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Billet de blog 26 mai 2021

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Qui es-tu Aïssam Aït-Yahya ?

Dans une réponse à une interview réalisée par mes soins, N. Meziane du site Lignes de Crêtes, se permet d’injurier l’auteur et essayiste Aïssam Aït-Yahya, en usant des pires clichés islamophobes hérités de tous bords politiques confondus. N’hésitant pas à le qualifier plusieurs fois de réactionnaire, c'est à se demander qui l'est entre elle et lui, et de concert avec elle : qui est-il ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

« La République est une religion islamophobe » comme le professe Sadri Khiari dans La contre-révolution coloniale en France (La Fabrique, 2009) : « L’islamophobie ne combat pas le musulman en tant que musulman mais le musulman en tant que rebelle potentiel à l’ordre blanc – et c’est pourquoi tout musulman est un intégriste ou un terroriste en puissance. » Gardons bien cette citation à l’esprit en lisant ce qui va suivre.

La République, dont le credo est la sacro-sainte Laïcité, est une religion, et en tant que telle, elle a ses fervents défenseurs, ni plus ni moins que de zélés fidèles. 

Il m’est nécessaire de répondre, en ma qualité d’interviewer, à des injures indécentes envers mon interviewé, publiées sur le site même qui nous a accueillis, « Lignes de Crêtes », et par sa rédactrice en chef, Nadia Meziane. Ceci, alors que je pensais me trouver en terrain de confiance, voyant notre entretien avec Aïssam Aït-Yahya des éditions Nawa y avoir enfin sa place, non sans de grandes réticences de part et d’autre, discutées en privée - et dont je ne révèlerai pas, même à demi-mot, la teneur, par principe éthique.
  
Je suis l’auteur d’un texte publié ici même sur Mediapart en février 2019, intitulé Les islamistes ont-ils un cœur, qui a touché plus d’un de ces « islamistes » désignés en temps normal à la vindicte populaire, dans lequel je m’intéressais particulièrement à démanteler les préjugés islamophobes et racistes à l’œuvre dans tout un champ de recherche sociologique - et notamment dans le livre réédité récemment aux PUF, Les territoires conquis de l’islamisme de Bernard Rougier - , mais également dans le champ sociétal en lui-même. Force est de constater que les clichés ont la peau dure, et ce, même dans un camp « militant » que je ne supposais pas a priori ennemi. Je dis ennemi, et non pas adversaire, car je pensais que « Lignes de crêtes » n’était qu’un site adverse par rapport à mes positions que d’aucuns qualifieront d’indigénistes, ce qu’elles sont, en majeure partie.  

Alors qu’un réel débat en termes « démocratiques » et fair-play paraissait avoir été lancé, avec deux entretiens en regard l’un de l’autre, et de nombreux internautes s’en réjouissaient, Nadia Meziane ne trouve rien de mieux à faire que de littéralement planter un coup de couteau dans le dos d’un « frère », qui s’était confié à elle par mon biais, avait pris du temps et avait su rester patient, respectueux en privé, en en dressant un portrait offensant, et ce évidemment sans nous en avertir - ce dont après tout elle a le droit, elle est « chez (elle) ». Le plus gênant pour une militante : ce coup de poignard au beau milieu d’un climat islamophobe paroxystique qu’elle connaît, et alors qu’une lutte, à laquelle elle dit participer, doit redoubler d’intensité en ce moment même, lutte dont l’entretien cherchait notamment à approfondir les termes. 

Faire semblant de défendre la publication d’un article contradictoire, instaurer un climat de confiance malgré de nombreuses réserves réitérées constamment - je savais toutefois où je mettais les pieds idéologiquement - pour au final se réserver le dernier - fin (?) - mot de l’histoire, en alignant des calomnies dignes de l'islamophobie la plus crasse, est un procédé que personnellement je trouve très malhonnête, le mot est même un euphémisme.

Est-ce pour finalement te rassurer, Nadia, que tu as eu besoin de conclure de cette manière ? Pour satisfaire tes lecteurs déstabilisés par ton choix de nous accepter dans « ton salon » ? 

La République que tu avoues chérir saura sans nul doute se montrer reconnaissante. Mais tu t’es trompée d’ennemi. Enfin c’est mon avis.

