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Billet de blog 15 avril 2015

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Gaz de schiste : pourquoi j'ai renoncé à participer au groupe d'experts de la Commission européenne

 La Commission européenne a mis sur pied un groupe d'experts sur les hydrocarbures non-conventionnels. Invité à le rejoindre, j'ai renoncé à participer à un groupe de travail qui revient à donner « carte blanche » aux industriels et à l'exploitation des hydrocarbures de schiste en Europe.

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 La Commission européenne a mis sur pied un groupe d'experts sur les hydrocarbures non-conventionnels. Invité à le rejoindre, j'ai renoncé à participer à un groupe de travail qui revient à donner « carte blanche » aux industriels et à l'exploitation des hydrocarbures de schiste en Europe.

Fin août 2014, nous sommes alertés par des ONG basées à Bruxelles et mobilisées contre l'exploitation des hydrocarbures de schiste en Europe. La Commission européenne, qui est en train de constituer un groupe d’experts chargés de collecter des informations sur l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, leur a garanti que le travail de ce groupe d'expert serait indépendant et qu'il pourrait décider de son propre programme de travail, y compris sur le climat, l'environnement et la santé publique. Ces ONG nous invitent – nous les militant-e-s impliqués dans les mobilisations citoyennes contre les hydrocarbures de schiste depuis des années – à déclarer notre intérêt auprès de la Commission pour rejoindre un tel groupe, ce d'autant plus que les candidats sont peu nombreux et liés aux industries pétrolières et gazières.

Je m'exécute et exprime mon intérêt (détails ici), avant la date limite du 15 Septembre. Pour voir. En sachant d'ailleurs que les moyens financiers nécessaires pour assurer la participation de la société civile, qui dispose de bien moins de ressources que les industriels, dans cette instance, ne sont pas garantis.

A trois reprises (le 30 septembre et le 18 décembre 2014 ainsi que le 19 janvier 2015 – voir ici), je suis invité, par email, à renvoyer un CV justifiant de mes compétences sur « ce terrain ». Messages auxquels j'ai répondu, une fois, en envoyant une série d'articles, de rapports et d'études auxquels j'ai contribué depuis le début de la mobilisation contre les hydrocarbures de schiste en Europe. En effet, comme l'essentiel des militants et experts citoyens sur les hydrocarbures de schiste, nos compétences sont le fruit d'un engagement quotidien et d'une lecture assidue de la littérature scientifique, journalistique et citoyenne, complétée de l'expérience du terrain, en France et à l'étranger. Notre légitimité et notre expertise sur le sujet ne viennent pas de diplômes et de postes dans des entreprises du secteur, sanctionnées par de jolis intitulés dans nos CV. Difficile à comprendre pour une Commission européenne plus habituée à travailler avec les lobbies industriels qu'avec la population.

In fine, même sans CV, mon « expression d'intérêt » est « acceptée » (voir ici) et je suis convié à participer à la réunion qui est organisée les 23 et 24 février 2015 à Bruxelles.

Je vais pourtant très rapidement renoncer à me rendre à cette réunion et renoncer à participer à ce groupe d'experts. Pour plusieurs raisons :

  1. à la différence des groupes industriels et des experts rattachés à ces groupes, je n'ai pas, pas plus que mon association ou les groupes citoyens luttant contre la fracturation hydraulique, les moyens de me rendre à Bruxelles pour ces réunions : nous n'avons pas les moyens pour couvrir les frais de déplacement et d'hébergement, pas plus que pour couvrir le temps de travail que cela nécessite ; or, aussi surprenant que cela puisse paraître, la Commission européenne n'a initialement débloqué et confirmé aucun moyen pour assurer la participation de la société civile ; ce n'est qu'après la réunion de février qu'elle a annoncé pouvoir financer une cinquantaine de voyages, soit très peu, pour un groupe de travail supposé se réunir quatre fois par an pendant trois ans (cela couvre, tout au plus, les frais de trois ou quatre participants) ;

