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Billet de blog 9 décembre 2021

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Pourquoi le Capitalisme est-il aussi robuste ?

Les aspirations au « grand soir » et « aux lendemains qui chantent » semblent bien être des marqueurs d’une époque révolue. Nous proposons une raison fondamentale pour laquelle le capitalisme parait être invulnérable en période de croissance, mais ne survivra pas à l’inéluctable décroissance.

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Un autre monde est-il possible ?

« Se débarrasser du capitalisme est une question de survie » nous dit Paul Jorion. Oui, mais est-ce possible ? « There is no alternative » nous assénait Margaret Thatcher, verrouillant ainsi le débat sur les alternatives possibles au néolibéralisme, la version actuelle et débridée du capitalisme. « Il faut tuer TINA » (Editions du Cerisier) lui répond Olivier Bonfond dans un ouvrage très structuré présentant « 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde ». L’auteur y affirme que l’objectif est une remise en cause global du système capitaliste. On note cependant que dans les 200 propositions, toutes très pertinentes, aucune ne préconise explicitement de sortir du capitalisme.
« Un autre monde est possible ! », affirmation d’espoir et slogan mobilisateur. Mais, à vrai dire, personne ne peut dire aujourd’hui si, réellement, un autre monde est possible.
 « Un autre monde », cela signifie un monde qui ne serait plus dominé par une économie capitaliste. Or, jusqu’ici toutes les tentatives de ruptures ont échoué. Quelles aient été initiées par les urnes, comme la République Espagnole, ou de manière insurrectionnelle, comme la Commune de Paris, la plupart ont été écrasées dans un bain de sang. La révolution bolchévique qui avait abattu le capitalisme a viré au totalitarisme. Après 7 décennies, l’état communiste s’est effondré et un capitalisme sauvage a été rétabli. La révolution chinoise a elle aussi mué en dictature, puis, après quelques décennies, une économie capitaliste a été rétablie avec maintien de l’état communiste. Parmi les 195 nations qui constituent les Nations Unies, seules 2 : la Corée du Nord et Cuba, qui ne sont pas des modèles d’un autre monde désirable, peuvent être citées comme n’étant pas régies par une économie capitaliste. La Corée du Nord maintien une économie non capitaliste au prix d’une dictature et d’une fermeture presque totale. En ce qui concerne Cuba la responsabilité de son régime totalitaire peut être attribuée au blocus américain. Nul ne peut dire ce que serait devenu Cuba sans le blocus américain : exemple de socialisme à visage humain ou retour au capitalisme ?
Le constat de ce règne, quasiment sans partage, des économies capitalistes doit amener tout observateur à s’interroger sur son caractère nécessaire ou contingent. Lorsque, en tant que physicien, je constate que 193 points  sur 195 s’alignent sur un graphique j’ai une forte tendance à penser que cela n’est pas dû à une série incroyable de coïncidences. Je suspecte qu’il doit exister une explication rationnelle. L’omniprésence du capitalisme n’est-il pas le résultat d’une sorte de principe naturel supérieur ? Margaret Thatcher a tranché : there is no alternative. Mais elle ne dit pas pourquoi. C’est une affirmation dogmatique. Le capitalisme est le seul système possible, parce que c’est comme ça, point barre. Un dogmatisme partagé par les économistes mainstream, qui ne sont donc d’aucune utilité pour trouver une éventuelle cause profonde.

Un type d’explications pour rendre compte de l’essence et de la persistance du capitalisme serait à rechercher au niveau le plus bas, c’est-à dire dans la structure psychique des individus.

Le capitalisme serait un système en adéquation avec les aspirations profondes des individus.