« Calomniez, il en restera toujours quelque chose », dit le proverbe, reprenons tes propos. Aïssam Aït-Yahya est habitué aux calomnies, mais il faut mettre certaines choses au point, par respect pour nos lecteurs. 

- Aïssam Aït-Yahya ne demande rien.

Il n’a jamais « toqué à (ta) porte ». Il était même plus que réticent à répondre aux idées sidérantes de Zinedine Gaid, mais par confiance en moi - sais-tu seulement ce qu'est la confiance et son caractère précieux - , il a accepté de venir contredire les propos du professeur de philosophie étant donné que nous avons été plusieurs à en être abasourdis, et qu’au milieu de la séquence « loi séparatisme », il fallait mettre des choses au clair pour s’armer contre l’offensive : oui l’islamophobie, oui le racisme d’État, sous sa forme politique, institutionnelle, et non pas seulement morale, inter-individuelle, etc.

- Aïssam Aït-Yahya n’est pas un « salafiste ».

Le salafisme, le rappelle-t-il, est un mouvement contemporain très lié à la sociologie religieuse du Golfe, et en particulier à l’Arabie saoudite. Les salafistes d’ailleurs ne considèrent pas Aïssam Aït-Yahya comme « salafi ».

De plus, dans ton portrait diabolisant, qu’est-ce qui te permet d’affirmer qu’il est « fiché S » ? La fiche S est par nature confidentielle, le seul moyen pour Aïssam Aït-Yahya de savoir s’il en a une serait de passer par son avocat, chose qu’il n’a pas entreprise. Puisqu’il n’en a donc aucune idée lui-même, comment peux-tu l’affirmer ?

En outre, il n’a jamais subi de « perquisition », ni administrative ni judiciaire, mais une simple « visite domiciliaire », de celles décidées par l’Intérieur afin d’intimider ceux qui n’ont rien à se reprocher, histoire de leur « faire passer un message », comme le dit Darmanin.

Drôle de manière de lutter contre l’islamophobie que d’afficher un « frère » de la sorte.

- Aïssam Aït-Yahya « réactionnaire » ?

Libre à toi de le penser, reste à savoir ce qu’on définit par réaction, qui l’est et qui ne l’est pas de nos jours, surtout lorsque l’accusation vient d’une personne qui utilise le mot de façon péremptoire, comme un fait établi, sans jamais apporter de preuves analytiques et factuelles de ce qu’elle avance. Les stéréotypes que personnellement je trouve véritablement réactionnaires, véhiculés H24 par les médias, notamment la télévision, et que tu relaies, sont visiblement bien enracinés dans l'inconscient collectif, y compris le tien.

A aucun moment, par ailleurs, Aïssam Aït-Yahya ne s’est senti « insulté » de la comparaison « cavalière » et « douteuse » - les mots sont de moi - avec Zemmour établie par Zinedine Gaid, puisqu’il sait très bien qu’il n’a rien à voir avec le polémiste « sur-citoyen » de CNews, et que si « réaction » il pouvait sembler se manifester chez l’un comme chez l’autre, leurs formes n'auraient, s'y on s'y attarde, rien de commun, ne serait-ce que d’un point de vue racial - je lâche le mot. 

Merci de nous éviter encore une fois une fausse polémique en mettant sur le même plan des pensées divergentes. Nous avons besoin de temps, et il est pénible d’avoir à en utiliser pour stopper la diffusion de clichés islamophobes nuisibles, telle, oui, l’équivalence qui était établie dans l’interview initiale et à laquelle je jugeais opportun de répondre. Car contre qui devons nous lutter principalement, bon sang ? 

 - Aïssam Aït-Yahya, un homme comme ces autres ?

Curieuse déjà cette diabolisation d’emblée d’un homme musulman qui verrait « en Enfer » tout mécréant qu’il croiserait, mais peut-être pas tant de la part d’une islamophobe revendiquée, telle que tu t’amuses à l’écrire - par provocation sans doute, mais l’ironie est structure de vérité. Plus étrange, mais non moins compréhensible, cette misandrie éhontée : « Je vis dans une cité avec des hommes comme toi, et je sais comment vous êtes. (sic) » Fort bien. Vu que tu n’as jamais rencontré Aïssam Aït-Yahya, mais simplement échangé par écrit avec lui, ou plutôt, il lui a fallu répondre, avec beaucoup de sang froid, à bon nombre de tes attaques policières, comment peux-tu « savoir comment (il est) » ?

