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Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Billet de blog 2 juillet 2025

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La stratégie d’abstention du RN face à la motion de censure du PS...

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Titre : La stratégie d’abstention du RN face à la motion de censure du PS : entre logique constitutionnelle et calcul politique
Par Mehdi Allal, docteur en droit public et enseignant-chercheur en science politique...

Au café de Flore...

Chapeau :
Alors que le Parti socialiste a déposé une motion de censure contre le gouvernement Bayrou, l’attitude du Rassemblement national — qui choisit une nouvelle fois de ne pas soutenir cette initiative — révèle une stratégie d’attente fondée sur un savant équilibre entre positionnement politique et lecture pragmatique des institutions. À travers l'analyse des propos du politologue Benjamin Morel, cette tribune revient sur les implications juridiques et politiques de cet épisode parlementaire, en interrogeant notamment les effets d’un tel rapport de force sur la stabilité gouvernementale, la recomposition partisane et l’esprit de la Ve République.


Texte :

L’examen d’une nouvelle motion de censure déposée par le Parti socialiste, en réaction à l’échec du conclave sur les retraites et à la non-tenue d’un débat parlementaire sur l’âge légal de départ, a ranimé les tensions institutionnelles entre majorité relative, oppositions stratégiques, et une forme d’usure parlementaire caractéristique du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Dans ce contexte, le refus du Rassemblement national (RN) de voter cette motion ne relève pas seulement d’une stratégie politique de court terme, mais d’une lecture fine du droit constitutionnel et de l’état réel des forces en présence.

Comme le rappelle le constitutionnaliste Benjamin Morel, "le RN n’a pas intérêt à ce que le gouvernement tombe". D’un point de vue strictement juridique, rien n’oblige en effet à une dissolution de l’Assemblée nationale en cas de censure : le président de la République conserve la faculté – et non l’obligation – de convoquer de nouvelles élections (article 12 de la Constitution), tout comme il peut nommer un nouveau Premier ministre issu de la même majorité ou d’un compromis parlementaire plus large. Cette latitude présidentielle constitue une soupape de stabilité dans un régime parlementaire rationalisé, mais elle renforce également le pouvoir discrétionnaire de l’exécutif en période de tension.

Sur le plan politique, le RN joue ici la carte de la "normalisation". En refusant de participer à une chute du gouvernement initiée par la gauche, le parti entend consolider son image de force responsable, soucieuse de ne pas plonger le pays dans l’instabilité à la veille de l’été. Il renvoie ainsi à la gauche – et notamment au PS – l’initiative du désordre, tout en se réservant la possibilité d’un coup de force institutionnel plus stratégique à l’automne, lors du vote du budget. Cette manœuvre vise à asseoir la crédibilité gouvernementale future du RN, sans pour autant aliéner son électorat par une participation perçue comme collusive avec les partis traditionnels.

En cela, la motion du PS devient moins un instrument sérieux de renversement gouvernemental qu’un révélateur de la recomposition en cours : le PS tente d’exister en menant une opposition de principe, tandis que le RN opte pour une opposition d’opportunité. Or cette dichotomie nourrit un brouillage du clivage droite/gauche, au profit d’une opposition systémique versus opposition intégrée au jeu institutionnel. Les votes de censure, au lieu d’unir les oppositions sur des principes partagés, deviennent ainsi des marqueurs identitaires.

La posture de François Bayrou, de son côté, illustre un affaiblissement de la fonction de Premier ministre dans une Ve République sans majorité absolue. S’il échappe à la censure, c’est moins par adhésion que par calculs croisés. Sa tentative de marginaliser le RN, de rapprocher les socialistes et de raviver la démocratie sociale via un conclave est aujourd’hui perçue comme un triple échec. L’hypothèse d’une cohabitation informelle – ou du moins d’une gouvernance de consensus – s’éloigne, faute de partenaires disponibles ou crédibles.

Enfin, la dissolution — brandie comme menace ou solution — apparaît comme une chimère. Juridiquement possible, elle est politiquement périlleuse : aucun bloc n’en sortirait renforcé de manière décisive, et la fragmentation actuelle de l’hémicycle ne ferait que se reproduire, possiblement avec un RN plus fort, une gauche divisée et une majorité présidentielle rétrécie. L’équation de la gouvernabilité resterait inchangée, voire aggravée.

En définitive, cette huitième motion de censure depuis le début du second quinquennat Macron ne fait que confirmer une double tendance : l’impuissance des oppositions à construire des majorités alternatives, et la transformation des instruments classiques du parlementarisme (motions, débats, votes...) en gestes symboliques, détournés de leur fonction originelle. Dans ce jeu de dupes institutionnel, la Constitution reste le cadre, mais non plus la boussole. Ce qui s’installe progressivement, c’est un régime d’attente, un "entre-deux" gouvernemental qui pourrait bien durer jusqu’aux prochaines échéances présidentielles. Car seul le verdict des urnes pourra imprimer en définitive son empreinte sur un échiquier en l'absence de repères non déflorés...


Bio auteur :
Mehdi Allal est docteur en droit public, enseignant-chercheur en science politique et spécialiste des institutions de la Ve République. Ses travaux portent notamment sur la recomposition parlementaire, les pratiques de gouvernement minoritaire et la mutation du rôle des partis politiques en régime semi-présidentiel.

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