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Billet de blog 12 mai 2025

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L’ORDONNANCE DE LA MORT Est-ce ainsi qu’un médecin hospitalier assassine ?

Hospitalisée pour une grosse constipation soignable par lavements, ma mère (99 ans) a été prise en charge. Le transit semble avoir été rétabli. Quelques jours plus tard, le médecin de garde rédige une Ordonnance de la mort : midazolam et chlorure de potassium à dosage létal : 10 g/L. Ma mère décède une vingtaine de minutes plus tard.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ma mère vivait à son domicile avec auxiliaire de vie et infirmier, qui venaient tous les jours. Elle avait la maladie d’Alzheimer qui avait perturbé sa mémoire immédiate mais elle pouvait parler et raisonner correctement. Elle prenait des médicaments pour contenir une hypertension et stabiliser un glaucome. Elle mangeait avec bon appétit et avait un caractère agréable. Elle était dans un fauteuil dans la journée et un fauteuil roulant pour sortir l’après-midi.

    Un samedi matin l’infirmier qui faisait la toilette de ma mère a constaté un gonflement à son abdomen. On pouvait penser à une grosse constipation bien que l’infirmier constatait des diarrhées (qui seront qualifiées ensuite de "fausses" diarrhées) depuis plusieurs jours. Un médecin est demandé par l’infirmier pour le lundi suivant.

    Un médecin ne viendra que le mardi après-midi. Après auscultation, le Docteur va diriger ma mère vers les Urgences d’un Centre hospitalier pour un tableau de subocclusion, seule raison de la demande d’hospitalisation.

    Une ambulance vient prendre ma mère à son domicile et la conduit aux Urgences du Centre hospitalier. Elle est prise en charge rapidement.

    Je vais détailler les trois périodes du séjour hospitalier de ma mère.

1) Passage aux Urgences le mardi après-midi.

2) Hospitalisation dans le Service de Médecine interne du mardi soir au vendredi sous la responsabilité du Chef de Service.

3) Hospitalisation toujours dans le Service de Médecine interne le samedi sous la responsabilité du médecin de garde.

1) Passage aux Urgences le mardi après-midi.

    Le passage aux Urgences se passe dans de bonnes conditions. L’utilisation du scanner va révéler un important fécalome (bouchon de matières fécales) soignable par lavements. Au niveau des poumons, présence de liquide. Ma mère avait vomi dans la nuit du lundi au mardi. Du vomi était passé dans les poumons (pneumopathie par inhalation). Ma mère respirait normalement. Sa saturation en O2 était stable à 95%. Elle n’avait pas de douleur.

    Une information concernant le passage aux Urgences de ma mère m’a été donnée. Par contre, le livret d’accueil n’a pas été remis à ni à ma mère, ni à moi.

2) Hospitalisation dans le Service de Médecine interne du mardi au vendredi sous la responsabilité du Chef de Service.

Mise sous oxygène :

    Ma mère est transférée, le mardi soir, dans le Service de Médecine interne. Elle est placée dans une chambre à deux lits. Bien qu’ayant une saturation en O2 stable à 95%, une infirmière, sans avoir de  prescription médicale, place ma mère sous oxygène (lunettes O2) "pour le confort". En fin de soirée, la saturation en O2 passe à 91%. Que s’est-il passé ? La saturation en O2 restera déstabilisée durant tout le séjour.

Traitement du fécalome :

    Ce mardi soir, un lavement au normacol est effectué. Une infirmière note : Elimination de selles molles en faible quantité. Le mercredi matin, une infirmière note : Elimination de selles liquides abondantes. Le Chef de Service prend en charge ma mère. Il lit les informations fournies par les Urgences et dresse un bilan. Un toucher rectal est effectué. Le rectum est vide. L’abdomen est ballonné. Un second lavement au normacol est effectué vers midi (Tous les autres lavements programmés seront annulés). En début d’après-midi, une infirmière note : "Selles. Molle liquide. Abondant". Le fécalome semble commencer à se résorber.

   Le jeudi, le Chef de Service note que l’abdomen est ballonné et souple. C’est le dernier commentaire concernant le fécalome. Aucune imagerie médicale ne sera utilisée pour voir si le fécalome était bien résorbé.