Allons, ressaisis-toi, tu laisses tes fantasmes prendre le dessus sur ton bon sens et ta raison : on ne doit jamais parler de ce(ux) qu’on ne connaît pas. Tu « (parleras) donc sans savoir,  seulement avec le cœur, l’expérience et la rage. » Un aveu. Mais de faiblesse. Il est un temps, désormais plus que jamais, où passions et frustrations - de ne pas savoir, mais sait-on jamais - doivent être contenues, un temps où il est nécessaire de faire l’effort de comprendre l’esprit grand ouvert, en anesthésiant ses ressentiments, afin d’avancer, et dans cet effort, de parvenir à s’expliquer la cause de ses pulsions et de sa colère. Visiblement, tu n’en es pas capable ; et ce qui est malheureux, c’est que tu t’y complais, tu nous en offres le spectacle. 

Par ailleurs qui sont « les hommes comme (Aïssam Aït-Yahya) » ? Quel est ce préjugé outrageant que tu sembles assumer d’avoir ? Ne serait-il pas ostensiblement raciste ? Évidemment qu’il l’est, mais le but du jeu qui en valait la chandelle aurait été que tu le déconstruises avec nous, et non pas que tu reviennes avec lui à la charge comme pour tenter de remporter quand-même la partie. Dommage.

- Aïssam Aït-Yahya n’est pas Daech.

Oui et merci de le noter. Alors pourquoi aurait-il beaucoup de chance d’être « un rescapé » ? Un « rescapé » de quoi ? De l’utopie Daech ? En quoi aurait-il une quelconque responsabilité avec le projet État Islamique ? Comme tu l’indiques, nous sommes tous responsables de ce qui a pu se passer, se passe et se passera d’atrocités dans les décennies à venir, nul n’est innocent, c’est aussi mon avis, par conséquent, pourquoi le viser lui spécifiquement dans ta diatribe ? Pourquoi sous-entendre qu’il serait un inspirateur déçu, et comme passé à travers les mailles d’un filet ou d’un suicide collectif ? Tu comprendras qu’il s’agit là d’une grave attaque extrêmement diffamatoire, insultante et indigne, qui pourrait très bien émaner des plus virulents islamophobes qui soient.

- Aïssam Aït-Yahya n’est pas un « idéologue du djihad ».

Malgré ce que « certains disent ». Mais enfin pourquoi broder sur des fantasmes, quel manque de sérieux. Si toi, Nadia Meziane, rêve d’une « République socialiste », Aïssam Aït-Yahya ne rêve pas de « théocratie » : la théocratie, précise-t-il, est purement chrétienne. Il a déjà réfuté plusieurs fois cette notion pour qualifier le système politique en Islam - il faut lire ses livres et articles, et ne pas se fier aux on-dit, ou alors se taire. En Islam, pas d’hommes infaillibles ou de clergé, qui dicteraient les règles en parlant au nom de Dieu et en cherchant à se faire obéir aveuglément à l’aide d’un pouvoir absolu. Cela n’existe pas. Pourquoi le prêcherait-il ? 

- Aïssam Aït-Yahya n’est pas un « ignorant ».

Ni ignorance, ni orgueil chez lui, auquel cas il ne t’aurait pas consacré autant de son temps, ni à toi, ni à Zinedine Gaid pour lequel il a par ailleurs exprimé une compassion sincère. Et permets-moi de te dire qu’il ne « parle » pas comme toute cette génération d’intellectuels auto-satisfaits, aussi ennuyeux que possible, ce pourquoi je considère sa pensée plus que digne d’intérêt et que je t’ai proposé de l’accueillir afin d’offrir à tes lecteurs un entretien-contre-poids de qualité, et non pas empreint d'orientalisme - en bon décolonial que je suis - , par rapport aux questions qui, me semblait-il, nous intéressent, afin d’éviter justement les « références » habituelles de la sociologie et de la politologie blanches.

La génération d’Aïssam Aït-Yahya - née au plus tôt vers 1975 - est oui, tient-il à préciser, la première génération massivement née en France et donc française. Ceci est une réalité à la fois sociologique et historique. Génération issue du regroupement familial. Donc oui, génération qui est la première à se trouver à ce stade. Auparavant, les immigrés sont socialisés et nationalisés sur le tard. C’est en ça qu’Aïssam emploie le mot « adulte », c’est-à-dire « de plein droit », comme qui dirait « majeur », et tu le sais parfaitement, tu joues avec les mots afin de faire croire qu’il penserait des générations précédentes qu’elles n’avaient aucune conscience politique, restées au stade infantile. Basse manœuvre. 

