L’énergie est-elle notre avenir ?
« L’énergie est notre avenir » proclame la publicité d’un fournisseur de ce produit. Il est vrai que sans l’énergie nous n’existerions pas. D’ailleurs rien n’existerait. L’énergie est à l’origine de l’Univers, de son évolution, de son expansion. L’énergie est source de tout mouvement, de tout changement, de toute vie. L’équation est très simple : sans énergie tout s’arrête, c’est la mort ! L’énergie est au-dessus des idéologies et des valeurs. On a vu les présidents Biden et Macron s’incliner devant un assassin pour gagner quelques barils de pétrole ! C’est qu’en effet le maintien d’un maximum de flux énergétique dans nos sociétés thermo-industrielles est une priorité absolue.
Depuis 3,8 milliards d’années, l’énergie solaire, accommodée par la photosynthèse et stockée en sucres et hydrocarbures, a permis l’émergence et la prolifération du vivant. Les chasseurs-cueilleurs, comme tous les animaux, puisaient directement le carburant vital dans les végétaux de leur environnement. Avec la révolution néolithique, en domestiquant plantes et animaux, les humains se sont appliqués à accroître le rendement de la conversion de l’énergie solaire en énergie humaine. Puis, en tirant profit des sous produits de cette énergie que sont le vent et le courant des rivières, ils ont accru leur force de travail. Depuis deux siècles l’utilisation des énergies fossiles (qui sont aussi d’origine solaire mais restées confinées pendant des centaines de millions d’années dans les entrailles de la terre) a permis aux humains de centupler leur capacité d’intervention sur leur environnement. Grâce à cette formidable puissance d’action, l’Humanité a explosé les limites du possible, de la conquête de la lune, à la domestication de l’atome et à l’intelligence artificielle. Et en multipliant par 3 la longévité humaine. L’Humanité a prospéré et proliféré. Aujourd’hui 8 milliards de terriens disposent en moyenne de l’équivalent de 200 esclaves mécaniques (avec, il est vrai, d’énormes disparités).
L’énergie a été notre passé, elle est notre présent. Mais est-elle notre avenir ?
Forts des 6 x 10 20 Joules dissipés annuellement, les humains sont devenus une force naturelle capable de déstabiliser le « système Terre ». Il est maintenant bien reconnu que l’extraordinaire ascension humaine a des contreparties écologiques délétères. Le dérèglement climatique, conséquence directe de l’utilisation des énergies fossiles, est le plus médiatisé. Mais n’oublions pas les autres impacts calamiteux : chute de la biodiversité, stérilisation des sols, acidification des océans, pollution, saccage des paysages, …
La quantité d’énergie dissipée est une mesure de l’impact écologique sur la planète. Il y a deux types d’impact à considérer.
- 1) l’impact direct de la production de l’énergie. Citons pour les capteurs photovoltaïques et les éoliennes les dégâts causés sur l’environnement par l’extraction des métaux rares nécessaires au fonctionnement de ces sources d’énergie, et pour les centrales nucléaires le problème non résolu des déchets radioactifs.
- 2) l’impact que l’utilisation de cette énergie aura indirectement sur l’environnement en rendant possible le fonctionnement d’activités polluantes.
En ne tenant compte que du premier type d’impact on ignore la moitié des effets de l’énergie.
Il faut admettre que l’apport d’énergie est toxique du simple fait d’accroitre la capacité de dégrader le système Terre.
Une prise de conscience s’amorce et les discours officiels, depuis quelques années, parlent de « transition écologique ». Celle-ci serait essentiellement une « transition énergétique », avec l’objectif de remplacer les énergies fossiles par des énergies décarbonées, autrement dit : remplacer les « joules noirs » par des « joules verts ». Réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre serait évidemment une action salvatrice pour le climat. Mais en réalité un joule, vert ou noir, est toujours un joule. Le dérèglement climatique mis à part, tous les autres effets délétères persisteront. Il faut se rendre à l’évidence que, après nous avoir fait prospéré et nous multiplier, l’énergie est devenue l’élément toxique fondamental. La transition énergétique doit être une transition vers la sobriété énergétique*. Il ne suffit pas de réduire le nombre de tonnes équivalents CO2 envoyées dans l’atmosphère, il faut aussi s’attaquer au nombre de joules dissipés.
De même qu’il est bon d’envisager une thérapie pour un alcoolique, une politique de conditionnement pédagogique à la sobriété énergétique est nécessaire. Cependant, l’alcool étant un poison, la mesure prioritaire pour sauver un alcoolique est de retirer les bouteilles d’alcool de son voisinage. Pareillement, comme l’excès d’énergie nous conduit vers un avenir intenable, il est urgent d’entrer dans une politique de sevrage énergétique. Aucun nouveau forage de pétrole ou de gaz et aucun investissement pour des énergies non renouvelables ne devrait être toléré. Comme l’a dit Jean Marc Jancovici : « Qu’on le veuille ou non, nous n’échapperons pas à la décroissance et il vaut mieux s’y préparer dès maintenant », ce qui, en toute logique, devrait exclure tout investissement lourd dans le domaine de l’énergie, dont les centrales nucléaires.
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*Il faut évidemment tenir compte des inégalités colossales devant l’énergie, entre ceux qui voyagent en jets privés et ceux qui n’ont pas accès à l’eau et à l’électricité. Ce qui, dans un souci de redistribution, devrait conduire à un sevrage encore plus drastique pour les plus aisés.