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Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Billet de blog 4 août 2025

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La nostalgie contemporaine : affect politique, symptôme psychique et faux refuge

Dans une époque hantée par l’accélération et le déracinement, la nostalgie s’impose comme une tonalité dominante : douce en apparence, mais redoutable par ses usages idéologiques. Entre refuge esthétique, symptôme d’un malaise psychique et instrument politique, elle recompose un passé fantasmé pour masquer les incertitudes du présent. Marie Taffoureau étudiante à l'université Paris Nanterre. Par Marie Taffoureau étudiante à l'université Paris Nanterre.

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La nostalgie traverse aujourd’hui nos sociétés comme une tonalité diffuse, mais omniprésente : revival des objets vintage, fascination pour le “style rétro”, succès des esthétiques passées... mais aussi rhétorique politique du “retour aux vraies valeurs” et promesse d’un “passé retrouvé”.
Dans un monde saturé d’accélération et de déracinement, la nostalgie est devenue à la fois un refuge esthétique, un affect culturel et une arme idéologique.

Mais que regrettons-nous exactement ? Et surtout, pourquoi la nostalgie a-t-elle cessé d’être un simple sentiment doux-amer pour devenir un levier politique puissant, voire une structure psychique révélatrice de la modernité elle-même ?

Une histoire ambivalente, du “mal du pays” à l’esthétique vintage

La nostalgie n’est pas née hier : le mot lui-même est inventé en 1688 par Johannes Hofer pour désigner le “mal du pays” qui touche les mercenaires suisses.
Elle est d’abord un dérèglement psychique ancré dans le corps : regret d’un lieu quitté, non d’un temps perdu.

Mais dès le XIXᵉ siècle, la nostalgie change de nature : elle devient humeur romantique, mode esthétique, regard mélancolique sur la modernité industrielle et ses brutalités.
Alfred de Musset résume cette tonalité dans La Confession d’un enfant du siècle : “Nous sommes tous nés trop tard ou trop tôt : nous ne trouvons plus notre place.”

La nostalgie, dès lors, articule deux dimensions : la perte réelle des formes de vie effacées par la modernité, et une reconstruction imaginaire, qui sélectionne dans le passé ce qui peut servir de refuge symbolique.

Aujourd’hui, cette dynamique s’amplifie : le vintage n’est pas qu’un goût esthétique, c’est une forme culturelle qui vide le passé de sa densité historique pour en faire un simple style.
Susan Sontag notait déjà : “Le passé est retransformé en style, vidé de son épaisseur historique, réduit à une esthétique du souvenir.”

La nostalgie comme levier politique et conservatisme affectif

Mais la nostalgie ne reste pas cantonnée aux objets ni à l’intime : elle devient un outil politique redoutable.
Le populisme contemporain a parfaitement compris sa puissance : il suffit de désigner un “âge d’or” mythique, jamais précisément défini, pour séduire ceux qui se sentent déracinés par la mondialisation, l’accélération et la complexification du monde moderne.

Le slogan “Make America Great Again” en est la parfaite illustration : il ne précise jamais “quand” ni “en quoi” l’Amérique fut “great”, mais convoque un passé indéterminé comme antidote au malaise contemporain.

Jean Starobinski, dans L’invention de la liberté, rappelait que la nostalgie surgit historiquement avec les premières fractures de la modernité : elle devient politique, dès que l’État-nation instrumentalise l’histoire pour fabriquer une identité collective.

Comme le souligne Pierre Nora dans Les lieux de mémoire : “Ce qui est commémoré n’est pas toujours ce qui fut vécu, mais ce qui peut cimenter une communauté dans un présent incertain.”

La nostalgie politique produit donc une mémoire sélective : elle gomme les conflits, simplifie les récits, offre un passé purifié, propre à opposer “nous” à “eux”.
Dans cette logique, elle se travestit en fidélité mais elle est en réalité réaction : réaction à la perte des repères traditionnels, à la diversité croissante, à la fluidité des appartenances. Cette instrumentalisation n’est pas l’apanage des droites populistes : une certaine gauche puise elle aussi dans le registre nostalgique, en idéalisant les “Trente Glorieuses”, l’État-providence protecteur ou l’âge d’or du mouvement ouvrier, comme si ces périodes avaient incarné une harmonie sociale aujourd’hui disparue.
Là encore, la mémoire est sélective : elle occulte les inégalités, les exclusions, les violences symboliques de ces époques pour ne retenir qu’un récit idéalisé, capable de fédérer une communauté politique en quête de repères.

Lecture psychanalytique : nostalgie et mélancolie sociale

Freud éclaire cette dynamique : dans Deuil et mélancolie, il observe que le mélancolique “sait qu’il a perdu quelque chose, mais il ne sait pas exactement quoi.”
Cette formule résume la nostalgie contemporaine : nous regrettons un passé dont nous peinons à définir précisément les contours, parce que ce passé est une fabrication.
C’est moins une mémoire qu’un fantasme : Lacan dirait que la nostalgie est une “construction fantasmatique du temps” : elle imagine un temps harmonieux qui n’a jamais existé. La nostalgie contemporaine fonctionne comme une défense collective contre l’angoisse fondamentale du présent : la perte de continuités symboliques, l’érosion des transmissions, l’incertitude radicale face à l’avenir. Hartmut Rosa, dans Aliénation et accélération, analyse cette tension : “L’accélération sociale produit une érosion des formes traditionnelles de stabilisation symbolique."

Là où la mémoire assurait autrefois une continuité vivante entre générations, la nostalgie remplit aujourd’hui un vide : elle recompose un passé idéalisé pour donner l’illusion d’une stabilité perdue. Ce phénomène n’est pas réservé aux discours politiques explicites : il traverse aussi la valorisation de certains “patrimoines”, la mode rétro, la multiplication des commémorations...
Mais dans ces dispositifs, il ne s’agit plus de transmettre une histoire complexe mais de styliser un passé conforme à un imaginaire rassurant. Walter Benjamin résume parfaitement ce piège dans ses Thèses sur la philosophie de l’histoire : “Chaque époque rêve la suivante mais dans un rêve tourné vers le passé.”

La nostalgie contemporaine se présente comme une humeur douce, mais elle masque une violence symbolique : exclusion de ceux et celles qui ne correspondent pas à l’image idéalisée du “nous”, effacement des voix minoritaires, travestissement du passé complexe en récit épuré...

Elle révèle en creux la crise du temps historique lui-même : dans un monde où le présent est insaisissable et le futur inquiétant, la nostalgie offre un récit où la continuité semble restaurée, où la perte est suspendue.

Et si la véritable tâche critique contemporaine n’était pas de condamner la nostalgie mais d’en extraire ce qu’elle dit de nous ?
Car sous ses dehors consolateurs, la nostalgie contemporaine parle d’un besoin fondamental : celui de l’attachement, de la durée, de la continuité. Entremêlé comme jamais, dans une gemme au prix coltiné, qui reste incrustée dans un médaillon décidemment résistant à la fouille au corps et insensible au temps qui s'écoule...

Marie Taffoureau étudiante à l'université Paris Nanterre

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