Quant à lui reprocher d’user d'un statut d’ « intellectuel » pour être interrogé par Le Point - tu avoueras la pauvreté des articles que tu as pu lire - ou à Houria Bouteldja d’avoir été une habituée de feu l’émission de Taddeï, tu sais également très bien ce qu’il en coûte d’accepter de telles médiatisations. De plus, tu seras gentille de concéder que ni Aïssam Aït-Yahya ni Houria Bouteldja ne sont du genre à faire des courbettes face aux personnes d’influence pour passer à la télé ou figurer dans les pages d’hebdomadaires à grand tirage qui généralement les piègent. Qu’un François Burgat décide - et je le remercie de son intérêt - de relayer l’interview parue sur ton site devrait te satisfaire plutôt que de te braquer. J’ose espérer que ce n’est pas la jalousie des milliers de vues qu’a déclenchés l’article qui te mets dans cette état de colère que nous ne comprenons vraiment pas.

- Aïssam Aït-Yahya lit ce qu’il veut et réfléchit avec qui il veut.

Il est de bon ton ces temps-ci, mais cela ne date pas d’hier, de vouloir brûler des livres, leurs auteurs ou même leurs lecteurs. Dès le départ, ce rejet violent par rapport à quelqu’un qui lirait et citerait un penseur controversé. Non mais où va-t-on ? Dois-je moi-même être honni pour avoir lu du Zemmour afin de savoir de quoi il en retournait, vu que les ventes de ses livres explosent à chacune de leur sortie,  de deviner ce qui se passe dans la tête de mes concitoyens acquis à son combat ? 
Si Aïssam Aït-Yahya a pu lire des auteurs d'extrême-droite, précise-t-il, c’est peut-être aussi parce que très tôt, il a perçu l’hypocrite islamophobie de la gauche, la même que tu as pu confesser assumer ironiquement. Cette gauche qui selon lui ne pardonne pas aux immigrés d'avoir enfanté des musulmans émancipés. Au moins à droite, toujours pareil, il sait à quoi s'en tenir… ça et aussi parce que, comme dirait un de ses proches - tu vas faire un AVC, Marc-Edouard Nabe : « Toute bonne littérature est de droite. »

Quant à la gauche « nulle », si l’on se réfère à celle que voudrait bâtir un Geoffroy De Lagasnerie, cité par Zinedine Gaid, qui poserait comme pré-requis de ne plus avoir à discuter avec ses adversaires et ennemis politiques à l'avenir, nous voilà bien. Quand on fait de la philosophie politique ou de l’Histoire politique, il faut tout lire, navré. La gauche, c’est aussi la « danse vallsienne », chère amie, je ne t’apprends rien du tout, elle paie le prix d’années de paternalisme néo-colonial, de son SOS Racisme, de sa politique libérale et autoritaire sous Hollande, et de son foutage de gueule encore aujourd’hui, inutile de se plaindre de sa disparition. Espérons la morte et enterrée.

- Aïssam Aït-Yahya n’est pas antisémite.

Je te rassure. Il ne l’est pas, car comme il dit, je le cite : « Je ne suis pas fasciné par les juifs ».  

Ce qu'il a pointé dans l’interview est un fait malheureusement vérifié et politiquement et médiatiquement, en plus d’un ressenti collectif.

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, j’ajouterais pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Et ne parlons pas de cet odieux concept qui consisterait à imaginer que la « communauté arabo-musulmane » dont vous faites partie selon toi, ce sont tes termes, aurait des propensions naturelles, héréditaires, généalogiques, à l’antisémitisme.

Jusqu’à preuve du contraire, Aïssam Aït-Yahya n’a pas fustigé la communauté juive dans ses propos, mais le comportement étatique, gouvernemental, politico-médiatique, vis-à-vis de cette communauté et au détour d’une seule phrase. Ce deux-poids-deux-mesures ressenti par votre communauté en termes d’oppression est celui-là même à l’origine du ressentiment intercommunautaire. On le sait très bien. La communauté  juive ne saurait évidemment être tenue pour responsable de ce qui se joue autour d’elle comme conflits d’intérêts.

