Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens, chers enfants des écoles,
en ce jour commémoratif de la fin de la Première Grande Boucherie Mondiale, je tiens à vous dire combien je suis écoeuré, dégoûté, atterré, de constater que tous ceux qui ont participé à cette guerre fraîche et joyeuse ont été trompés, méprisés, voire ridiculisés.
Cela a commencé par un superbe bourrage de crâne, où l’Eglise et l’Ecole Primaire devenue obligatoire depuis peu se sont alliées pour inculquer à plusieurs générations la nécessité de récupérer l’Alsace et la Lorraine.
On a accumulé les neuvaines, enfilé les pardons, glorifié Jeanne d’Arc dont a acheté la sainteté au Vatican toujours en manque d’oseille, encouragé les jeunes au sacrifice suprême.
Les « hussards noirs » de la République ont fait manœuvrer les enfants, leur ont parlé de « revanche », de « gloire », de « sacrifice » et ces jeunes cerveaux ont été si bien conditionnés que l’Etat-Major a été stupéfait de la faiblesse du nombre de réfractaires lorsque l’on a rappelé sous les drapeaux les dernières classes.
Certes, on avait eu droit à des discours pacifistes, à des mises en garde, qui coûtèrent la vie à Jaurès. Les syndicats, tout jeunes, eux aussi, ont très vite retourné leur veste et tu leur antimilitarisme.
Mais que pèse un Jaurès devant la puissance des maîtres de forges, devant les puissances de l’argent ?
Rivalités d’Empires, besoin d’espace vital, élargissement des marchés, le tout goupillonné au plus haut niveau, avec une papauté derrière l’Empire Austro-Hongrois, face à une France honnie à cause de sa laïcité, de son esprit républicain, de son indépendance d’esprit.
Ah ! Ils sont partis, en août 14, des deux côtés de la frontière, la fleur au fusil, avec Berlin ou Paris « avant Noël ».
Guerre de matériel où tout un peuple ne fait plus qu’un pour vaincre l’autre. La haine à l’état impur. Et la terre tout imprégnée de sang, toute bouleversée des explosions, une végétation réduite à néant, et des morts et des blessés, et des estropiés à vie par millions.
Génération sacrifiée qui a cru, un moment, au regard des sacrifices qu’on lui avait imposés qu’elle avait fait « la der des ders ».
Tu parles ! Les survivants enverront leurs propres enfants au casse-pipe au cours d’une autre sale boucherie et tout cela pour la finance, l’industrie, et la bourgeoisie mondiale, mais au nom des valeurs humanistes, de la Civilisation contre la Barbarie. Nos troupes coloniales ont su apprécier notre originale supériorité et dans la civilisation technologique, et dans la barbarie.
Car, en vérité, la mondialisation a réellement commencé en cette première guerre mondiale. Il n’y a qu’à visiter certains cimetières militaires pour constater que cette jeunesse fauchée par la camarde venait non seulement de toutes les régions d’Europe, mais aussi de tous les continents. Soudain, en quelques mois, les matières premières ont été amenées vers l’Europe, puis les USA ont mis en branle leur formidable pouvoir d’industrialisation et ne se sont jamais remis de cette économie de « guerre totale ».
Chaque année, depuis le 11 novembre 1919, nous fêtons l’anniversaire de l’armistice de 1918, « pour que plus jamais ça » ne revienne.
Vaste rigolade.
Occasion de rassembler des citoyens dans l’émotion qui n’a jamais servi de leçon à quiconque et moyen d’aller boire un coup aux frais de la municipalité. S’en suit un banquet d’anciens combattants de plus en plus clairsemé et basta jusqu’à l’an prochain. Entre temps, on aura continué à fabriquer des anciens combattants, dans la guerre du Rif, à Madagascar, en Europe centrale, puis un peu partout entre 39 et 45, en Indochine, en Algérie, au Moyen-Orient, au Tchad, et je ne parle pas de l’Afghanistan.
Mes chers concitoyens, faudrait-il croire que la guerre est indissociable de notre façon de vivre ? A peine commençons-nous à rentrer de Kaboul, à peine en avons-nous terminé avec une Libye écrasée sous nos bombes, que des bruits de bottes et des explosions s’annoncent sur l’Iran tandis que Bachar, le Lion, écrase systématiquement son peuple sans que cela ne nous tire trop de larmes.
Alors ? Que faisons-nous, réunis ici autour de ce monument aux morts ? A quoi sert cette commémoration qui n’a jamais empêché un seul conflit ?
Fort heureusement qu’ont été enterrés tous les survivants de 14-18. Leurs petits enfants, leurs arrière-petits-enfants, et leurs arrière-arrière-petits enfants se marient entre eux : allemands et français, autrichiens et anglais, belges et hongrois…
Depuis des décennies, ceux qui prennent la parole devant ces gerbes enrubannées, parlent de vous comme des héros.
J’ose espérer que nul d’entre vous n’entend de tels mensonges. Car en vérité, vous n’aurez été à jamais et pour toujours que des cocus magnifiques, comme nous le sommes aujourd’hui face aux puissances de l’argent qui nous grugent quotidiennement.
11/11/2011