Cette thèse est bien exposée dans les lignes ci-dessous que j’empreinte à Branko Milanovic.
« Un système politique ou économique doit rester en accord avec les valeurs et comportements dominants dans la société. Cette idée ancienne, avancée par des auteurs aussi illustres que Platon, Aristote et Montesquieu, se vérifie sans aucun doute dans le capitalisme actuel. Le capitalisme a remarquablement réussi à transmettre ses objectifs aux gens. Il les a poussés ou persuadés à adopter ses buts, et ainsi obtenu une extraordinaire concordance entre ce dont il a besoin pour se développer, d’une part, et les idées, désirs et valeurs des gens, d’autre part. Le capitalisme a été beaucoup plus efficace que ses concurrents pour créer les conditions qui, selon le philosophe politique John Rawls, sont nécessaires à la stabilité de tout système  : dans leurs actions quotidiennes, les individus manifestent et donc renforcent les valeurs sur lesquelles repose le système social.
Cette coïncidence entre les objectifs individuels et systémiques est une des plus grandes réussites du capitalisme. Les plus grands défenseurs du capitalisme expliquent cette réussite par le fait que ce système serait «  naturel  », qu’il refléterait parfaitement notre moi inné – notre désir d’échanger, de réaliser des gains, de lutter pour de meilleures conditions économiques et une vie plus agréable. »

On peut ajouter le rôle du striatum, tel que décrit par Sébastien Bohler (Le Bug Humain , Robert Laffont ), qui nous pousse dans une course effrénée au toujours plus, en excellent accord avec la dynamique du capitalisme.

Cependant si le capitalisme était un système en si bon accord avec les aspirations profondes des hommes, comment expliquer qu’une majorité des humains en soient des victimes et des laissés-pour-compte : travailleurs exploités, cadences infernales, inégalités criantes, injustice sociale, marchandisation généralisée… Car, en fin de compte, le capitalisme est un système où l’homme n’est qu’un ingrédient au service de l’économie.

Bien sûr il est possible que, comme une drogue, le capitalisme soit à la fois attractif et toxique.

On peut aussi rechercher des causes plus systémiques.

Il est vrai que le capitalisme est un système vivace. Jusqu’ici il a toujours survécu aux crises. Il a pu renaitre après quasi disparition dans les pays où il avait été aboli. J’ai à dessein utilisé des termes qui habituellement s’appliquent au domaine du vivant. Effectivement on peut associer au capitalisme des attributs du vivant. Il s’agit plus que d’une simple métaphore.


Le capitalisme est un « organisme vivant »

Le capitalisme se comporte, à bien des égards, comme un organisme vivant. Ce n’est évidemment pas un organisme vivant au sens biologique. Le concept de vie a été élargi dans le but d’inclure éventuellement des formes de vie non terrestres. Le concept de lyfe, inspiré de la thermodynamique, a été introduit pour définir des caractéristiques de vie plus générales, vis-à-vis desquelles les formes de vie rencontrées sur terre seraient un cas particulier (Stuart Barlett and Michael Wong, Life10, p 42, avril 2020). Lyfe est un néologisme dérivé de Life. De même, en français on parlera de Vye et de Vyvants. Un système doté de Lyfe répond à 4 caractéristiques bien définies : dissipation, autocatalyse, homéostasie et capacité d’apprentissage. Il s’avère que le capitalisme remplit ces 4 critères de manière remarquable.

  • La dissipation est la capacité à exploiter et à convertir des sources d’énergie. Le capitalisme s’est avéré être un remarquable agent de développement et d’utilisation des énergies, de la machine à vapeur à l’énergie nucléaire. Il a été l’initiateur et le grand profiteur des énergies fossiles. Le capitalisme est un booster de l’énergie et l’énergie est un booster du capitalisme.
  • L’autocatalyse est la capacité de croitre et se développer de manière exponentielle. La croissance est dans les gènes du capitalisme. Le capitalisme est un moteur de croissance et la croissance est un objectif vital du capitalisme.
  • L’ homéostasie est la capacité à limiter les changements internes lorsque les conditions externes changent. Le capitalisme a démontré son adaptabilité à l’évolution des techniques, aux conditions géopolitiques, aux modifications environnementales. 
  • L’ apprentissage. Le capitalisme apprend de ses échecs et de ses crises. Ainsi, après la crise de 2008 il a été tenu compte , dans une certaine mesure, des erreurs commises à la suite de la crise de 1929.

Le capitalisme coche bien toutes les cases d’un « organisme vyvant ».

