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Billet de blog 24 juillet 2013

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De l’irresponsabilité volontaire

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’une des caractéristiques de ce début de XXIe siècle, c’est l’irresponsabilité de ceux qui détiennent le pouvoir, irresponsabilité qui phagocyte les esprits des citoyens puisque l’exemple vient toujours d’en haut.

Ainsi, en économie, n’existent plus ou presque, que des sociétés « anonymes ». Qui dirige, qui est responsable ? Un dirigeant employé, parfois grassement payé, obéit à la fois, à la rapacité des actionnaires anonymes, dilués, cachés dans leurs portefeuilles et aux « dures lois du marché ».

Les banques qui prennent en main les économies des particuliers peuvent très bien ne pas leur indiquer où se trouve placé leur argent. Du coup, l’honnête citoyen, n’a plus aucune responsabilité. Sauf s’il possède encore une conscience morale et exige des précisions. Si, si, cela arrive. Mais la plupart du temps, c’est la banque qui prend tout à son compte. Et dans une banque, qui est responsable ? Quasiment personne.

Sauf quand il y a vraiment de la casse, comme dans l’affaire Kerviel, ce trader qui prenait de très gros risques, jouait avec des martingales juteuses jusqu’à ce que le casino gagne à son tour. Personne ne l’avait mis en garde tant qu’il rapportait des sommes colossales à la Société Générale puisqu’au-dessus de lui, il s’est avéré qu’il n’avait guère de responsables.

Par contre, lorsque le scandale de ses pertes a explosé, on l’a tenu comme le salopard « responsable » de l’explosion et c’est lui que l’on a traîné devant les tribunaux où il a déclaré qu’il n’était pas complètement responsable de ses actes, dans la mesure où ils étaient tacitement encouragés.

Il s’est même trouvé un tribunal de Prud’hommes pour jouer les Ponce Pilate et le laisser avec ses milliards à rembourser. Non mais !

         La presse spécialisée nous offre les portraits de ces illustres patrons, de ces chevaliers sans peur de la concurrence, de ces « winners » qui enrichissent les braves gens, les fonds de pension et autres obsédés de l’enrichissement infini.

Mais, pour peu que la conjoncture évolue, que la stratégie échoue, et le brillant « responsable » qui faisait la une des magazines est soudain dépourvu, et clame aux vents de la compétitivité qu’il n’est « absolument pas responsable » de la situation : l’Etat, les traités internationaux, Bruxelles, donc l’UE, la Chine, les USA, Monaco, la Suisse et sa belle-mère ont eu le dessus. Lui, il est innocent. Irresponsable.

Alain Minc, Jean-Paul Trichet, Jacques Attali, fameux conseillers des princes, analystes qui se sont trompés de multiples fois, qui nous mènent au gouffre, qui sont les chantres d’un système qui ne fonctionne plus, ou très mal, sont incontournables, quelles que soient leurs élucubrations et surtout, totalement innocents de leurs conseils si peu avisés et de leurs prédictions antérieures erronées.

Il en est de même pour tous ces « experts » ou prétendus tels, tant qu’ils favorisent les intérêts de la finance en transes, habitués des plateaux de la télévision, ils viennent expliquer aux manants que s’ils doivent se serrer la ceinture, ce n’est nullement la faute aux hommes et aux femmes politiques ou économiques, ou les deux le plus souvent. Cela n’est qu’une crise.

Alors que c’est le système capitaliste qui est une crise permanente. Mais comme ils en sont les « chiens de garde », jamais ils ne mordront la main qui les nourrit.

Il va y avoir, il faut tout faire pour qu’il y ait à nouveau et encore et toujours, une reprise de la croissance. Car ces croyants en économie libérale sont des « salafistes » de la croissance infinie dans un monde fini.

Les plus intelligents savent bien qu’ils nous racontent des craques. Mais ils ont une âme de missionnaire en pays africain. Leur raison d’être, c’est l’illusion de cette foi qu’ils doivent transmettre sous peine de se retrouver au chômage comme tous ces pauvres bougres qu’ils y condamnent, en toute impunité.

