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Lors de l’été 2022, plusieurs voix avaient proposé de nommer les vagues de chaleur. Soit en s'inspirant de ce qui est fait pour les cyclones, soit en leur trouvant des noms tirés de notre culture commune, ou bien encore en leur accolant le nom des principaux responsables du réchauffement climatique. Objectif : mieux identifier ces phénomènes climatiques extrêmes pour alerter sur le danger qu’ils représentent et faciliter la compréhension des enjeux.
Alors que nous vivons l’une des plus précoces, des plus intenses et des plus longues vagues de chaleur que le mois que juin ait connu, rouvrons le débat. Pour deux raisons : parce que la proposition, qui avait suscité un certain intérêt en 2022, y compris au sein du monde scientifique, semble enterrée. Mais aussi, et surtout, parce que nous entendons et lisons trop souvent l’idée selon laquelle ces vagues de chaleur ne seraient qu’une « période exceptionnelle » précédant un retour à « la normale ».
La normale n’est plus, et le « retour à la normale » une vue de l’esprit
Sauf que c’est bien « la normale » qui a profondément été modifiée. Les vagues de chaleur ne sont malheureusement plus exceptionnelles, mais récurrentes. Tous les indicateurs le montrent. Les dix étés les plus chauds enregistrés depuis 1900 ont tous eu lieu depuis .... l'an 2000. Le nombre de jours de vague de chaleur explose : 1,7 jour par an avant 1989, huit par an entre 2000 et 2015 et nous en sommes à 9,4 en moyenne chaque année depuis 2015.

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S’il est normal qu’il «fasse chaud pendant l’été», il n’est pas « normal » sous nos latitudes que les températures dépassent les 40 °C aussi souvent. Sur les 50 vagues de chaleur comptabilisées depuis 1947, à peine 9 ont été observées avant 1989. Les 41 autres, soit plus de 80%, se sont déroulées depuis : on compte « trois fois plus de vagues de chaleur ces 30 dernières années que durant les 42 années précédentes », précise Météo France.
Si rien ne change, ces phénomènes climatiques extrêmes hors-normes deviendront la norme : selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront 7 fois plus de vagues de chaleur, 2 fois plus de sécheresses et d’incendies de forêts, 3 fois plus d’inondations et de mauvaises récoltes qu’une personne née en 1960.
Ici et maintenant, combattre la fatalisme et la résignation
« Cette canicule vous fait suer ? Normal, c'est l'une des plus chaudes et plus précoces de ces 50 dernières années mais c'est probablement l'une des plus fraiches des 30 prochaines années » est-il souvent rappelé sous forme de boutade. Nommer les vagues de chaleur, pointer leur récurrence, c’est montrer que le réchauffement climatique se conjugue ici et maintenant. Et que ce n'est pas « normal »
Les climatologues sont en effet formels : le réchauffement climatique, généré principalement par la combustion des énergies fossiles, augmente la fréquence, l'intensité et la durée des vagues de chaleur. Ce résultat, comme le montre le dernier rapport du GIEC, est très robuste. Affirmer ce lien n'est pas hasardeux : aujourd'hui, c'est ne pas le mentionner qui n'est pas sérieux.
Tout le monde se souvient de l’ouragan Katrina (en 2005 aux Etats-Unis). Pourquoi ne pas en faire autant avec les canicules qui deviennent plus nombreuses, plus longues et plus intenses ? Mieux identifier les phénomènes climatiques extrêmes, c’est les ramener parmi nous, au sein de notre communauté de destin et de notre avenir commun afin de faciliter la compréhension des enjeux.
Nommer les vagues de chaleur, c’est aussi ne pas laisser le fatalisme, l’abattement et la résignation nous gagner. Ces vagues de chaleur ne nous « tombent pas dessus » par accident, par hasard ou par malchance, sans que l’on n’y puisse rien. Elles sont le résultat d’une transformation climatique majeure désormais parmi les faits scientifiques établis les plus documentés : le réchauffement climatique est essentiellement d’origine anthropique.
Alerte canicule #TotalEnergies n°1
Face à ces phénomènes climatiques intenses, il nous faut d’abord faire face. Ensemble. Protéger les plus fragiles, garantir un accès équitable et juste à l’eau, à l’énergie et à l’alimentation, assurer les services publics (hôpital, écoles, etc) et garantir que leurs missions, essentielles, seront tenues. Ce n’est pas une mince affaire, on le voit, et cela nécessite l’engagement sans faille des pouvoirs publics : garantir notre « sécurité climatique » comme un levier pour faciliter les mouvements de solidarité collective.
Par ailleurs, nommer les vagues de chaleur est sans doute l’un des plus puissants moyens à notre disposition pour mettre en lumière les responsables du réchauffement climatique et délégitimer leurs décisions. Si cette responsabilité est commune, elle est très largement différenciée, pour reprendre les termes forgés à Rio en 1992. Chacune et chacun d’entre nous n’est pas également responsable du réchauffement actuel et à venir, et n’a pas les mêmes capacités à agir.
Quitte à nous répéter, proposons à nouveau que l’on débute par le nom « TotalEnergies » auquel on accolerait l’occurrence de la vague de chaleur : #TotalEnergies n°1 en ce moins de juin 2025. Pourquoi ? Parce que TotalEnergiesest la première multinationale de l’énergie en France, et la pire en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Parce qu’elle fait partie des vingt entreprises qui ont le plus contribué au réchauffement climatique actuel.
Parce qu’elle n’a cessé de freiner et retarder les politiques climatiques les plus ambitieuses, y compris en dissimulant depuis 1971 les effets « potentiellement catastrophiques » de ses activités sur le climat. Parce qu’encore aujourd’hui, plus de 70% de ses investissements concernent le pétrole et le gaz. Parce qu’elle produira plus de pétrole et de gaz en 2030 qu’en 2015 alors que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ont montré qu’il ne fallait plus investir dans de nouveaux projets gaziers ou pétroliers.
Une cause commune appelant plus de solidarité et de justice
Nommer les vagues de chaleur c’est aussi une façon d’ouvrir le débat que le gouvernement refuse d’ouvrir. Ce dernier renvoie toujours l’urgence climatique à la responsabilité et aux comportements individuels, revenant à mettre tout le monde sur un pied d’égalité et à pointer une responsabilité indifférenciée qui ne concernerait finalement personne. Or, ce sont bien les soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu’est notre système économique qui est en cause.
Quand on ne nomme pas les phénomènes climatiques auxquels nous sommes confrontés, ils n’existent pas. Ou du moins, ils restent « flous », « insaisissables » et exceptionnels. Leur donner un nom, si possible celui de leurs responsables, permet de politiser ces phénomènes, de les rendre objets du débat public et de débattre à la fois des politiques d’adaptation nécessaires pour y faire face mais aussi des politiques publiques pour en tarir la source.
L’urgence est climatique
L’insécurité est écologique
La catastrophe est sociale car ce sont toujours les plus pauvres qui paient le plus lourd tribut.
Il est temps que cela change.
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Cette tribune est très largement une mise à jour d'une tribune publiée en 2022 par Libération.
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Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).
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