Traitement de l’hypertension :

    Ma mère avait un traitement (un cachet de lercanidipine par jour). Le mercredi, le Chef de Service  ne donne pas ce traitement, ne fait pas appel à un cardiologue comme demandé  aux Urgences. La tension de ma mère monte à 19/9. Le Chef de Service prend prétexte de liquide dans les poumons pour diagnostiquer un suboap (hypertensif ?) et fait procéder à deux injections de furosémide. La tension monte jusqu’à 20/9. Alors le Chef de Service  arrête l’emploi de furosémide et utilise un protocole d’urgence en plaçant ma mère sous risordan en flux continu à l’aide d’un pousse seringue électrique avec des consignes pour suivre les variations de la tension en modulant le flux de risordan.

    La tension sera très fluctuante (entre 18/9 et 10/4) selon l’intensité du débit de risordan. Un infirmier va arrêter provisoirement son administration, le jeudi en début de soirée, vu la chute de tension. La perfusion de risordan reprendra le lendemain dans la nuit.

    Une infirmière arrête, le vendredi matin, la perfusion de risordan suite à une nouvelle chute de tension (10/4). Ce protocole d’urgence (donné pendant 3 jours) sera définitivement arrêté par le Chef de Service sans justification écrite dans le dossier médical, sans information auprès de ma mère ou de moi. Il laisse ma mère sans soin pour son hypertension (17/9 ce vendredi après-midi).

Traitement de l’hypokaliémie (manque de potassium dans le sang) :

    Le taux de potassium dans le sang (la kaliémie) doit être normalement compris entre 3,5 et 5 mmol/L.

    Aux Urgences, ma mère présentait une hypokaliémie modérée : 3 mmol/L. L’absence de repas (même liquide) et de boisson au Centre hospitalier, l’utilisation du normacol vont accentuer le déficit en potassium.

    Le mercredi, l’hypokaliémie devient grave : 2 mmol/L. L’utilisation de furosémide aggrave ce déficit. La recharge potassique prescrite est insuffisante.

    Le jeudi, la kaliémie est devenue critique, passant à 1,7 mmol/L (pas d’électrocardiogramme effectué, aucune information donnée à ma mère et à moi). On est face à une urgence médicale avec risque important d’un arrêt cardiaque. Un responsable du laboratoire, qui téléphone tous les matins au Service de Médecine interne pour signaler la kaliémie inquiétante de ma mère, a dû être assez persuasif car le Chef de Service va enfin procéder à une recharge potassique plus efficace.

    Le vendredi, la kaliémie est remontée à 2,6 mmol/L. Mais la recharge potassique du jour sera moins importante et la kaliémie baissera le lendemain (2,4 mmol/L).

Traitement de la pneumopathie par inhalation :

    Ma mère avait vomi dans la nuit du lundi au mardi. Du vomi était passé dans ses poumons provoquant une pneumopathie par inhalation. Le mercredi, cette infection sera soignée avec de l’augmentin.

    Le jeudi, l’infection pulmonaire se développe et la température monte : 38,9 en milieu d’après-midi. Ma mère est mise sous paracétamol pour faire tomber la fièvre. La température retombe à 37,6 en début de soirée puis 37,3 quelques heures plus tard et ne remontera plus. La tazociline remplace l’augmentin pour traiter cette infection pulmonaire. Cette prescription est renouvelée pour les jours suivants.

Passage en soins palliatifs :

    Ma mère n’avait pas de pathologies incurables en phase terminale, pas de douleur insoutenable. Sans procédure collégiale, ni information auprès de ma mère et de moi, sans étude de la douleur (qui n’existe pas), le Chef de Service demande, le vendredi matin, à l’EMSA (Equipe Mobile de Soins d’Accompagnement et soins palliatifs), une évaluation pour un passage en soins palliatifs de ma mère.

    Une personne en blouse blanche, pas de badge, entre, en début d’après-midi, dans la chambre de ma mère sans se  présenter. Elle dit venir de la part du Chef de Service pour des "soins de confort". L’adjectif "palliatif" n’est pas utilisé. Elle dialoguera avec ma mère et moi. Dans ses commentaires, cette personne indiquera que ma mère est alitée, éveillée, n’est pas encombrée, n’a pas de difficulté pour respirer. Son visage est calme et détendu, pas de plis frontaux. Ma mère ne se plaint pas.