En toute « irresponsabilité », sous la contrainte des « dures lois du marché », ce « Talon de fer » qui écrase les peuples soumis et agenouillés, lobotomisés par le logos des JT, le sport, la zizique et les jeux de grattage, cet impôt volontaire qui fait rêver les consommateurs en manque.

Bien entendu, les hommes et les femmes politiques, refusent unanimement d’assumer leurs responsabilités, même si, parfois, au cours d’un discours, les yeux dans les yeux de leurs interlocuteurs, ils osent déclarer : « Moi, président, je prendrai mes responsabilités ».

« La promesse n’engage que ceux qui y croient », telle est désormais la règle première de toute campagne électorale, et c’est valable pour tous les partis, tous les candidats. Du coup, l’irresponsabilité des élus est devenue proverbiale, la démocratie qui repose sur un contrat social passé entre l’impétrant et les citoyens vole en éclats et le plus grand parti politique ne cesse de croître ; c’est celui des abstentionnistes.

On peut se demander si la démocratie représentative ne constitue en elle-même une véritable école de l’irresponsabilité. Ne consiste-t-elle point à déléguer sa responsabilité sur quelqu’un d’autre ? On me dira qu’il ne peut en être autrement. Voir ! Les suisses pratiquent la votation et la démocratie représentative, ce qui donne quand même un peu plus de responsabilité aux citoyens.

Il est vrai que les referenda qui nous ont été récemment soumis, ont été annulés par les oligarques en place qui semblent prêts à changer de peuple quand celui-ci les met en minorité.

Etrange conception de la démocratie. Nulle rébellion ne s’en est suivie. Dans une lâcheté collective, les peuples bafoués sont demeurés cois, et l’on a passé à autre chose. Belle exemple d’irresponsabilité civique. A l’exception de quelques vieux citoyens possédant encore quelque sens de l’honneur et de la dignité, silence dans les rangs. D’autant que la majorité des médias à la botte ont relayé cette « dictature de moins en moins douce » qui est désormais notre quotidien.

Les candidats les plus malins, les moins malhonnêtes, osent ajouter quelques précautions du genre « nous ferons ceci et cela, SI nous en avons les moyens, et SI d’autres priorités ne viennent pas entraver notre volonté de faire avancer… »

Ce qui a pour avantage d’anticiper le recours à l’irresponsabilité au cas où la promesse serait rompue. « Je vous avais dit SI… » Paroles, paroles…

En ce beau mois de juillet 2013, Médiapart, journal du Net, journal d’investigation, qui a déjà sorti, plusieurs « affaires » qui prouvent la malhonnêteté des politiciens et des milieux d’affaires, qui chasse l’immoralité ambiante au nom des valeurs de la République et de la démocratie, vient d’être condamné à faire disparaître de son site, les enregistrements volés par le majordome de Mme Bettencourt, qui prouvaient que la vieille dame était pillée par son entourage, et encouragée à frauder le fisc, tous ces aigrefins profitant de cette innocence douteuse qu’apporte le grand âge.

En un mot, le petit personnel a pris ses responsabilités et, par reconnaissance, par dévouement, par conscience professionnelle, par respect, il alerta la presse que l’on volait « l’argent de la vieille » comme dans le film éponyme de Comencini (1972). Médiapart prit soin de retirer tout ce qui relevait de l’intimité et ne divulgua que ce qui prouvait l’abus de faiblesse, et pouvait intéresser les tribunaux.

Eh bien, Madame la Présidente Marie-Gabrielle Magueur, épouse Riquin, de la Cour d’Appel de Versailles, a condamné Médiapart à retirer tous les articles où il était question de ces enregistrements qui ont aidé la famille, les héritiers et l’Etat à sauver Mme Bettencourt des griffes de ses pilleurs, sous le prétexte que tout cela relevait du vol de l’intimité sacrée.

Ou elle agit sur commande, ou elle se lève contre la violation de la vie privée des gens, même quand ces gens sont en danger.

Un voisin entend les cris, les pleurs, les coups qui pleuvent sur la femme et les enfants, au nom du droit sacré de la vie privée, il se devrait de demeurer coi.

« Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire », cette définition du cadavre ou de la lâcheté, est érigée en devoir du citoyen par ce magistrat. Soit, l’apologie de l’irresponsabilité.

Or, il me semble bien qu’il existe un devoir du citoyen qui oblige quiconque à porter assistance à une personne en danger. Il faudra bien qu’elle s’en explique.

En attendant, le gouvernement Ayrault, « ne commente pas une décision de justice », nous faisant accroire à la séparation des pouvoirs alors que rien n’a été changé dans les rapports entre les pouvoirs exécutif et judiciaire.

Le Ministre Garde des Sceaux serait « irresponsable » des décisions de ses magistrats.

Or, à partir du moment, où il est avéré que la justice devient injuste, la porte du déni de justice est ouverte, la confiance et le respect des lois disparaissent. C’est le retour aux temps farouches des sociétés où règne la loi du plus fort. Chacun se fait justice. Retour du western.

Dans un monde où ceux qui nous gouvernent pratiquent l’irresponsabilité, il y en aura toujours qui prendront les leurs, même si elles ne sont pas justifiées par l’intérêt général.

Paradoxe de notre époque : à l’irresponsabilité de chacun correspond le « chacun pour soi ». L’égoïsme se porte bien, voire est fortement recommandé. Moi, moi, moi a balayé le nous, nous, nous…

L’intérêt collectif n’est qu’une vieille lune qui doit être remisée dans le grenier des vieilleries héritées du Conseil National de la Résistance et que le Medef poursuit avec un acharnement de psychopathe à lubies obsessionnelles.

Aujourd’hui, c’est le triomphe de la morale TPMG (Tout Pour Ma Gueule). Les sociétés, les états, les citoyens sont en concurrence permanente. Le darwinisme social est de rigueur si ce n’est recommandé.

« L’homme est plus que jamais un loup pour l’homme ». Ce n’est pas gentil pour les loups qui ont le sens de l’intérêt de la meute.

Certains hommes sont pires que les loups.

On l’a bien vu sous les règnes de la famille Bush, père et fils. Tous deux investisseurs dans le pétrole et l’économie militaro-industrielle, tous deux ayant déclaré urbi et orbi que Saddam Hussein était l’incarnation de Lucifer, ce qui leur a permis d’endosser l’armure de Saint Michel archange pour aller, au cours de deux guerres, mettre la main sur les ressources du sous-sol irakien et écraser un peuple sous les bombes, le faire se déchirer encore plus qu’il ne l’était, encourager de facto Al Qaïda et tous les extrémistes, introduire la notion de « guerre préventive », instaurer un espace de non-droit à Guantanamo, mentir aux peuples de la terre à l’ONU, s’enrichir dans les ventes d’armes et les compagnies de mercenaires, légitimer la torture comme méthode « normale » d’interrogatoire, privatiser une partie des combattants, détruire la mémoire multimillénaire de cette civilisation mésopotamienne en toute impunité.

Quel tribunal, quel citoyen, quelle association, aux Etats-Unis a porté plainte contre ces squales ? Nobody.

Entre un mensonge pratiqué à l’encontre de la communauté internationale et un mensonge à propos des jeux érotiques d’un président et de sa stagiaire, l’un est absout, l’autre est vilipendé, traîné devant les tribunaux, menacé de destitution.

Dans le premier cas, des centaines de milliers de morts, des innocents handicapés à vie, des enfants martyrisés, orphelins, des milliers d’irakiens en exil, de l’autre, une stagiaire abusée sans que l’on sache évaluer la part de complicité. Mais, exigence de la responsabilité de Clinton, et pudique voile sur le comportement abjecte de la bande à Bush Junior. Triomphe de l’hypocrisie conservatrice que l’on rencontre ailleurs.

Ne reste plus que « le tribunal de l’Histoire » pour mesurer la responsabilité de chacun. Cela n’est guère rassurant pour le présent et le futur immédiat.

Quant aux citoyens, ils sont de plus en plus considérés comme des enfants. Les interdictions et restrictions à leurs libertés leur tombent sur le râble.