  2. malgré les discussions initiées par les ONG basées à Bruxelles et en dépit d'une lettre envoyée par les collectifs citoyens, l'intitulé des deux groupes de travail constitués n'a pas été modifié : le premier groupe s'intéresse aux projets d'exploration, de démonstration et de production d'hydrocarbures non conventionnels en Europe tandis que le second groupe se focalise sur les technologies. Le message d'invitation pour la réunion de Bruxelles n'est pas plus rassurant : il est rappelé que « l'objectif principal de ce groupe de travail est de collecter, analyser et examiner les résultats des projets d'exploration ainsi que d'évaluer le développement des technologies utilisées dans les projets de gaz et de pétrole non conventionnels ». Les effets sur le climat, sur l'environnement et la santé sont très largement minorés et relégués à un second plan, comme le montre la page de présentation du groupe de travail sur le site de la Commission européenne. De fait, l'objectif assigné à ce groupe de travail par la Commission européenne est relativement clair : il s'agit d'appuyer le travail des industriels pour promouvoir l'exploitation des hydrocarbures de schiste sous couvert d'expertise scientifique. 

  3. en relisant le mandat confié par la Commission européenne à ce groupe de travail, je m'aperçois qu'il ne comporte aucun doute sur l'opportunité d'exploiter les hydrocarbures de schiste. Il n'y est fait mention que de recherche des meilleures technologies disponibles et des conditions techniques et économiques de l'exploitation des hydrocarbures de schiste. Alors que les scientifiques du climat recommandent de ne pas exploiter la majeure partie des réserves prouvées d'énergies fossiles, ce groupe d'expert n'a pas pour mission de tenir compte de ces recommandations, et des résultats scientifiques des climatologues. Par le mandat qu'il lui est donné, ce groupe d'expert est placé dans une position de déni des savoirs scientifiques en matière de climat, comme s'il était possible de discuter et de poursuivre l'exploitation des hydrocarbures de schiste sans tenir compte des exigences climatiques. Comme je l'ai expliqué récemment, cela revient à nier le réchauffement climatique et à se comporter comme de véritables climato-sceptiques. En instituant ce groupe de travail et en lui confiant un tel mandat, la Commission européenne nie donc le réchauffement climatique et ses implications. La Commission européenne, en limitant la discussion aux méthodes d'exploitation des hydrocarbures de schiste et refusant de débattre de l'opportunité de telles exploitations, agit donc comme une institution climato-sceptique. C'est tout simplement inacceptable.

Le rapport publié ce mercredi 15 avril par Les Amis de la terre Europe et le Corporate Europe Observatory confirme cette analyse et me conforte dans le choix de ne pas avoir accepté de rejoindre ce qui n'est qu'un pseudo groupe d'expert-e-s :

Sur 60 « experts » déjà nommés, 40% travaillent pour des entreprises comme Total, GDF Suez ou Shell, directement impliquées dans le gaz de schiste, ou pour des lobbies du secteur pétrolier et gazier, comme l’Union française des industries pétrolières (UFIP). Jean-Louis Schilansky, par ailleurs président du « Centre de documentation sur les hydrocarbures non conventionnels », le lobby récemment créé par les entreprises françaises intéressées au développement du gaz de schiste, en fait par exemple partie [1]. Les représentants de la société civile, en revanche, se comptent sur les doigts d’une main : ils ne sont que cinq ! Le reste est constitué soit de scientifiques dont la majorité est liée financièrement à l’industrie, soit de représentants de bureaux publics de recherche géologique, dont les intérêts sont souvent étroitement liés à ceux des promoteurs du gaz de schiste. Au total, 70 % des membres de ce réseau ont des liens financiers avec l’industrie pétrolière et gazière... ((source : Olivier Petitjean, Basta !, Avril 2015, L’Europe ouvre grande la porte aux lobbies favorables aux gaz de schiste)

Alors que des mobilisations citoyennes se renforcent chaque jour un peu plus contre l'exploitation des hydrocarbures de schiste aux quatre coins de la planète et de l'Union européenne (dernière en date au Danemark), la Commission européenne utilise tous les moyens à sa disposition, y compris la création ex-nihilo d'un espace de lobbying favorable à l’industrie pétrolière et gazière.

Il était donc bien-entendu hors de question que je participe et cautionne, par ma présence, une telle initiative totalement inacceptable. En prenant faits et causes pour les lobbies pétroliers et gaziers, la Commission européenne fait d'une pierre deux coups : saper toute ambition climatique et miner le débat démocratique. Well done.

Maxime Combes, Economiste, membre d'Attac France et de l'Aitec,

@MaximCombes sur Twitter

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