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Billet de blog 10 novembre 2025

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Climat ou Mercosur, il va falloir choisir E. Macron !

En prélude à la COP30, E. Macron s’est montré ouvert et « positif » quand à la ratification de l’accord de libre-échange UE-Mercosur, tout en, dans le même temps, fustigeant les « prophètes de désordre » qui « sèment le doute quant à l’urgence climatique ». Comme si l’accord de libre-échange UE-Mercosur était climato-compatible. Ce n’est pas le cas. Explications.

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Mercosur ou climat, il faut choisir !

Commençons par l'actualité et les déclarations d'E. Macron. Pour qui a suivi les négociations autour de l’accord de libre-échange UE-Mercosur qui durent depuis 25 ans, pour qui a lu le contenu l’accord de libre-échange UE-Mercosur et pour qui sait à quoi sert « une clause de sauvegarde », il est tout d’abord totalement lunaire d’entendre un Président de la République affirmer « avoir été entendu par la Commission qui nous a donné une réponse positive sur les clauses de sauvegarde ». Ce faisant, E. Macron bafoue ses engagements et les faits :

  • il laisse entendre qu’une clause de sauvegarde aurait été récemment ajoutée à l’accord UE-Mercosur : celle-ci, définit par les chapitres 8 et 9 de l’actuel accord est présente depuis au moins 2019 ; elle n’est pas nouvelle et elle n’a pas été modifiée depuis six ans ; le rapport Ambec pointait d’ailleurs en 2020 l’absence de clause de protection spécifique pour les filières les plus fragiles ; il n’y en a pas plus aujourd’hui.
  • Il laisse entendre que cette clause résout les problèmes que cet accord génère sur les filières les plus fragiles : ce n’est pas vrai car une clause de sauvegarde, équivalente d’une pause dans une compétition sportive, n’est qu’une réponse conjoncturelle qui ne résout pas les problèmes structurels.
  • ce qui est aujourd’hui en discussion relève d’une législation unilatérale de l’UE pour définir les modalités d’application de cette clause de sauvegarde à l’échelon européen : alors que toutes les filières concernées (volailles, sucre, etc) affirment que les modalités choisies par la Commission sont inopérantes pour « protéger » leurs filières, prétendre qu’elle pourrait les protéger est une vue de l’esprit.

Ces trois points sont un résumé rapide de la note que j’ai rédigée pour l’Aitec : Accord UE-Mercosur : de quelle clause de sauvegarde parle-t-on ? (4 pages, pdf)

Dès lors, le subit revirement de position d’E. Macron, sans aucun débat public ni parlementaire, apparaît comme totalement infondé et met à mal, un peu plus encore, la démocratie française : quelle est cette "démocratie" où un SEUL peut décider contre l'avis de 99% des parlementaires et de 100% de la société civile (hors Medef), de soutenir un accord nocif, qui n'a pas été modifié d'une virgule après avoir promis de s'y opposer ?

Les 46 organisations de la société civile qui ont récemment publié une lettre ouverte ont raison de l’interpeller : « Lors du dernier Salon de l’agriculture, en février 2025, vous qualifiez encore le contenu de "mauvais texte", précisant que vous feriez "tout pour qu’il ne suive pas son chemin, pour protéger cette souveraineté alimentaire française et européenne" ». Elles l’appellent à revenir à une ferme opposition contre cet accord délétère et à « construire une minorité de blocage avec les autres pays européens critiques de cet accord ».