Ainsi, le tabac, l’alcool, les drogues en tous genres sont devenus des tabous à éliminer.

Comble de l’hypocrisie, les taxes et la vente de ces produits sont encadrées par l’Etat. Nul ne peut vendre tabac ou alcool sans patente. Quant aux drogues, on poursuit les dealers, on vilipende les consommateurs, mais l’on se garde bien de s’attaquer vraiment aux gros bonnets dont les fortunes sont blanchies et réinvesties dans l’économie réelle, si ce n’est dans les partis politiques. Irresponsabilité coupable des gouvernements.

Et puis cette économie parallèle qui empoisonne certains quartiers, c’est autant d’indemnités de chômage en moins à payer, et autant de révoltés transformés en sauvageons dépendants de leur poison mais politiquement utiles. Quand un quartier s’enflamme avec voitures en feu, ce n’est jamais que la relance de la vente de véhicules.

Un, ils ne remettront pas le système en cause, deux, leurs débordements alimentent cette peur qui permet la restriction des libertés fondamentales, effraient une partie du peuple qui réclame des lois et des politiques impitoyables aux petits tandis que les grands peuvent se goberger et « avoir confiance dans la justice de leur pays » ou plutôt de leur « classe ».

Les ministres de l’Intérieur en tirent une attitude de chef d’armée, justifient parfois par avance les bavures, et une majorité des policiers sombrent dans le racisme lepéniste, voire la provocation, histoire d’alimenter la sphère d’influence de l’entreprise familiale Le Pen & Filles, qui se contrefiche pas mal de la vie des quartiers puisqu’elle se garde bien d’y habiter et a tout intérêt à noircir le tableau et à envenimer les choses.

Politique du pire. Irresponsabilité politique notoire. C’est pour cela que l’entreprise Le Pen est dangereuse. D’autant qu’elle fonctionne sur les mêmes schémas que les Ligues d’avant-guerre en ayant momentanément substitué l’arabe, le musulman aux juifs, déclarés d’office responsables de tous les maux. On connaît la chanson. Et c’est irresponsable de laisser s’épanouir ce parti de la haine fauteur de guerre civile, mais si pratique pour les stratégies des partis de droite comme de la prétendue « gauche socialiste ».

Le système judiciaire états-unien influe sur les américano-européens que nous sommes devenus.

Pour peu que l’on se torde le pied sur un trottoir, et d’aucuns vont porter plainte contre le maire de la commune.

Il y a une mare depuis des dizaines d’années, un rurbain ne surveille pas sa marmaille, il y a noyade : le maire sera poursuivi. A croire que les gens ne s’assument plus. Ils veulent vivre éternellement, en bonne santé, ne pas vieillir, et exigent que la collectivité assume leur sécurité.

Pour un peu, il faudrait « embarbeler » les côtes de notre beau pays puisque, les falaises sont dangereuses, les rochers sont glissants, le sable peut être mouvant, la mer, on s’y noie, et les marées peuvent être traitresses.

Avec cette logique, cette rationalité si typiquement française, héritage de Descartes, les mêmes ou quasiment, refusent de payer des impôts supplémentaires tout en exigeant plus des collectivités territoriales. Non, mais !

Le monde médical est lui-même devenu victime de cette irresponsabilité généralisée. Tout chirurgien se doit d’accomplir des « miracles ».

Si le malade meurt, la famille n’hésite plus à traîner l’hôpital devant les tribunaux, il y a de l’argent à gagner. Du coup, les assurances professionnelles des médecins explosent, et l’on exige des patients à la fois, du dépassement d’honoraire et l’engagement signé qu’il n’y aura pas de poursuite au cas où « le malade crèverait », ce qui aurait dû réveiller Molière de sa tombe.

Car dans l’affaire, c’est bien la lutte des deux « irresponsables » en puissance, le praticien et son patient.

On connaît pourtant des rescapés du billard qui ont vécu avec un outil oublié dans la panse dûment recousue ou qui sont sortis plus malades qu’ils n’y étaient entrés. La maladie nosocomiale est à la mode dans certains établissements.