Il est intéressant de le comparer à ce que donnerait un système socialiste. C’est surtout au niveau de la capacité de croissance (autocatalyse) qu’un système socialiste serait en état d’infériorité. Bien que les marxistes soient dans le camp des productivistes une économie socialiste ne repose pas sur la croissance. La croissance est un objectif idéologique et non une nécessité économique. C’est avant tout en raison de son retard économique que l’Union Soviétique s’est effondrée. Le système soviétique était par ailleurs rigide et peu adaptable au changement, et aurait donc eu un score médiocre en homéostasie. D’après les critères qui définissent en "organisme vyvant" une économie capitaliste s’avère plus performante qu’une économie socialiste. Notons que cette comparaison souffre d’une faible fiabilité car nous ne disposons que de très peu d’exemples d’économies socialistes.

Revenons sur la capacité de croissance (autocatalyse).

Le système le plus apte à générer de la croissance

Dès lors que la recherche de profit est une caractéristique consubstantielle du capitalisme, la croissance est un objectif vital, car c’est elle qui permet de booster le profit. De plus, en économie capitaliste libérale la croissance est assurée par « une concurrence libre et non faussée » selon le droit européen. Cela signifie que les entreprises sont soumises aux lois de la sélection naturelle, tout comme les espèces vivantes qui sont condamnées à croître ou disparaître. Ainsi la croissance est une nécessité absolue à la fois pour garantir un profit aux actionnaires et pour résister à la concurrence. La croissance est réellement une question de vie ou de mort. Parce qu’il est soumis à cette règle implacable le capitalisme est condamné à être le plus efficace pour produire de la croissance.
Depuis la révolution néolithique l’espèce humaine avait connu une multiplication par 100 en une centaines de siècles. Puis, depuis seulement 2 siècles, sous régime capitaliste, la multiplication a été d’un facteur 10, soit un taux de croissance de la population 5 fois plus élevé. Parallèlement l’énergie consommée par terrien en moyenne a été multipliée par un facteur compris entre 20 et 30, essentiellement grâce à l’utilisation des énergies fossiles. Ainsi, si l’on considère l’Humanité dans son ensemble comme un système physique, l’association du capitalisme et des énergies fossiles a permis à ce système physique de multiplier par 100 en 2 siècles son taux de croissance dans la consommation d’énergie, c’est-à-dire de dissipation d’énergie au sens de la Physique. Ce qui représente un gain d’entropie considérable, et donc un grand avantage du point de vue du second principe de la thermodynamique, qui stipule que l’évolution des systèmes doit tendre à maximiser leur entropie. Le capitalisme étant l’organisation humaine pouvant produire le maximum d’entropie on peut proposer que sa robustesse aurait une cause fondamentale de nature thermodynamique.

Une autre manière de considérer cette conjoncture, sans faire appel à la thermodynamique, est de l’appréhender sous l’angle de la sélection naturelle. Le capitalisme étant le système économique le plus apte à générer de la croissance et à capter de l’énergie possède de ce fait un avantage décisif sur les autres systèmes. De même que, parmi les espèces vivantes, la sélection naturelle favorise les espèces les plus prolifiques et les plus énergiques.

Et si le capitalisme était indépassable !

Cette proposition n’est pas une affirmation, mais une simple hypothèse, comme une expérience de pensée telle que les pratiquait Einstein. Supposons qu’il en soit du capitalisme comme de la pesanteur. Pour des raisons fondamentales le capitalisme serait le seul système économique viable.
Qu’est-ce que cela changerait ?
Au niveau de l’imaginaire, pour les révolutionnaires ce serait une révolution copernicienne. L’abandon de l’espoir d’un « monde nouveau » serait comme la perte de l’au-delà pour le croyant.
Mais dans la pratique cela ne changerait pas grand-chose. Les 200 propositions d’Olivier Bonfond «pour rompre avec le fatalisme et changer le monde » seraient toujours valables. Il s’agit de lutter contre les excès du capitalisme, de tenter, tant que faire se peut, de le réguler, et d’atténuer les atteintes aux droits de l’homme. Notons que l’objectif est de changer le monde, et non de changer de monde. Le capitalisme ne pourrait pas être remplacé, mais seulement amendé. De même que la pesanteur sur terre est une donnée irréductible. Nous ne pouvons pas la supprimer. Toutefois, avec les montgolfières, les avions, les parapentes nous pouvons la vaincre localement et temporairement. Des hommes ont même pu vivre plusieurs mois en état d’apesanteur ( mais ça n’était pas vraiment sur terre ). Nous avons accepté que l’influence de l’attraction terrestre sur nos vies soit une donnée indépassable. Icare l’a appris à ses dépens. Tandis que Sisyphe continue inlassablement à rouler son rocher en lutant contre la pesanteur, et qu’il « faut l’imaginer heureux ». Et rappelons-nous, avec Balzac, que « c’est quand il n’y a plus d’illusion que la vie commence ».