     Cette personne ne donne aucune explication sur l’EMSA, sa venue pour effectuer une évaluation pouvant conduire à un passage en soins palliatifs (adjectif jamais utilisé durant tout le séjour à l’hôpital de ma mère).

     Après cette rapide entrevue, la personne repartira dans son bureau et remplira, en quelques minutes, deux fiches qui donneront assez de points pour faire admettre ma mère en soins palliatifs. Elle ne reviendra pas, dans la chambre de ma mère, pour annoncer ce passage et ses conséquences. Le lit, où se trouve ma mère, de standard  passe virtuellement en LISP (Lit Identifié en Soins Palliatifs). Ma mère est transférée plus tard, sans explication, dans une chambre à un lit, chambre au confort minimum, sans poste de télévision. Aucune prestation supplémentaire (psychologue, kinésithérapeute..) ne sera fournie jusqu’à son décès.

    Personne n’indiquera ce passage en soins palliatifs. Je le découvrirai en lisant le dossier médical.

3) Hospitalisation toujours dans le Service de Médecine interne le samedi sous la responsabilité du médecin de garde.

     Ce samedi matin, le médecin de garde fait la tournée des patients et voit ma mère. Elle constate que ma mère est encombrée, calme, dit ne pas avoir de douleur. Elle reste dans le contact avec ouverture des yeux et réponses verbales audibles.

     L’infirmière qui a fait la toilette du matin, constate que ma mère est encore bien présente, semble inconfortable.

    Ce samedi, l’auxiliaire de vie de ma mère, lui rend visite en fin de matinée (je devais prendre sa suite en début d’après-midi). Ma mère n'a pas de douleur, pas de fièvre. Elle est calme. Elle respire et parle normalement. Elle dit à son auxiliaire de vie qu'elle a faim et soif et qu'elle voudrait bien rentrer chez elle.

     Après avoir arrêté tous les traitements ainsi que la prise des constantes (température, tension, saturation en oxygène ...) sans prévenir ma mère et moi, le médecin de garde, en fin de matinée, rédige l’Ordonnance de la mort composée de deux perfusions :

  • Une dose de 5 mg/jour d’un sédatif, le midazolam (hypnovel), devant traiter une anxiété qui n'est pas signalée dans le dossier médical, que le médecin de garde mentionne une fois sans l'avoir constatée. Le midazolam fait bien partie des médicaments utilisés dans les traitements palliatifs mais ma mère était calme, n’avait aucune douleur et ne justifiait pas d’une sédation.
  • Une demi-poche (0,5 L) de bionolyte (glucose 5% contenant déjà des produits dont 1 g de chlorure de potassium) pour un jour à laquelle on va ajouter, en particulier, 4 g de chlorure de potassium. Cette demi-poche était censée hydrater ma mère pendant une journée ce qui est bien insuffisant.

     La concentration de chlorure de potassium dans cette demi-poche est, en première approximation, de 10 g/L. Cette concentration est en contradiction avec les recommandations de l'ANSM (Agence Nationale pour la Sécurité du Médicament). Cette Agence indique que cette concentration ne doit pas dépasser 4 g/L. Le débit ne doit pas dépasser 1g/h. Cette concentration de 10 g/L est létale.

    Si le médecin de garde voulait perfuser 5 g de chlorure de potassium/jour à ma mère en respectant une bonne pratique, elle pouvait prescrire deux perfusions. Par exemple : une perfusion d’un litre de bionolyte avec ajout de 1 g de chlorure de potassium à diffuser en, au moins, 3h puis une seconde perfusion de 0,5 litre de bionolyte avec ajout de 1 g de chlorure de potassium à diffuser en, au moins, 2h.

    Le chlorure de potassium est utilisé dans deux cas : Pour soigner une hypokaliémie ou pour tuer vite selon l’urgence du moment (malade atteint d’une maladie incurable en phase terminale et ayant des douleurs insoutenables et inutiles, qu’on ne peut plus calmer). Cette dernière possibilité est évidemment interdite bien qu’elle ait déjà été utilisée.

    La perfusion, surdosée en chlorure de potassium, reçue par ma mère n’était pas un soin. Elle a servi à tuer rapidement celle-ci par arrêt cardiaque.

