La frontière transalpine voit s’accroître depuis 2015 l’arrivée de personnes exilées cherchant refuge en Europe. Au même moment, l’Etat français durcit les contrôles aux frontières intérieures, militarisant ainsi cet espace avec pour conséquence une traversée de la frontière toujours plus dangereuse, qui a déjà provoqué des dizaines de morts ou de blessés graves.
Dans ce contexte de tension, il a été à de multiples
reprises observé que ce public était victime d’obstruction à l’accès aux soins. Cette situation globale nous interpelle ainsi que d’autres professionnels de santé préoccupés par le respect et l’accueil de toutes les personnes, quel que soit leur statut social ou administratif, sans discrimination, à l’hôpital ou dans d’autres structures de soins.
Alerté par cette situation, Médecins du Monde (MdM) développe à Briançon depuis 2017, un programme de réduction des risques sanitaires physiques et psychologiques à destination des personnes exilées à la frontière franco italienne.
Le programme se compose de deux activités principales :
- Une Unité Mobile de Mise à l’Abri (UMMA) en partenariat avec l’association Tous Migrants. Les bénévoles de Médecins du Monde et les solidaires se rendent en montagne, au col de Montgenèvre, au plus proche des personnes après qu’elles aient franchi la frontière, afin de réduire les risques encourus, notamment en saison hivernale (hypothermies, gelures, risques liés à l’environnement montagnard et à la militarisation de la frontière). Une évaluation de l’état de santé des personnes est effectuée sur place, puis une mise à l’abri au Refuge Solidaire ou une orientation vers l’hôpital quand la situation le nécessite, en lien avec les structures de droit commun (pompiers, secours en montagne).
-Une permanence de consultations de soins médicaux/paramédicaux au sein du Refuge Solidaire, en partenariat avec la Permanence d’Accès aux Soins de Santé (PASS) de l’hôpital de Briançon. Dans cet espace, nous réalisons un premier accès aux soins, une écoute et des orientations pour la suite du parcours. L’accompagnement proposé au Refuge Solidaire permet une approche globale entre appui social, juridique et médical sur un court temps de répit avant de continuer la route.
La mission de MdM est de prévenir, soigner, témoigner et plaider.
Nous sommes témoins de nombreuses situations de violation des droits, de mise en danger et d’entraves à l’accès aux soins à la frontière (courses poursuites, séparations de familles, non accès à un médecin dans des locaux de privation de liberté, entraves à notre action humanitaire…), constats dénoncés récemment dans un rapport de l’association Tous Migrants rédigé en partenariat avec l’Anafé et MdM. Nous nous servons des données de terrain (données médicales, témoignages…) pour interpeller les décideurs, les autorités locales et porter des plaidoyers pour le respect des droits des personnes en migration à la frontière, de la non criminalisation des solidaires, de l’accueil digne et inconditionnel des exilés ainsi que d’un accès aux soins psychiques et physiques de qualité dans ce contexte de passage.
Pour exemple, nous alertons régulièrement la Défenseur des Droits, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ainsi que le procureur du tribunal de Gap sur des violations de droits ainsi que sur des agissements litigieux des forces de l’ordre.
Dans ce travail de recueil, une situation nous a particulièrement marqué ces derniers mois.
En septembre dernier, une famille est interpellée et conduite au poste de la Police Aux Frontières à Montgenèvre. La femme, suite à une crise d’anxiété à son arrivée dans les locaux de police, est prise en charge par les pompiers et hospitalisée à Briançon laissant au poste frontière son mari et son enfant de 6 ans. Le médecin de l’hôpital estime alors qu’il est primordial de pouvoir évaluer également l’état de santé du mari et de l’enfant. Le centre régulateur est sollicité et une ambulance est envoyée au poste frontière, l’homme et l’enfant seront transférés à l’hôpital.
La police, de son côté, exigeait un retour de la femme au poste pour un refoulement du côté italien, mettant la pression sur l’hôpital pour avoir des informations sur l’heure de sortie de la femme, pratique assimilable à une violation du secret médical. Le médecin de l’hôpital de Briançon sera accusé par le syndicat Alliance 05 d’avoir mobilisé des pompiers pour faire entrer des immigrants sur le territoire par idéologie et décide de saisir la préfecture des Hautes-Alpes pour qu’eux même alertent l’ordre des médecins.
Cette situation n’est pas nouvelle, des séparations de familles se sont déjà produites, la pression des forces de l’ordre sur les soignants est également une pratique fréquente (suivi du véhicule Médecins du Monde jusqu’à l’hôpital, extraction de personnes exilées du véhicule Médecins du Monde entravant l’accès aux soins…).
Nous restons vigilants sur ce type d’agissements des forces de l’ordre qui outrepassent leurs prérogatives, aggravant l’impact psychologique pour les familles séparées. Nous sommes inquiets de cette intrusion policière dans le soin. Sur ce point le droit est très clair : seul un professionnel de santé est habilité à établir un diagnostic et à indiquer la prise en charge adéquate. Cette ingérence dans le champ de la responsabilité médicale est très préoccupante et le pouvoir que s’approprie ce syndicat, l’est tout autant. Ce genre de pratiques témoigne d’une dérive autoritaire qui menace directement le cadre d’exercice de la médecine, plus largement que dans le contexte particulier de la frontière franco-italienne. Ceci poursuit le transfert de l’autorité sanitaire au sein de l’OFII au Ministère de l’intérieur depuis 2017.
En tant que professionnels de santé, nous manifestons notre refus de ces pratiques inacceptables dans un état de droit. En effet, il parait absolu que soit protégé, sanctuarisé des espaces de soins pour le respect du contrat de confiance avec nos patients, incarné entre autres par le secret médical et essentiel à nos pratiques professionnelles du soin.
L'équipe de Médecins du Monde à Briançon