Qui plus est, le concept de « question juive irrésolue », concept qui m’a fait grimacer à la lecture de l’interview originale, est de votre fait, à Zinedine Gaid et à toi. Ce pourquoi j’ai interrogé Aïssam Aït-Yahya à ce sujet. Et je ne vais pas vous apprendre que l’obsession pour la question juive, en en faisant un cas hiérarchiquement prioritaire par rapport aux autres sous des prétextes douteux, est tout aussi problématique et malsaine dans un sens que dans l’autre, philo- comme anti-, deux faces d’une même pièce.

Interrogez-vous sur votre fixation indécente plutôt que sur une relative indifférence de la part de vos pairs qui vous perturbe. Si vos histoires et vos convictions personnelles sont farouchement liées à cette question, permets-nous de pas être aussi policiers dans nos attitudes envers les autres, non pas tant par dédain, que par absence de ce qu’on pourrait bien qualifier de « névrose irrésolue ». Les principes de Fraternité à géométrie variable de ta chère République sont ce qui nourrit l’antisémitisme, que tu le veuilles ou non, c’est un fait, navrant, mais un fait. Pas la peine de t’en prendre aux musulmans pour résoudre une tare française pour ne pas dire occidentale et… blanche, dont tu hérites en tant qu’« assimilée ».

Tout ceci est bien désolant. 

Car tu aurais pu être « l’Originale », toi aussi. Celle qui aurait tenu tête aux islamophobes, racistes, imbéciles, qui venaient répandre leur ignorance totale de la pensée d’un musulman fondamental en la disqualifiant d’emblée avant même parution de notre entretien, sans leur servir leur soupe d’a priori dans un dernier billet de conclusion.

Ta réponse n’est-elle pas au final ton assurance-vie ? celle qui te permet de demeurer respectable auprès de tes lecteurs - la solidarité de classe, surtout pas celle de race… ? celle qui te permet de clamer haut et fort ton amour de la République tout en raillant un modèle de vie que tu qualifies, sans savoir au fond de quoi il s’agit, de « réactionnaire », pour des histoires de maillots de bain et de verre de Chardonnay...

Tu remercies la radicalité d’Aïssam Aït-Yahya qui t’a permis d’affirmer tes convictions et priorités - de gauche, féministes, islamophobes, en dépit d’un contexte ultra violent contre les hommes musulmans.

Nous t’avons remerciée d’avoir publié notre entretien sur ton site.

Mais nos remerciements s’arrêteront là.

"Une réponse à Aïssam Aït-Yahya.

Mon frère appelle-moi Marianne."

"Donc un jour un « salafiste » a toqué à ma porte, et ce fut toi. Je ne sais si ce mot te convient, je mets les guillemets, et tu ne me peux plus me soupçonner de vision policière. Car je t’ai ouvert, tu t’es assis sur mon canapé d’assimilée soumise, laïque et néo-sioniste, et puis tu as parlé. Trente pages, 45 minutes de lecture, une conférence d’une heure à peu près, sans être interrompu. Ce n’est pas l’envie qui m’en manquait, ni celle de te foutre à la porte et de la claquer derrière .

Mais à quoi bon, Aïssam ? Je ne suis pas charcutière de Tourcoing, je suis une petite précaire démocrate insignifiante, sauf si elle refuse de se cacher derrière Gérald.

A quoi bon te faire ce qui t’a déjà été fait, fiché S, perquisitionné, mis au ban de tes propres communautés. Salaf, donc, les seuls réac de France qu’on ne voit pas sur les plateaux télé.

Non j’ai préféré saisir ma chance. Enfin l’un d’entre vous venait me parler. Oui, me parler, certes tu réponds à un homme, mais chez moi. Et toutes ces années, j’avais tellement de choses à te dire, mon Frère ennemi, mais contrairement à d’autres, je savais que cela ne servait à rien de parler dans le vide. Je vis dans une cité avec des hommes comme toi, et je sais comment vous êtes. Les racontars islamophobes me font bien rire, non vous ne frappez pas les apostates, les métèques, les buveuses d’alcool aux bras nus de votre communauté .

Vous détournez la tête, nous n’existons pas, nous sommes déjà en Enfer, et l’on peut bien vous insulter, ou danser une gigue en maillot de bain avec un verre de vin blanc pour vous énerver, si l’on n’a pas à coté de nous Laurent Obertone à qui vous daignerez parler, et bien on n’est pas Zineb El Rhazoui, on est personne, dans nos quartiers.