    L’infirmière, qui a installé les deux perfusions, ne demande pas confirmation auprès du médecin de garde pour la perfusion de midazolam sur une personne calme qui n’a pas de douleur et pour la perfusion hors norme de chlorure de potassium. Elle ne reviendra pas dans la chambre de ma mère pour vérifier si les perfusions passent normalement et sont bien supportées par la patiente. Elle lance les deux perfusions en même temps au lieu de mettre d’abord en route celle de midazolam, vérifier plus tard que ma mère est endormie et lancer ensuite la perfusion surdosée en chlorure de potassium qui provoquera un arrêt cardiaque.

    Lorsque l’infirmière sort de la chambre après avoir installé les deux perfusions, l’auxiliaire de vie, qu’elle avait fait sortir, veut entrer dans la chambre pour revoir ma mère. L’infirmière tente de la dissuader de le faire. Elle explique que ma mère va dormir (pourquoi vouloir faire dormir ma mère vers 12h20 ?) et que l’auxiliaire de vie va la déranger. L’infirmière demande à l’auxiliaire de vie de rentrer chez elle. L’auxiliaire de vie ne comprend pas et insiste pour revenir voir ma mère. Le ton monte. L’infirmière appelle le médecin de garde qui vient, calme la situation et autorise l’auxiliaire de vie à retourner dans la chambre.

    La mise en service de ces deux perfusions va rapidement perturber ma mère qui dit à son auxiliaire de vie être fatiguée (midazolam ?) puis ne pas se sentir bien (chlorure de potassium ?). Finalement ma mère va défaillir (forte douleur à la poitrine) devant son auxiliaire de vie qui appuie sur le bouton de la sonnette sans succès puis sort dans le couloir pour appeler les infirmières au secours.

     L’auxiliaire de vie constate alors que des infirmières, proches de la chambre, vont venir tranquillement sans avertir le médecin de garde. Trois infirmières entrent dans la chambre. L’auxiliaire de vie reste devant celle-ci. Une infirmière prend position devant la porte.

     Le décès de ma mère intervient ce jour, une vingtaine de minutes, après la pose des deux dernières perfusions. Ma mère était venue au Centre hospitalier juste pour se faire soigner, pas pour se faire tuer. C’est le médecin de garde qui rédigera le Certificat de décès à la fin de sa garde, en début d’après-midi.

        Ce séjour dans le Centre hospitalier a donc été émaillé de nombreux dysfonctionnements :

Utilisation inutile d’oxygène, sans prescription médicale, par une infirmière qui fait passer ma mère d’une saturation en O2 stable à 95% à une saturation à 91% puis à un déséquilibre complet de cette saturation.

Pour le Chef de Service :

Traitement du fécalome incomplet. Pas d’utilisation d’une imagerie médicale pour savoir si le fécalome était résorbé.

Traitement chaotique de l’hypokaliémie qui conduira ma mère au seuil critique d’une kaliémie de 1,7 mmol/L.

Absence de traitement curatif de l’hypertension. Le médicament utilisé par ma mère n’est pas donné. L’appel à un cardiologue, comme demandé aux Urgences, n’est pas effectué. La mise en place d’un protocole d’urgence (risordan en flux continu) va faire mécaniquement baisser la tension sans soigner. L’arrêt par deux fois de ce protocole doit avoir lieu, la tension étant devenue trop basse. Après le second arrêt, fin du protocole. L’hypertension de ma mère n’est plus traitée, sans justification et information auprès de ma mère et moi.

Le passage en soins palliatifs est effectué sans procédure collégiale, sans étude de la douleur, sans information auprès de ma mère et de moi.

Pour le médecin de garde :

Arrêt de tous les traitements ainsi que la prise des constantes (température, tension, saturation en oxygène ...) sans explications fournies à ma mère et moi, Il ne reste que de la morphine à donner à ma mère si besoin.

Rédaction d’une Ordonnance de la mort : Perfusions de midazolam et de chlorure de potassium à dose létale. Aucune explication donnée à ma mère et moi. L’infirmière met en application la prescription sans demander confirmation au médecin de garde.

Le plus grave de ces dysfonctionnements est évidemment le dernier : empoisonnement sur une personne vulnérable.

Les responsables de ces dysfonctionnements continuent d’exercer.

 Est-ce ainsi qu’un médecin hospitalier assassine ?

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