Ce lundi 18 juillet illustre à quel point nos dirigeants politiques font preuve d'aveuglement volontaire face aux conséquences du réchauffement climatique. Alors que cette journée est l'une plus chaude jamais enregistrée en France, Elysée et Matignon, loin des discours de façade sur la sobriété énergétique, s'adonnent à prolonger quoi qu'il en coûte notre ébriété énergétique collective. C'est proprement incomprehensible. Inimaginable. Irresponsable. Les mots manquent pour décrire les faits qui suivent. Dans un langage plus scientifique, cette journée illustre le "schisme de réalité" que n'ont cessé d'observer chercheurs et activistes du climat depuis 30 ans : alors que les effets du réchauffement climatique se conjuguent au présent à travers des intensités et des fréquences toujours plus fortes et rapides, les politiques climatiques sont édulcorées, repoussées ou même remplacées par des mesures visant à préserver le statu quo énergétique.

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Ce lundi 18 juillet, il a fait plus de 42°C en Gironde. Plus de 40°C en Bretagne qui se pensait à l'écart des vagues de chaleur extrême. Des dizaines de records absolus de chaleur ont été battus, souvent de plusieurs degrés. Plus de 15 000 hectares de forêts sont partis en fumée dans les Landes. Les incendies touchent de nombreuses autres régions : le Sud de la France bien sûr, mais aussi en Bretagne (Monts d'arée) et ailleurs. En bien des lieux du territoire national, nos lacs, nos rivières et nos sols s'assèchent. Des sources se tarissent, y compris en montagne rendant le pastoralisme et la vie des refuges compliqués. Sans parler des glaciers qui fondent et des rendements des cultures qui s'effondrent.
L'urgence climatique tape à nos portes avec une virulence jamais connue en France. Tout le monde devrait être sur le pont. Pour accélérer les mesures déjà prises. Pour enclencher de nouvelles dispositions. Pour suggérer de nouvelles avancées rapides. Pour garantir la solidarité collective, venir en aide aux plus fragiles, s'assurer du bon fonctionnement des services publics, etc...
Et bien non. Hormis un numéro vert, Elysée, Matignon et gouvernement sont aux abonnés absents : Christophe Béchu, ministre de l'écologie a disparu. Pire, ils ont contribué, en ce lundi 18 juillet, à aggraver la situation. Jugez donc par vous même.
Qu'a-t-on fait à l'Elysée ce lundi 18 juillet ? Emmanuel Macron a reçu en grande pompe le président des Emirats arabes unis et le PDG de Total Energies ... pour importer plus de gazole de ce pays du Golfe.
Qu'a-t-on fait à Matignon ce lundi 18 juillet ? Elisabeth Borne et son gouvernement défendent devant les députés un projet de loi "pouvoir d'achat" qui vise aussi à 1) installer un nouveau port méthanier au Havre afin d'importer plus de gaz liquéfié du Qatar, et plus de gaz de schiste des Etats-Unis, mais aussi à 2) relancer les centrales à charbon en France. (ci-dessous une reproduction du thread publié il y a peu à ce sujet, expliquant dans le détail les enjeux). Rien sur les énergies renouvelables. Rien sur l'efficacité et la société énergétique malgré les déclarations.
C'est consternant. C'est grave. Si nous voulions trouver un exemple de crime climatique délibéré mené en toute connaissance de cause, nous n'en trouverions sans doute pas de meilleur.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).
Analyse du projet de loi "Pouvoir d'achat" sur les articles concernant les enjeux énergétiques
(reproduction du thread publié sur twitter)
[Surprise !]
Le projet de loi #PouvoirDAchat prévoit d'alléger les règles environnementales pour accélérer la construction d'un terminal gazier au Havre afin d'importer plus de #GazDeSchiste des Etats-Unis, repoussant la sortie des énergies fossiles.
Je vous explique ⤵️
Ce même projet de loi #PouvoirDachat prévoit des dispositions nouvelles pour faciliter la relance des centrales à charbon
Gaz de schiste + charbon : au motif de "protéger le pouvoir d'achat" Emmanuel Macron & Elisabeth Borne prolongent artificiellement notre ébriété énergétique
- 6 juillet : "Nous serons la première grande nation écologique à sortir des énergies fossiles" dit Elisabeth Borne
- 7 juillet : Elisabeth Borne transmet au Conseil d'Etat puis à l'Assemblée nationale un projet de loi qui augmente les importations de gaz et relance le charbon
Vous trouvez surprenant qu'un projet de loi portant sur le "pouvoir d'achat", c'est-à-dire sur la capacité des ménages à maintenir leur niveau de vie, comporte une procédure visant à accélérer la construction d'un terminal d'importation de gaz de schiste ?
Moi aussi.
Le gouvernement le justifie au nom de la "souveraineté énergétique"
Soit
Mais pourquoi n'y a-t-il rien pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables (un projet de loi est prévu mais reporté), la sobriété et l'efficacité énergétiques, qui sont clés en la matière ?
Depuis plusieurs jours, vous lisez des articles disant que le gouvernement s'est converti à la "sobriété".
Ce projet de loi qui comporte des mesures sur le gaz et le charbon n'en compte aucune en matière de sobriété et d'efficacité énergétiques : les termes en sont absents
Venons-en au projet de loi lui-même.
C'est à l'article 13 que le gouvernement souhaite donner la possibilité au ministre de l'énergie d'autoriser la construction expresse d'un "terminal méthanier flottant"
C'est à l'article 14 que le gouvernement propose des "dérogations" aux règlementations environnementales en vigueur pour l'installation d’un terminal méthanier flottant dans le port du Havre et pour la construction des canalisations et autres aménagements nécessaires.