Bref, tu as fait de moi Quelqu’un, tu as croisé mon regard et tu me liras, car tu sais que d’autres vont lire, qui sont importants pour toi.

Je ne suis pas une intellectuelle, juste une militante de base, je parlerai donc sans savoir, seulement avec le cœur, l’expérience et la rage.

D’abord je sais que tu n’es pas Daech. Tu n’es pas mort sous les décombres d’un immeuble en Syrie, tu n’as pas été abattu ici de douze balles dans le corps, après t’être condamné toi même à être le dernier des salauds, des lâches, et des monstres pathétiques qui se prennent pour des guerriers en tuant des enfants juifs, ou des femmes et des hommes désarmés. Tu as donc beaucoup de chance, finalement. Tu es un rescapé de ces vingt ans atroces, qui depuis le 11 septembre 2001, ont fabriqué des bourreaux aussi laids, aussi dangereux, aussi niais, aussi pervers que le plus dégénéré des néo-nazis. Tu as de la chance, Aïssam, et que le sang des victimes te serve à réfléchir. Nous serve à réfléchir.

Car tu es responsable de Daech. Autant que moi. Exactement autant. Puisque toi et moi avons au moins cet accord là, nous parlons de « communauté arabo-musulmane », de communauté de Destin, donc. Et bien voilà, Aïssam, je rêvais d’une République Socialiste, tu rêvais d’une sorte de théocratie vertueuse et conquérante, mais à la finale, nous avons échoué et Daech a gagné. Pour l’éternité des temps, notre génération restera associée politiquement à ceux qui ont fait l’Histoire, horrible, insupportable. Nos frères ne nous ont pas écoutés, pas plus toi que moi. Car ce n’est pas à ton rêve de communauté musulmane française qu’ils ont souscrit, seulement à la pulsion destructrice, nihiliste et antisémite. De toi certains disent que tu es un idéologue du djihad, mais non, la preuve, ils l’ont mené sans toi. Contre toi.

Alors qui es-tu ? Tu es allé chercher la sociologie pour qualifier Zinedine Gaïd d’opprimé qui souscrit à sa propre oppression. Je te répondrai uniquement par le jugement politique.

Tu es un ignorant, déjà. Ignorant orgueilleux des luttes et des sacrifices qui t’ont créé, toi, l’intellectuel brillant qui parle aussi bien que François Burgat, avec les mêmes références, avec la même forme universitaire. Et qui croit que les issus de l’immigration musulmane sont devenus adultes quand toi tu l’es devenu.

Non, nous le sommes depuis toujours. Depuis la première génération, qui, d’ici, a combattu le colonialisme en ne comptant pas forcément rentrer et être libres dans son pays d’origine. Cette génération t’a donné le début de l’égalité, elle t’a fait humain légalement. Elle était bien des choses, nationaliste, communiste, islamiste, mais surtout, surtout dans son immense majorité, elle était ouvrière et a lutté, en même temps, pour le pain et la liberté. Des bidonvilles et des hôtels meublés, ils se sont levés.

Et puis ensuite, Aïssam, il y a eu la conquête souterraine, ignorée, méprisée de tous, celle de nos droits civils et sociaux. Toutes ces grèves dans les usines, dans les foyers, tous ces combats pour mettre les enfants à l’école de la République et que certains, comme toi, réussissent à s’emparer du savoir de l’Occident, à le faire leur, tant d’années plus tard. Nous ne sommes pas devenus adultes, nous sommes à jamais les enfants des mères femmes de ménage et grévistes de l’hôtel Ibis, des pères sortis manifester dès les années 80 pour qu’on ne nous abatte pas à vue comme des lapins, des sœurs par millions investies dans les associations de soutien scolaire, de solidarité de quartier . Tu es à jamais l’enfant des institutrices, et des éducatrices, et des militantes gauchistes ringardes de manif comme moi, hurlant à s’en briser la voix « Des papiers pour tous », « Pas de justice, pas de paix », ou « Du fric pour l’école publique ». Tu es le petit frère des grands, qui ont lutté contre les ravages de l’héroïne et du SIDA qui nous ont frappés bien plus que les franco-français.

