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Billet de blog 8 novembre 2024

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Marxisme, capitalisme et décroissance

D'après le philosophe japonais Kōbei Saitō des notes tardives de Marx montreraient que ce dernier se serait rallié à un « communisme de la décroissance ». La décroissance serait donc l'alternative au capitalisme. D'où la question : « la croissance est-elle responsable du capitalisme, ou est-ce l'inverse ? » Nous proposons une réponse fondée sur les concepts de la thermodynamique.

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L’ouvrage du philosophe marxiste japonais Kōbei Saitō, qui fut un best-seller au Japon, a récemment été traduit en français[1].

L’auteur a minutieusement revisité les écrits du grand penseur du 19-ème siècle, incluant des notes inédites. Il nous fait découvrir un Marx totalement nouveau, dont la pensée théorique se serait éloignée d’une vision progressiste productiviste : « Marx, qui a abandonné sa vision progressiste de l'histoire, a alors réussi à intégrer le concept de durabilité communautaire et les principes de l'économie stationnaire dans sa théorie révolutionnaire pour aboutir à un communisme dont les principes n'incluent plus ni productivisme ni écosocialisme.

Ce communisme c'est le communisme de décroissance auquel parvient Marx in fine ». On imagine le chemin parcouru lorsqu’après la primauté donnée aux force productives, il serait arrivé à admettre que l’alternative au capitalisme est la décroissance. Si donc l’alternative au capitalisme est là décroissance, il y aurait une sorte d’équivalence entre croissance et capitalisme. Il est de fait que les essais de remplacement du capitalisme par un autre système productiviste en recherche de croissance ont conduit à des retours au capitalisme. Les exemples des communismes soviétique et chinois sont éloquents à cet égard.

Des constats factuels qui nous amènent à nous poser la question suivante : Le capitalisme est-il responsable de la croissance, ou la croissance est-elle responsable du capitalisme ?  Une interrogation qui rappelle l’histoire de l’œuf et la poule, et qui semble se mordre la queue. Mais à laquelle il est possible d’apporter une réponse en adoptant un point de vue thermodynamique. Une société est un système physique, qui dissipe de l’énergie et des matières premières et rejette des déchets et de l’énergie dégradée, en un mot qui produit de l’entropie[2],[3].

L’énergie entrante éloigne le système de l’équilibre. Le retour vers l’équilibre est une tendance universelle qui pousse à dissiper au plus vite le trop plein d’énergie. La dissipation d’énergie implique toutes les activités productives et, en fin de compte, la production d’entropie. Lorsque le niveau d’énergie injecté dans une société dépasse un certain seuil la dissipation d’énergie passe à un régime supérieur. [L’équivalent d’un changement de phase qui rappelle le passage du régime de diffusion à un régime de convection, lorsque le gradient de température appliqué à un liquide sur plaque chauffante, dépasse une valeur critique.] Ce seuil a été franchi avec le phénoménal apport des énergies fossiles. Dès lors le capitalisme s’est avéré être le dispositif le plus efficace pour dissiper le trop plein d’énergie injectée dans le système-Humanité[4]. Il est un système robuste car il est le plus efficace pour produire de l’entropie. Le capitalisme apparait comme étant inéluctablement lié au trop plein d’énergie injecté dans le système-Humanité.

Pour les marxistes et divers anticapitalistes le capitalisme est le nœud, le cœur des problèmes préjudiciables à nos sociétés. « Se débarrasser du capitalisme » devient alors l’objectif central. Pour l’anthropologue et essayiste Paul Jorion, « se débarrasser du capitalisme est une question de survie »[5], tandis que le journaliste et écrivain Hervé Kempf revendique « que crève le capitalisme ; ce sera lui ou nous »[6]. Autrement dit, délivrons-nous du capitalisme et la plupart des problèmes seront résolus. Mais l’expérience a montré que, dans les pays où il avait été aboli, il renaissait de ses cendres. Ce qui indique qu’il n’est peut-être pas le point central. Si le capitalisme apparaît comme le moyen le plus efficace pour dissiper l’excès d’énergie et produire de l’entropie il faut le recarder comme élément d’une chaîne qui le dépasse, et dont l’origine se situe dans l’excès d’énergie injectée dans la société. Comme schématisé sur la figure : l’excès d’énergie doit être dissipé (pour se rapprocher de l’équilibre) ; le capitalisme est le système le plus efficace pour générer de la croissance ; la croissance va accélérer la dissipation d’énergie et la production d’entropie, tout en requérant un supplément d’énergie (et de matières premières) à l’entrée de la chaîne (ce qui va générer une boucle auto-amplificatrice de la croissance).

Illustration 1

Le capitalisme n’est qu’un maillon de cette chaîne. Une chaîne qui prend sa source dans l’excès d’énergie introduite dans le système. Le capitalisme n’est pas né ex nihilo, de la volonté de ses partisans. Il a une cause bien matérielle. Et celle-ci est à rechercher dans le trop d’énergie injectée dans nos sociétés. Wall street est la conséquence des puits de pétrole.

Si l’on veut « se débarrasser du capitalisme » cette description désigne qu’elle devrait être la véritable cible. Limitons drastiquement le flux de l’énergie, et en particulier les énergies fossiles, et le capitalisme sera sans objet. Le « communisme de décroissance » invoqué par Kōbei Saitō serait avant tout celui de la frugalité énergétique.

[1] Kohei Saito, Moins, la décroissance est une philosophie, Seuil (2024)

[2] François Rodier, Thermodynamique de l’évolution, éditions parole (2021)

[3] Victor Court, Energy capture, technological change, and economic growth: an evolutionary perspective, Biophysical economics and resource quality (2018) 3:12

[4] Maxime Nechtschein, A l’origine de la croissance et du toujours plus, L’Harmattan (2023)

[5] Paul Jorion, Se débarrasser du capitalisme est une question de survie, Fayard (2017)

[6] Hervé Kempf, que crève le capitalisme ; ce sera lui ou nous,  

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