L’objectif de la sociale démocratie est de mieux répartir les fruits de la croissance, c’est-à-dire mieux répartir l’accroissement du gâteau. Cette stratégie a bien fonctionné pendant les 30 glorieuses où la croissance était effective, une période où, comme disait un syndicaliste connu, il y avait « du grain à moudre ». Mais depuis quelques décennies la croissance s’essouffle et peine à rester positive. Il y a de moins en moins à répartir sur les fruits de la croissance, alors que, paradoxalement, les inégalités battent des records. Pour rester dans sa logique historique la sociale démocratie mise désespérément sur une relance de la croissance. Elle est confrontée au choix entre deux options insurmontables : 1) défendre une politique sociale, en harmonie avec ses aspirations mais pouvant handicaper la croissance, donc la part de gâteau à redistribuer, ou 2) privilégier la croissance en adhérant à une économie libérale, au détriment de la redistribution. Ces deux voies contradictoires éclairent les fissures au sein du PS.
En même temps, compte tenu des classes sociales auxquelles elle s’adresse, la sociale démocratie affiche une sympathie pour l’écologie. Mais une adhésion sincère à la cause écologiste devrait impliquer un renoncement à la croissance. C’est le grand écart. La sociale démocratie a perdu prise et pédale dans la choucroute. Elle est condamnée à s’étioler (le score d’Anne Hidalgo) ou à muter vers le social libéralisme (ralliement à la macronie).
Une sociale écologie authentique doit avoir pour objet plus de justice sociale dans un contexte de post-croissance. Il ne s’agit plus de répartir l’accroissement du gâteau, mais le gâteau lui-même. Un objectif hautement plus ambitieux, qui impliquera une redistribution des patrimoines bien plus conséquente que l’ISF. Couper drastiquement dans les hauts revenus, qui sont les principaux responsables des dégâts environnementaux est une nécessité écologique. Écologie et justice sociale sont des aspirations convergentes. En évitant un yacht de milliardaire on gagne sur deux tableaux. D’une part on empêche des pollutions et émissions de gaz à effet de serre, d’autre part, avec son prix on peut assurer la rénovation thermique d’un millier d’appartements. Abaisser les plus hauts revenus par la fiscalité jusqu’aux classes moyennes supérieures, permettrait de limiter les consommations les plus énergivores ( voyages aériens, SUV, dépenses luxueuses et polluantes …). Les rentrées budgétaires correspondantes seraient affectées à la transition écologique, aux services publiques et à la redistribution sociale.
Une sociale écologie authentique suppose une inversion de divers crédos de nos sociétés.
- Assumer que la croissance est un dogme révolu. L’urgence écologique impose à nos sociétés une réduction drastique de notre impact sur la planète. Une période de décroissance est inéluctable, qu’elle soit décidée et contrôlée par l’homme ou subie des suites de l’épuisement des ressources. Anticiper la post-croissance est une nécessité de bon sens.
- Passer d’une politique de l’offre à une politique de la demande. Une politique de l’offre repose sur la création de besoins toujours renouvelés afin de booster la croissance, alors que les besoins de base d’une fraction importante de la population ne sont pas satisfaits. Une politique de la demande aurait pour priorité de satisfaire les demandes fondamentales, en premier lieu celles de logements décents pour tous.
- Un contrôle stricte de la publicité. La publicité est l’instrument massif de création de besoins non essentiels et de surconsommation. L’inversion du modèle passe par un contrôle de la publicité, qui devrait être réservée aux biens culturels et de consommation éco-compatibles. Il est clair qu’une réduction drastique de la publicité aurait un impact considérable sur nos modes de vie, notre quotidien et nos paysages. Il aurait une influence certaine sur la consommation et le PNB.
- Une redistribution massive des richesses. Les inégalités de revenus devraient être fortement atténuées par la fiscalité et les inégalités de patrimoines progressivement aplanies en bornant strictement les héritages.
- Du toujours plus au toujours mieux. Dans une économie libérale la recherche de croissance est un tropisme qui répond à la fois à une aspiration prométhéenne de l’espèce humaine et à une nécessité pour survivre dans un monde régi par la sélection naturelle. Dans un monde sans possibilité de croissance le désir prométhéen devrait être détourné vers d’autres attraits et la boulimie de toujours plus de biens matériels transformée en aspiration à plus de qualité de vie. Il s’agira de passer du paradigme de l’Avoir à celui de l’Être. La notion de pouvoir d’achat devrait muter en pouvoir de vivre. Quant à la nécessité de croître pour survivre, elle ne pourra être dépassée que par le passage d’un monde de compétition à un monde d’entraide. Enorme défit que seule une menace existentielle sur l’avenir de l’humanité pourrait éventuellement réaliser.
Une sociale écologie authentique serait un projet authentiquement révolutionnaire.
Sa réalisation se heurterait à une opposition frontale des classes actuellement dirigeantes et de tous les lobbys productivistes, que l’on entend déjà se plaindre du « matraquage fiscal » et de « l’écologie punitive ». Elle devrait être soutenue par une large majorité, y compris par des couches de la population éventuellement lésées par la redistribution, mais acceptant un certain recul de leur pouvoir d’achat pour la sauvegarde des générations futures.