Tu viens après. De la génération, qui ayant eu en héritage tous ces droits là, conquis de haute lutte, a eu le privilège de l’ascension culturelle. Ma génération. Ne dis pas non, car tu parles à une précaire qui l’a refusée absolument, cette ascension. Tu as écrit sur le site d’une fille qui n’a pas eu les lumières des plateaux de « Ce Soir ou jamais » comme certaines Indigènes, ni les honneurs du Point comme toi, pour aller y clamer qu’elle est une rebelle et une révolutionnaire. Quand tu parles, tu es repris par une star universitaire, François Burgat, ça n’arrive guère à mes textes publiés sur Lignes de Crêtes, c’est normal, la lutte de classe d’une petite AESH, il s’en bat la race. Et mes textes sur l’antisémitisme, bon bah je te fais pas un dessin, ça ne risque pas, les arabes qui s’intéressent au négationnisme, ça le dépasse ce monsieur là, évidemment. Et privilège des privilèges, tu as même rencontré Alain de Benoist.

Et c’est là que je suis formidablement heureuse que tu m’accordes ce droit, te dire ton fait, frère réactionnaire. A quel moment, toi qui es communautariste, penses tu avoir le droit de faire cela à ta communauté et à notre histoire ?

Tout ça pour ça, Aïssam ? Toutes ces luttes qui t’ont donné la liberté de choisir ton destin, de sortir de la masse qui a lutté et est morte pour toi, tu t’en sers pour aller lire les héritiers de l’OAS, les théoriciens de notre inégalité dans ce pays, ceux qui ont mis en œuvre la fameuse métapolitique, celle qui a permis la conquête de l’hégémonie culturelle de l’extrême-droite, celle qui nous amène à la situation politique actuelle et nous condamne tous et toutes, réac, progressistes, musulmans, un peu, beaucoup avec ou sans voile à ne pas être chez nous dans notre propre pays ?

Et tu viens nous dire, à Zinedine et moi que nous reproduisons notre propre oppression ? Et tu viens te plaindre qu’il te compare à Eric Zemmour ? Mais au fait en quoi est-ce une insulte pour toi ? Pas assez intellectuel, peut-être, tu estimes mériter d’être comparé à Alain de Benoist ?

Et c’est nous, les assimilés ? Non, c’est vous. Toi et tous ceux de ta génération qui avez trouvé que l’extrême-droite française était séduisante, brillante et que la gauche était nulle et à jeter aux poubelles de votre histoire. C’est vous qui avez suivi exactement le même chemin que les jeunes franco-français qui, au début des années 2000 se sont découvert une passion pour les racines, l’identité, le retour aux sources de la Tradition, saucisson, pinard et jupes plissées anti-IVG d’un côté , et de l’autre, heu, et bien la même mais sans saucisson et avec oppression. Ton parcours, cher Frère n’a rien d’autonome politiquement, sauf quand tu parles à gauche , c’est-à-dire quand tu manies brillamment les concepts de « démocratie défaillante », d’ « islamophobie d’Etat », ou quand tu exiges tes droits d’homme libre.

Sinon, et bien oui tu es Alain de Benoist, puisque cela ne t’insulte pas.

Sauf que les faits sont têtus. Tu es arabe, et minoritaire. Et la République, qui admet Maurras, et Zemmour, et Le Pen, et De Benoist ne te reconnaît pas les mêmes droits, effectivement. Grande découverte, les droits ne s’usent que si on ne les conquiert pas. Et évidemment, essayer de conquérir l’égalité politique antiraciste en étant réactionnaire et arabe, ça ne fonctionne pas. Car la réaction est raciste, et l’eau mouille, surprise, nous ne sommes pas en Arabie Saoudite.

Et face à cela, inutile de dire et redire « Oui mais les Juifs, eux … ». Inutile de venir pleurer parce qu’après tout, les Juifs orthodoxes de ce pays ont le droit donné par la République de vivre tranquilles, et pas les tiens et toi. C’est une réalité, et qui a son histoire, elle aussi.

Avant cela, les Juifs de ce pays sont passés par un génocide et Vichy, figure toi. Pour le moment, mon frère, nous avons échappé à cela, pas eux, alors avant de faire du deux poids deux mesures, regarde bien la balance et de quel côté elle penche, question oppression, horreur et souffrance, en France.