Quoi qu’il en soit le débat sur le caractère contingent ou nécessaire du capitalisme est dépassé. Cette question n’a plus d’intérêt car le capitalisme ne peut pas vivre sans croissance et la décroissance est à l’horizon.

Les limites du capitalisme

Une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Il ne s’agit pas d’une prémonition défaitiste d’un collapsologue déprimé, mais d’un simple constat de bon sens.
L’énergie, le combustible du capitalisme, est en quantité limitée. C’est évident pour les énergies fossiles, que l’on extrait du sol. C’est vrai pour l’énergie nucléaire, qui repose sur l’uranium également un minerai en quantité limitée. C’est vrai aussi pour les énergies dites « renouvelables », éolien et photovoltaïque, qui nécessitent des terres rares, lesquelles sont aussi extraites du sol. Tous les minéraux extraits du sol finissent par être de moins en moins abondants. Leur extraction demande de plus en plus d’énergie. Il arrivera un moment charnière où l’énergie nécessaire pour les obtenir dépassera l’énergie que leur utilisation pourra fournir. Bien sûr les innovations technologiques pourront retarder ce moment de bascule, mais pas indéfiniment. Moins d’énergie, et aussi moins de matières premières pour des raisons analogues, c’est moins de richesses produites. Tôt ou tard, l’arrêt de la croissance, puis la décroissance, sont inéluctables, que ce soit dans une ou quelques décennies comme l’annonce le prophète polytechnicien Yves Cochet, ou dans un ou plusieurs siècles.

La décroissance n’est pas un modèle de société, comme semblait le présenter Delphine Batho. La décroissance est une contrainte imposée par la Physique, de même que le capitalisme n’est pas un modèle de société (il y en aurait au moins deux, l’américain et le chinois), mais une contrainte économique, imposée possiblement par la Thermodynamique.

La décroissance signifie que l’on produit de moins en moins de richesse. Les dividendes, produits du capital, sont de plus en plus tenus. Ils finissent par s’annuler et devenir négatifs. Les placements des actionnaires s’effondrent. Les entreprises n’ont plus de fonds pour investir, ni même pour entretenir l’appareil productif. Faute d’entretien des usines ferment en nombre et le chômage explose, déclenchant dépression et accélération de la décroissance. Le recours à la dette est une manière d’amortir la chute. Mais si la baisse de production de richesses est due à une réduction de l’énergie et des matières premières disponibles, à terme, la dette ne pourra pas être remboursée, prélude à un krach économique général. Une option pourrait être l’annulation des dettes, c’est-à-dire leur transformation en subventions, mais ne serait-ce pas déjà une sortie du capitalisme ! Le capitalisme peut s’adapter à une augmentation de température de 2 ° C mais il sera incapable de gérer la décroissance. Il est grand temps que les économistes sortent de leur bulle et commencent à considérer des modèles adaptés à un monde aux ressources limitées.

Dans le halo d’incertitudes que nous réserve l’avenir deux certitudes se dégagent : la décroissance est inéluctable et le capitalisme ne survivra pas à la décroissance. Nous n’aurons pas à nous « débarrasser du capitalisme ». Avec le saccage de la planète et l’épuisement des ressources il s’autodétruira lui-même, ne laissant qu’un champ de ruines aux humains post-capitalistes

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