On sait aussi que nul n’est immortel et que parfois, la tentative de réparation est plus que douteuse. Les gens honnêtes prennent alors leurs responsabilités, les autres prennent un avocat.

Idem pour la conduite automobile. Le comportement irresponsable de la majorité des usagers a obligé l’Etat à multiplier les sanctions pour diminuer le nombre des morts sur les routes.

Jadis, 18 000 morts par an. Soit un bilan de guerre qui laissait de marbre la plupart des automobilistes puisque, comme chacun le pense, c’est toujours l’autre le fautif, ce qui constitue là encore, un summum de l’irresponsabilité.

Non seulement, les automates font pleuvoir les contraventions, et le permis à points conduit à une augmentation de gens qui conduisent sans permis, donc sans assurance.

Autant comme certains endroits sont, en effet, propres à créer des accidents, autant comme d’autres, constituent des pièges à gogos où l’Etat semble bien avoir détourné la loi en machine à multiplier la phynance.

Le summum de l’irresponsabilité est en voie d’être atteint avec les « voitures intelligentes ». Ce qui revient à considérer, hélas non sans raison, que leurs propriétaires ne le sont guère.

Des « robots » électroniques rattrapent l’erreur de conduite, impose la distance de sécurité, préviennent de la diminution de la lumière en allumant les phares, mettent en route les essuie-glace automatiquement, anticipent les bouchons en étant couplés avec le GPS, règlent la tension de la ceinture de sécurité et sûrement un jour, feront la vaisselle.

Nul doute que si, avec une telle voiture, un accident a lieu, la faute en incombera au système électronique embarqué, le propriétaire-conducteur, ayant investi dans un tel engin, se retournera contre le constructeur, même s’il a refusé une priorité. On l’a déjà vu avec ces prétendus stabilisateurs de vitesse coincés sur le 150 km/h sur une autoroute… Pas sur le 90, attention !

Cette irresponsabilité contemporaine trouve ses racines dans l’Histoire.

On a encore en mémoire le procès d’Eichmann qui inspira Hanna Arendt où ce fonctionnaire de l’horreur absolue « n’avait fait qu’exécuter les ordres qu’il recevait » avec ce fameux dévouement allemand à toute hiérarchie, héritage autant du luthérianisme que de la Prusse de Frédéric le Grand. Eh oui ! Il était irresponsable. Avis que le tribunal ne partagea pas.

Idem pour l’état-major français de la drôle de guerre, que Marc Bloch a si bien analysé dans « L’étrange défaite ». Tout semble avoir été mis en œuvre pour que l’armée française soit paralysée par son fonctionnement interne et la carence de ses plus hauts responsables, anciens héros de la Première Boucherie de 14-18, totalement inadaptés à la guerre moderne. Dans le même temps, la Wehrmacht avait imaginé et testé au cours de la Guerre civile espagnole, cette Blitzkrieg qui déferla sur l’Europe. Un colonel de chars avait alerté les ganaches qui le prirent de haut et choisir de construire la ligne Maginot, cette guerre d’enterrement, soit tout le contraire de la guerre de mouvement.

Or, possédant cette hypocrisie de classe, ces  étoilés furent de parfaits collaborateurs, parfois inconscients, souvent complices de ce M. Hitler, tellement préférable à ce Front Populaire qui sentait trop la sueur de salariés exigeant de vivre mieux et d’être un peu plus respectés. Les jeunes officiers, certains sous-officiers, et une partie de la troupe furent scandalisés par le comportement irresponsable de cet état-major.

Pourtant, assumer ses actes, à commencer par ses erreurs constitue le B.A. BA de l’honnêteté intellectuelle, du respect de soi-même et des autres.

Toutes valeurs piétinées par l’égoïsme moderne qui n’a rien à voir avec l’egotisme stendhalien où, justement, le « héros » est perpétuellement en train de s’auto-évaluer, de se critiquer, pour s’améliorer et ne pas perdre la face.