Parce que cela aussi, c’est le signe profond de ton assimilation au pire, le symptôme d’une génération conquise comme les franco-français par la logique antisémite, celle qui pousse à regarder du côté des Juifs, tout le temps, la Racine de toute cause. Serge Ayoub et des salafistes ensemble à la Main d’Or , par exemple. C’est cela, l’histoire de courants politiques qui te sont proches, alors bon, après cela viens pas me faire la leçon parce que j’ai porté la main jaune de SOS Racisme, excuse-moi, c’était peut-être très con, mais ça vaut mieux que serrer la main des croix celtiques en croyant qu’elles vont nous libérer.

Tu es intelligent, je ne te demanderai pas d’en avoir quelque chose à foutre des Juifs, juste d’user de ton poids politique pour justement faire que ceux qui t’écoutent n’en aient rien à foutre . Fais-le par stratégie. Exige les mêmes droits que les catholiques, un peu d’ambition. Je te le demande , je t’en supplie même, à genoux, s’il le faut, fais ce qui est en ton pouvoir pour arrêter cela, sois l’Original.

Mais enfin ce qui est fait est fait, et je ne vais pas ressasser sur trente pages à quel point tu n’as rien compris, à mes yeux du moins.

Car un jour tu es venu , amené par un camarade avec qui beaucoup de mots horribles et violents ont été échangés par le passé.

Et je t’ai laissé parler car je suis la métèque des Lumières, la fille humiliée par la République qu’elle aime et c’était un défi à moi-même, évidemment. Tu m’as posé une Question, indirectement . Fondamentale pour la suite.

Nous sommes bien dans une démocratie défaillante. Et il y a deux mots dans l’expression. Et je crois au premier comme modèle de société. Je crois profondément à son Geste premier, accorder des droits et se mettre en danger, risquer d’être anéantie par des forces politiques qui rêvent de systèmes où le pouvoir ne serait jamais un vide, seulement une injonction permanente et armée.

Je suis une assimilée de la République, car je crois profondément en celle qui n’a jamais existé , sauf parfois. Lorsqu’elle sait se faire vide et tolérance, lorsqu’elle sait être Laïcité. Lorsqu’elle accorde à ceux qui veulent vivre autrement le droit de le faire. Lorsqu’elle accorde aux citoyens le droit de lui cracher dessus, car la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe et même si c’est le cas, bon bah elle s’essuie et elle passe à autre chose.

C’est à dire à la défense de ce qui la fait belle et enviable. C’est à dire au service public de l’école, qui alors n’a pas à se préoccuper des écoles privées, car tout le monde veut aller là où ses enfants apprendront le mieux et réussiront ensuite à s’accomplir. C’est à dire les droits sociaux qui garantissent la liberté à ceux qui ne peuvent l’acheter. C’est à dire l’égalité qui te donne le droit de ne pas croiser le regard des femmes sans voile, mais me donne celui de me balader en maillot de bain si ça me chante dans le même quartier et dans le même immeuble. C’est à dire la liberté de conscience et le droit à la défense. Qui se distingue de la liberté d’expression absolue, car celle-là est liberté d’oppression. Et sur Lignes de Crêtes, Eric Zemmour n’aurait pas le droit de parler, toi je t’ai accueilli, pour rétablir la balance , d’une part et parce que tu as respecté , ici, au moins, mes droits de femme et les droits de toutes les minorités.

Et montré que finalement, le meilleur moyen de combattre une partie de tes idées, pour nous, les prosélytes de la République rêvée, c’est déjà de t’intégrer au débat démocratique.

Tu n’es pas Alain de Benoist, tu n’es pas Eric Zemmour, tu n’es pas Daech, tu es un homme qui doit être libre d’être réactionnaire, s’il le souhaite.

Et moi, je suis celle qui accepte de se faire traiter de soutien des “salafistes” par des imbéciles racistes et mal intentionnés, des paternalistes arrogants qui rêvent de plateaux télé pour défier Zemmour ou De Benoist, mais qui voudraient que moi, la petite arabe, je n’aie pas ce rêve là, défendre la démocratie et la gauche face à ma droite, c’est à dire toi.

L’espace d’un instant, tu as été féministe radical et bien plus que tu ne le crois. Dieu te pardonnera, j’en suis sûre, les islamophobes lui diront que c’était de la Taqya. Moi je te dis merci pour le débat."

N. Meziane, Lignes de Crêtes, mai 2021

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