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N'étant pas juriste, mes excuses pour les approximations qui suivent
Le projet de port méthanier au Havre pourrait être autorisé avant que toute étude d'impact environnemental ne soit menée à bien : le code de l'environnement ne doit pas "porter atteinte" à sa construction

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L'étude environnementale évalue les impacts sur
- La population et la santé humaine
- La biodiversité
- Les terres, le sol, l'eau, l'air et le climat
- Le patrimoine culturel et le paysage
Tous ces impacts sont donc subordonnés à l'impératif d'un port méthanier de plus
Ce même article 14 prévoit que le terminal méthanier puisse être construit avant même que les mesures pour compenser les impacts écologiques sur les espèces et leurs habitats ne soient définies
L'écologie est subordonnée à l'impératif de maintenir notre ébriété gazière.

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Des dérogations sont également prévues pour la construction et l’exploitation de la canalisation de transport de gaz naturel qui relira le terminal méthanier à la terre ferme ainsi que pour la construction des équipements industriels nécessaires.

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C'est TotalEnergies qui doit installer le terminal flottant et Engie qui devrait le raccorder au réseau afin d'importer dès fin 2023 près de 5 milliards de mètres cubes de gaz par an (l'équivalent de 45 térawattheures par an), soit 10% de la consommation française.
Au nom de la "souveraineté nationale" & du "pouvoir d'achat" les multinationales, TotalEnergies et ENGIE qui font des superprofits gigantesques obtiennent le droit de développer un projet gazier d'envergure sans devoir respecter les normes environnementales.
Ce projet de loi "Pouvoir d'Achat" prévoit aussi (art. 10) d'augmenter les objectifs de remplissage minimal des infrastructures de stockage de gaz gérées par les industriels
Mais vous n'y lirez aucun objectif de réduction de la consommation de gaz
L'ébriété oui.
La sobriété non.
Ce n'est pas tout. Ce projet de loi "Pouvoir d'Achat" prévoit des dispositions relatives à la relance des centrales au charbon pour permettre aux opérateurs d'utiliser des CDD ou contrats de mission pour réembaucher leurs salariés, en pleine dérogation avec le droit du travail

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Voilà donc un projet de loi "Pouvoir d'Achat" qui vise à accroître un peu plus encore les importations de #gazDeSchiste venant des Etats-Unis et de gaz venant du #Qatar. L'objectif est clair : remplacer notre dépendance au gaz russe par une dépendance au gaz US et qatari.
Rappel : si la fracturation hydraulique, technique de production de #Gazdeschiste, est interdite en France, l'importation de #GazdeSchiste issu de cette technique nocive ne l'est pas et la France importe de plus en plus de gaz de schist US. (Voir ici)
Ce n'est pas fini.
Les articles 11 & 12 étendent les possibilités de couper l'accès au gaz des consommateurs finaux, en cas de menace sur la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel ou en électricité, sans qu'il ne soit précisé les critères de mise en oeuvre.
Il y a quelques jours, Emmanuel Macron affirmait qu'il n'y aurait "aucun risque de coupure" cet hiver. Si ce risque est nul, alors les dispositions des art. 11&12 sont inutiles. Si ce risque existe, alors le rationnement qu'il induit nécessite d'être débattu publiquement : quels sont les consommations indispensables et celles qui sont jugées inutiles ?

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Comme je l'ai expliqué à plusieurs journalistes (voir cet article chez Reporterre), le contenu de ce projet de loi traduit une forme de panique qui gagne le gouvernement et l’appareil d’État et qui ne sont pas certains, par manque d'anticipation de pouvoir garantir une sécurité d'approvisionnement.
Loin d'assister à une "écologie de guerre" comme l'affirmait Pierre Charbonnier dans un texte récent, voici plutôt une "économie de guerre" qui écarte les règles environnementales, la sobriété & l'efficacité énergétiques pour prolonger artificiellement notre ébriété énergétique collective.
Concluons en questions
- si des mesures sur gaz & charbon peuvent faire partie d'un projet de loi #Pouvoirdachat, pourquoi n'y a-t-il rien sur les ENR, la sobriété et l'efficacité énergétiques ?
- pourquoi renforcer notre dépendance au gaz de schiste US et au gaz qatari ?
- pourquoi déroger aux règles de l'environnement qui protègent la planète, notre bien commun à tous, et la possibilité d'y vivre : le gaz vaut-il plus que notre planète et nos vies ? Ce quinquennat ne devait-il pas être écologique ou ne pas être ?
- Si les risques de pénurie énergétique sont avérés, et les besoins de rationner l'électricité et le gaz confirmés, pourquoi cet exécutif dit-il publiquement le contraire de ce que dit ce projet de loi entre les lignes ? Pourquoi ne pas en débattre publiquement ?
- C'est pour quand la transition énergétique et la mise en oeuvre d'urgence des politiques de sobriété et d'efficacité énergétiques dont nous avons besoin pour réduire notre dépendance aux fournisseurs étrangers et limiter le réchauffement climatique ?