Non pas tant auprès de la société que d’abord envers lui-même. Au miroir matutinal, il ne demande pas s’il est toujours le plus beau, celui qui gagnera les prochaines élections présidentielles, mais s’il peut soutenir son propre regard sans fondre en larmes ou en rires, les deux n’étant nullement incompatibles.

En quoi suis-je responsable de ce que fais ?

N’est-ce point A. Camus qui reçut pour tout héritage de son père, ouvrier agricole, cette aphorisme : « Un homme, c’est quelqu’un qui se retient ».

Ce qui signifie qu’à la différence des animaux qui n’obéissent qu’à leurs instincts, qu’à leurs pulsions, un être humain, un homme, possède la conscience de ses responsabilités par rapport aux autres.

En conséquence, blessé dans son amour, dans son amour propre, dans sa fierté, dans ses intérêts, il ne court point à la vengeance, il est à l’opposé des lois du Talmud, de cet « œil pour œil, dent pour dent », qui conduisent inéluctablement à la vendetta, cette caractéristique du pourtour méditerranéen qui s’est exportée dans l’Empire états-unien où il règne quasiment en maître comme on peut le constater au travers des films ou des séries télévisées qui viennent remettre en question nos valeurs de droit, égal pour tous.

Ce conseil, ce principe, cette définition de cet homme humble, peu instruit, est la parfaite illustration de la valeur de la responsabilité dans les rapports qui existent entre citoyens du monde.

Si des scandales existent, comme le dopage des sportifs de haut niveau, tous sports confondus, c’est en réalité parce que spectateurs friands d’exploits, nous sommes complices de cette course absurde aux records, en toute irresponsabilité.

Absurde dans la mesure où la tendance vers l’infini des records aboutit inexorablement à ce qu’un jour, un sprinter sera arrivé avant que d’être parti.

On justifie le dopage des cyclistes par l’admiration débridée des spectateurs hurlant ou applaudissant qui viennent recevoir des objets gratuitement comme le faisaient les GI lors de l’Invasion de l’Europe en 44.

Certes, ils apportaient la pax americana, lançaient des chocolats, des paquets de cigarettes et en échange, considéraient les jeunes françaises comme des femmes faciles, que l’on pouvait non seulement embrasser mais aussi violenter sans trop de conséquence, sauf pour les GI de couleur.

On nous a vendu « l’american way of live » en même temps que le plan Marshall, ce qui explique en partie, les innombrables bombardements « inutiles et irresponsables » qui rasèrent les villes européennes.

Y a-t-il eu volonté délibérée de mettre à genoux l’Europe pour mieux avoir à la reconstruire ? Aucun document écrit n’existe face à une telle ignominie. Cela relève du non-dit, de la tacite attitude. Cela se fait en toute « innocence » et « irresponsabilité », voire avec l’argument de sauver des vies amies, en effaçant de la surface de la planète des milliers de citoyens comme on nous l’a inculqué à propos des crimes de guerre que furent Hiroshima et Nagasaki.

Pour une fois, l’on a rencontré un président, Truman, qui prit ses responsabilités en se laissant influencer par les responsables militaires qu’il fallait marquer le coup, d’autant qu’on avait dépensé pas mal d’argent dans la recherche, que l’horreur atomique était au petit poil et que, en écrasant deux villes sans trop d’importance stratégique, cela marquerait à jamais les esprits en faisant des USA la première grande puissance de la planète. Cela accélèrerait la défaite inéluctable du Japon et constituerait un sérieux avertissement aux « alliés » soviétiques. 

Envoyez ! C’est pesé.

Le « peuple élu de Dieu » a, par définition, tous les droits. A commencer par demeurer le premier, le plus fort, par tous les moyens. Cela a toujours constitué la politique étrangère des States et ce n’est pas d’être fini.

Du coup, ils peuvent tout se permettre en totale irresponsabilité.

De Gaulle prit ses responsabilités, lui, et ses distances par rapport aux USA dont les dirigeants l’avaient longtemps considéré comme un dangereux nationaliste, ci-devant condamné à mort par le gouvernement « légitime » en place (lire Paxton).

