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Billet de blog 10 juillet 2025

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Les aides publiques aux entreprises augmentent plus vite que les aides sociales

Un pognon de dingue : les aides publiques aux entreprises coûtent 211 milliards d’euros par an. Prodigieux tant ces dispositifs manquent de transparence et de redevabilité, et génèrent des effets d’aubaine massifs. Mieux : selon nos calculs, elles augmentent 3,3 fois plus vite que les aides sociales et 3 fois plus vite que le PIB. Les assistés ne sont peut-être pas là ou on le dit.

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Cela fait des années que nous alertons sur le coût exorbitant que représentent les aides publiques aux entreprises, ainsi que sur l’absence de transparence, le manque de contrôles et de redevabilité, ou encore sur les effets d’aubaine massifs que ces dispositifs souvent mal calibrés et inefficaces génèrent. Après six mois de travaux et d’auditions, une commission d’enquête sénatoriale vient de rendre son rapport : il confirme, et légitime, l’essentiel de nos alertes et de notre travail.

Il fournit également une référence chiffrée incontestable : 211 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises en 2023, premier poste de dépenses publiques. Soit une augmentation, selon nos calculs, 3,3 fois plus rapide que celle des aides sociales sur les vingt-cinq dernières années. Et plus de 3 fois plus rapide que le PIB. Voilà de quoi remettre en cause bon nombre de certitudes et donner une toute autre image du capitalisme français et des dépenses qui grèvent le budget de l’État : les dépenses incontrôlables, les sources d’économie et les assistés ne sont pas là où on le dit. Ou pas que.

Que retenir du rapport sénatorial ?

Il ne s’agit pas ici de reproduire les nombreux articles de presse à ce sujet (Le Monde, Médiapart par exemple) qui donnent les éléments saillants du rapport. Tirons-en plutôt quelques enseignements politiques et économiques :

  • qui se frotte au sujet tombe de sa chaise : nous le disons depuis des années, il suffit de se pencher avec sérieux sur le sujet pour être stupéfait par les montants en jeu et l’incapacité totale des administrations de « répondre à une question aussi simple que celle du montant des aides publiques reçues par les entreprises » ; même le président de la Commission sénatoriale, plutôt connu pour être pro-Business, s’est montré effaré par la situation ;
  • un aveuglement budgétaire et fiscal : par la sédimentation progressive d’un maquis de 2250 aides publiques sans suivi ni évaluation systématiques, les gouvernements successifs ont sciemment organisé une cécité collective contre laquelle nous sommes heureux d’avoir oeuvré ;
  • la fin d’une exception injustifiée : cette absence de pilotage administratif et politique, de suivi et d’évaluation systématique des dispositifs ferait scandale s’il s’agissait d’aides sociales et/ou de financements de services publics ; puissent les termes acérés et parfois brutaux utilisés pour décrire cette situation « effarante » produire le « choc de transparence » et « de rationalisation » que ce rapport sénatorial appelle de leurs vœux ;
  • quand on cherche on trouve : combien de fois nous a-t-on dit, notamment dans le camp macroniste, qu’il n’était pas possible et utile de calculer de montant global des aides aux entreprises, et que le fonctionnement de ces dispositifs ne posait pas de problème majeur ? Le Sénat prouve définitivement le contraire, et les députés du bloc central n’en sorte pas grandis ;
  • le capitalisme français est massivement soutenu par les deniers publics : loin de l’image véhiculé par les PDG de multinationales, ainsi que par certains éditorialistes et économistes, les (grandes) entreprises privées ne sont pas étranglées par le financement de l’Etat-Providence français mais en sont des bénéficiaires croissants : si certains collègues parlent de l’État comme « béquille du capital », ou d’un « capitalisme sous perfusion », nous préférons parler de « corporate welfare », d’Etat-Providence pour les (grandes) entreprises, pour les raisons qui suivent ;
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Les aides publiques aux entreprises augmentent 3,3 fois plus vite que les aides sociales. Evolution en base 100. © @maximcombes

Plus que le montant global des aides publiques, c’est son évolution qui est choquante !