Le collectif nationale Stop Mercosur invite les internautes à écrire à E. Macron et à lui dire que la France doit s'opposer à cet accord

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Réagissons - PAssez à l'action © Collectif Stop Mercosur

Un accord de libre-échange qui n’est pas climato-compatible

Cette partie est un résumé de la note que j’ai rédigée pour l’Aitec : Accord UE-Mercosur :
pourquoi n’est-il pas climato-compatible ?
(5 pages, Pdf)

Venons-en au climat. La contradiction n’a pas été assez relevée. C’est en marge de la COP30, lors de son sommet introductif de chefs d’État et de gouvernement qu’E. Macron a rouvert la porte à l’accord de libre-échange UE-Mercosur. Occasion au cours de laquelle il a dénoncé les « prophètes de désordre » qui « sèment le doute quant à l’urgence climatique », et a appelé les dirigeants du monde à choisir le « multilatéralisme face au repli sur soi » et « la science face à l’idéologie ».

Que disent les faits, la science sur l’impact de l’accord UE-Mercosur sur le climat. Essentiellement trois choses :

  • toutes les études publiées montrent que l'accord UE-Mercosur va augmenter les émissions de gaz à effet de serre, notamment en Europe ;
  • cet accord de libre-échange, encourageant l’augmentation de la production de filières qui aggravent l’emprise des activités humaines sur les forêts, va accroître la déforestation ;
  • cet accord maintient la prépondérance des dispositions de libéralisation du commerce sur les principes généraux de développement durable : il n’est jamais posé de cadre qui permette de réduire le commerce de biens et de services au nom de politiques climatiques/écologiques plus ambitieuses. C'est même le contraire : les politiques publiques qui nécessiteraient d'échapper aux dispositions commerciales prévues par l'accord (clauses de contenu local, favoriser les acteurs locaux, restrictions au commerce, etc) sont par principe considérées comme exclues du panel des politiques publiques à disposition des pouvoirs publics.

Cet accord fait comme si les engagements internationaux pris en matière de climat ou de biodiversité pouvaient être respectés malgré

  1. l'accroissement du commerce transatlantique – et donc de l'extraction – des ressources naturelles agricoles, minières, forestières ou énergétiques,
  2. le strict respect des règles qui organisent le commerce mondial depuis 30 ans,
  3. l’impossibilité de prendre des mesures de restrictions des échanges pour limiter les impacts sociaux et environnementaux de l'accroissement des échanges transatlantiques.

Face à ces critiques, la Commission européenne communique pour dire que :

  • l’accord de Paris sur le climat est « clause essentielle » à l’accord ;
  • les pays du Mercosur se sont engagés de façon contraignante à réduire leur déforestation.

Dans la réalité, il faut très fortement nuancer :

  • la « clause essentielle » ne porte pas sur les politiques climatiques menées par les États … mais sur l'appartenance à l'Accord de Paris : il ne saurait être reproché à un État qui ne respecterait pas ses engagements internationaux ou mènerait des politiques manifestement contraires à la lutte contre le changement climatique, tout en restant partie prenante à l’accord, de ne pas satisfaire cette clause essentielle ;
  • l’engagement en matière de déforestation est la simple réaffirmation d’engagements internationaux existants, et il n’est pas contraignant ni ne comporte de dimension exécutoire : s’ils n’est pas tenu, aucune des parties ne peut ouvrir une procédure de règlement des différends ;

Nous avons là ce qui est une constante en matière commerciale : les manquements des États dans la mise en œuvre de politiques climatiques ambitieuses ne sont pas mobilisés pour suspendre tout ou partie des dispositions de libéralisation du commerce prévues par ces mêmes accords.

Vers un « froid réglementaire » anti-écologique et anti-climatique

Pire, cet accord comporte un mécanisme qui a été ajouté dans la dernière ligne droite des négociations et qui permettrait clairement de dissuader la mise en œuvre de mesures sociales, écologiques ou durables qui restreindraient les gains attendus par les acteurs économiques des deux côtés de l'Atlantique. A l'heure où la lutte contre le réchauffement climatique, la perte de biodiversité ou la déforestation devrait conduire à mettre en œuvre de nouvelles politiques publiques qui restreignent tant certaines productions que certaines consommations, ce mécanisme pourrait ralentir, retarder ou empêcher la mise en œuvre de politiques climatiques rendues nécessaires.

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).

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