 Les nains qui le suivirent sombrèrent dans l’atlantisme qui s’abattit sur l’Europe, cette politique de soumission à Washington, quel que soit le président des USA en place et qui fut l’œuvre de la démocratie chrétienne, avec comme constante, l’anticommunisme depuis le renversement des alliances dès la signature de la reddition de l’Allemagne nazie.

Liés désormais par notre réintégration à l’OTAN, ce pacte établi contre l’URSS, et maintenu en dépit de son implosion, nous ne sommes plus guère responsables de notre politique étrangère, même quand nous allons défendre les intérêts de nos grands groupes financiers en Afrique que ce soit en Libye ou au Mali.

Enfin, il ne faudrait pas oublier le rôle vicié des religions prétendument révélées, qui « irresponsabilisent » en partie ceux qui y croient, dans la mesure où leurs actes ne seraient que la volonté du dieu qu’ils ont imaginé.

Les crimes les plus affreux ont été de tout temps commis au nom de Dieu. Si « Inch Allah » marque bien cette soumission, lui correspond ce « Dieu le veut » qui excusait les massacres perpétrés par les croisés.

Les pires atrocités dues aux guerres reposent sur cette collusion du sabre et du goupillon, de la kalachnikov et du turban. Même si ces paroles ne furent jamais réellement prononcées, « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », elle est la raison d’être des aumôniers militaires des différentes religions qui ont pour rôle de lever le tabou du dixième commandement « Tu ne tueras point ». Bénir les armes et les tueurs.

« Gott mit uns » était inscrit sur la boucle du ceinturon de la Wehrmacht. Voilà qui apaise les consciences et transforme la barbarie de la guerre ordinaire en « guerre sainte ». Voilà qui retire toute responsabilité aux futurs bourreaux.

On me dira que les tribunaux internationaux ont été inventés pour juger ceux qui s’adonneraient aux « crimes de guerre ». Mais l’on sait bien que les empires de l’Ouest et de l’Est ainsi que celui du Milieu s’en battent le coquillard.

Eux, puisqu’ils sont les plus forts, ont tous les droits, à commencer par créer des zones de non droit comme Guantanamo ou les camps d’internements en Sibérie ou en Chine.

Ne se retrouvent devant le Tribunal de La Haye, que des massacreurs issus de petits pays, européens ou africains, que l’on peut traîner ici afin de donner bonne conscience aux gouvernements dits démocratiques qui les ont armés et encouragés parfois à prendre les armes.

Irresponsabilité et hypocrisie vont de pair.

On en a l’illustration parfaite avec la modification de la Constitution française du 23 février 2007 art. 68 qui met un arrêt à « l’irresponsabilité politique du Président de la République » qui existe depuis la IIIe République et que la Constitution de 58 avait reprise.

Mais, pour que le Président soit destitué, il faut qu’il y ait accord des deux chambres et des deux tiers de leurs élus réunis en Haute Cour.

Moralité : le monarque républicain a de beaux jours devant lui. Rappelons qu’au départ, avec cette relative honnêteté qui le caractérise, de Gaulle accompagnait certaines de ses décisions d’un referendum ou d’une menace de rentrer chez lui, ce qu’il fit d’ailleurs quand il perdit le referendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat.

Ses successeurs perdirent parfois la confiance du peuple en perdant des élections législatives. Ils demeurèrent à leur poste pratiquant ce « coup d’Etat permanent » que Mitterrand avait brillamment dénoncé avant qu’il ne devienne « Dieu ».

En écrivant ces lignes, j’ai pris mes responsabilités. Je suis conscient que ce n’est point le scoop de l’été. Mais au moins, j’ose espérer que M. Peillon aura à cœur de donner comme consigne à ses enseignants de louer les valeurs de la responsabilité de chacun, dans la formation de l’individu, du citoyen.

Si « cogito ergo sum », alors je suis responsable de ce que fais. Certes, je n’oublie pas que je suis aussi le « produit » de mon histoire et du lieu où je suis né, mais en en étant conscient, je possède une marge de liberté d’action qui ne dépend que de moi.

Même si certains choix sont difficiles, il y a des choix possibles. Il faut le rappeler, le savoir et les assumer.

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