Il faut prendre la mesure des chiffres et des grandeurs qu’ils représentent : 211 milliards d’euros est un montant extrêmement conséquent, mais la vitesse avec laquelle ce poste de dépense croit depuis 25 ans est démentielle. Aucune autre grandeur économique majeure ne progresse trois fois plus vite que le PIB sur 25 ans. Cela dit bien la réalité du prodigieux effort budgétaire et fiscal consenti au profit des seules entreprises sur la période. Plusieurs leçons en découlent :

  • des dépenses incontrôlables : sur les 25 dernières années, ce n’est pas la croissance des aides sociales – relativement proche de celle du PIB - qui grève les finances publiques, mais bien la croissance des aides publiques aux entreprises ;
  • un effet cliquet à la hausse: si ce point sera à confirmer dans les années à venir, il semblerait que là où les aides sociales sont reparties à la baisse après la pandémie de COVID19, les aides publiques aux entreprises restent durablement orientées à la hausse malgré la fin de la pandémie ;
  • des sources d’économie bien identifiées : puisque les aides publiques aux entreprises représentent le premier poste de dépenses publiques et fiscales, et alors que de nombreux dispositifs sont critiqués pour leur manque d’efficacité, il y a là un gisement d’économies possibles et significatives ;
  • les assistés ne sont pas là où on le dit : il fallait écouter les PDG de multinationales françaises expliquer aux Sénateurs que certains de leurs activités et investissements étaient désormais dépendants d’aides publiques et qu’ils ne sauraient vivre sans, illustrant une forme d’assistanat qui passe généralement sous les radars médiatiques ;
  • des droits … mais pas de devoirs : alors qu’il est toujours exigé plus « de devoirs » de la part des bénéficiaires des aides sociales, on constate un manque criant de conditionnalités, de contrôles et d’évaluations sur les aides publiques aux entreprises ;
  • un « corporate welfare » est en construction sous nos yeux : quand les droits des bénéficiaires sociaux sont progressivement érodés et qu’il leur ait exigé en retour toujours plus de devoirs, et qu’en parallèle se sédimente un maquis d’aides publiques de plus en plus coûteuses non contrôlées et non évaluées, c’est l’Etat-Providence historique qui laisse place progressivement à un Etat-Providence pour les « grandes entreprises », un « corporate welfare ».
  • « On met un pognon de dingue dans les aides publiques aux entreprises et ces dernières ne créent pas assez d'activités et d'emplois en France » peut-on dire pour plagier de façon consistante et sérieuse les propos d'Emmanuel Macron sur les minimas sociaux.
  • un levier de transformation du capitalisme français : puisque les PDG des grandes entreprises auditionnées disent être désormais dépendants de ces financements publics, ce maquis est aussi un extraordinaire levier pour accompagner la transformation de l’économie française : conditionner l’accès aux dispositifs au respect de la loi (égalité femmes-hommes, obligation d'emploi des travailleurs handicapés, climat et biodiversité, etc) et à des objectifs contractualisables de « RSE » pourrait contribuer à changer l’image et la nature du capitalisme français.

Tant sur la transparence, que sur l’évaluation et le conditionnement de l’accès aux dispositifs d’aides publiques, il est possible d’agir vite et bien. Emparons-nous de ce sujet pour que ce rapport ne finisse pas, comme d’autres, par caler une armoire des sous-sols du Sénat.

Complément : le même graphique sur données brutes (hors PIB car les grandeurs ne sont pas du même ordre) où l'on voit, même s'il faudra le confirmer dans les années à venir avec des données mises à jour que si les aides sociales ont baissé suite à la pandémie de COVID19, les aides publiques aux entreprises ont visiblement continué à augmenter.

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Les aides publiques aux entreprises augmentent 3,3 fois plus vite que les aides sociales. © @MaximCombes

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).

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