés à l'enfer. Cela, je l'ai appris par Maman qui me raconta "qu'il était trop jeune, 19 ans". Alors qu'on les prenait dès cet âge-là depuis la révision des conditions du service militaire de 1913.

Eugène met fin à la légende de la précocité salvatrice et avoue l'intervention de son père qui avait déjà un de ses fils à l'armée et, tout patriote qu'il fut, avait encore envie de se garder le deuxième.

Ce même père, garde-barrière, qui remontait les trains d'appelés en partance pour l'Est avec une barrique de pinard dans sa brouette et qui remplissait les quarts des pioupious pour leur donner le moral.

Premier exode des parisiens vers le sud. On n'en parle guère dans les livres d'Histoire de cette envolée de moineaux apeurés. D'autant que ceux qui partent en premier sont généralement ceux qui en ont les moyens. Ce chaos des routes et des voies encombrées par les convois de jeunes, en pantalon garance, la moustache altière, le visage bronzé, et un peu chancelants, ivres de conquête et de revanche sur l'Alboche qui nous avait pris l'Alsace et la Lorraine.

A 19 ans, on ne s'intéresse pas à la politique. L'attentat de Sarajevo ? Tu parles ! Il venait après bien des attentats anarchistes et une guerre dans les Balkans. Alors, un porteur de plumes de moins,  bof ! Par contre, intéressant de savoir, qu'à Chartres, l'on sait que la guerre est voulue par le Kaiser, son état-major et le Kronprinz, comme cela sera avéré ultérieurement.

Le pouvoir militaire, prussien, aristocratique, constitué de junkers ne changera d'attitude qu'avec l'attentat raté contre Hitler.

Enfin, Eugène se retrouve quasiment seul dans l'agence du CNEP de Chartres, comme en 1940 lorsqu'il fermera l'agence de transit Worms du Havre, emportant les dossiers les plus importants à Bordeaux.

Traversant l'estuaire de la Seine à bord d'une barque de pêche, ils seront pris pour cible par un Stuka de passage, mitraillés et, je me souviens du cartable dont il s'était protégé et dont on voyait la trace de l'impact de la balle qui avait réussi à percer le cuir mais pas l'épaisseur des papiers. C'est avec ce vieux cartable porte-bonheur et salvateur qu'il allait et venait au travail dans les années cinquante et soixante. Un tel objet valait toutes les décorations. Une relique. Le signe des dieux.

Indestructible, mon Pépé ! Plus fort que Bruce Willis !

Protégé des dieux.

Si Mémé allait à la messe, lui, n'était guère porté sur les bondieuseries. Non pas qu'il fût vraiment athée, mais je crois que ce qu'il avait vécu, l'avait à jamais vacciné contre la réalité d'un dieu quelconque capable de laisser faire une telle horreur. Ou alors, c'est qu'il est d'une perversité telle qu'il est préférable de ne pas le fréquenter. Quant à y croire...

Un truc de bonnes femmes qui ne sont pourtant pas en odeur de sainteté dans les traditions monothéistes toutes parfaitement machistes.

Mais apparemment, il y a du masochisme dans le beau sexe.

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