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Mehdi ALLAL

Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Billet de blog 7 août 2025

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Vers une inflexion jurisprudentielle ? Premiers signaux sous la présidence Ferrand...

Ce jeudi 7 août 2025, le Conseil constitutionnel doit rendre ses premières grandes décisions sous la présidence de Richard Ferrand, ex-président de l’Assemblée nationale. Deux textes explosifs sont en cause : la loi Duplomb sur les pesticides et la réforme du scrutin municipal dans les grandes villes. Selon Mehdi Allal, ces décisions peuvent permettre de redéfinir le rôle même des « neuf sages »..

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Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Alors que le Conseil constitutionnel s’apprête à rendre ses décisions sur deux textes éminemment sensibles – la loi Duplomb et la réforme du scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille (loi dite « PLM ») –, l’analyse juridique de ce tournant est incontournable. Plus que deux décisions parmi tant d’autres, il s’agit de moments charnières susceptibles d’induire de futures inflexions jurisprudentielles aux effets durables sur le contentieux constitutionnel.

Car c’est sous la présidence contestée de Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale et figure politique macroniste, que ces arbitrages sont rendus. Le contexte politique, la sensibilité des sujets, les doutes quant à l’impartialité – nourris par les conditions de sa nomination – et les nouveaux équilibres internes du Conseil constituent un terreau favorable à l’observation d’évolutions doctrinales subtiles, mais potentiellement majeures.


1. L'affirmation attendue de la Charte de l’Environnement comme norme contraignante

L’affaire Duplomb cristallise les tensions entre développement économique et impératifs environnementaux. En autorisant, sous conditions, l’usage d’un pesticide interdit depuis 2018, la loi vient frontalement heurter les articles 1er et 5 de la Charte de l’Environnement, laquelle fait partie du bloc de constitutionnalité depuis 2005.

La jurisprudence antérieure (Décision n° 2008-564 DC, notamment) a reconnu l'effet direct de certaines dispositions de la Charte, tout en limitant leur portée par des exigences de conciliation entre les droits. Or, le contexte actuel, couplé à une mobilisation citoyenne exceptionnelle (plus de 2,1 millions de signatures), pourrait offrir au Conseil l’opportunité d’élever son exigence de proportionnalité écologique, en renforçant les critères de nécessité, de subsidiarité et de précaution.

Si le Conseil franchit ce cap, la loi Duplomb pourrait devenir l’arrêt Nicolo de la Charte de l’Environnement : le moment de bascule vers une normativité plus opérationnelle du droit écologique constitutionnel, contraignant durablement les choix législatifs, notamment sous la pression d de normes internationales suffisamment justifiées...


2. Réforme PLM : vers un encadrement renouvelé du principe d’égalité devant le suffrage

La réforme du scrutin municipal dans les grandes métropoles entend refondre le mode d’élection des maires d’arrondissement, dans un sens qui selon ses opposants favoriserait la majorité présidentielle. Elle pose une problématique classique, mais non moins cruciale : celle du principe d’égalité devant le suffrage, consacré par l’article 1er de la Constitution.

Dans sa jurisprudence (notamment DC n° 2003-468 sur la Corse), le Conseil a admis des dérogations au principe d’égalité dès lors qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général et restent proportionnées. Toutefois, l’intensité du contrôle est variable.

Le contexte de cette réforme, intervenant en amont d’échéances municipales majeures, exige du Conseil un rehaussement de son standard de contrôle. Une motivation renforcée, centrée sur l’absence d’arbitraire et la justification précise des écarts de représentation, serait ici le signe d’une consolidation de la jurisprudence principielle, face à des lectures parfois trop opportunistes du principe d’égalité.


3. Une occasion de redéfinir le rôle de la pétition et du référendum d’initiative partagée

Le débat entourant la loi Duplomb a ravivé une question épineuse : la valeur juridique des outils de démocratie participative – pétitions, référendum d’initiative partagée (RIP)...

Dans le silence relatif de la jurisprudence actuelle, une décision motivée sur la portée politique, mais non contraignante d’une pétition, ou sur l’impossibilité matérielle de recourir au RIP dans ce cas précis, pourrait dessiner un cadre juridique stabilisé pour ces instruments, de plus en plus mobilisés, mais encore juridiquement flous.

L’ouverture d’une telle jurisprudence serait capitale : elle permettrait au Conseil de reconnaître une légitimité démocratique à ces démarches, sans en faire des instruments de censure automatique, mais en imposant leur prise en compte comme éléments d’intérêt général à concilier dans le processus législatif.


4. La réaffirmation de l’exigence d’impartialité : de la théorie des apparences à la pratique délibérative

Enfin, ces décisions seront scrutées à l’aune du principe fondamental d’impartialité, dont le Conseil n’est pas formellement tenu, mais qui structure son autorité dans l’opinion. La « théorie des apparences », bien connue en droit administratif et dans la jurisprudence de la CEDH, invite à considérer non seulement l’impartialité réelle, mais aussi sa perception.

Or, dans le climat de soupçons entourant la nomination de Richard Ferrand – abstention stratégique du RN, passé politique, proximité avec des figures impliquées dans des affaires... – toute décision controversée pourrait être perçue comme politiquement entachée.

En se déportant dans certains cas (comme lors de l’invalidation du député Laussucq), Richard Ferrand a déjà esquissé une pratique de prudence. Il lui appartient désormais de consolider un style jurisprudentiel collégial, fondé sur une motivation rigoureuse et une pédagogie explicite.


Conclusion : la jurisprudence Ferrand en gestation

Il serait prématuré de parler d’un revirement de jurisprudence. Mais les décisions attendues ce soir pourraient amorcer une évolution doctrinale du Conseil constitutionnel sur quatre plans majeurs : la force normative de la Charte de l’Environnement, l’intensité du contrôle de l’égalité électorale, la reconnaissance des outils participatifs, et la consolidation du principe d’impartialité.

Autant d’indices qui, réunis, pourraient marquer l’émergence d’un Conseil plus assertif, plus transparent, et plus exigeant vis-à-vis du législateur, fût-il issu de la majorité présidentielle. Car comme le rappelait Robert Badinter, le juge constitutionnel a un « devoir d’ingratitude ». Ce jeudi 7 août pourrait en être le premier témoignage sous l’ère Ferrand.

Si ses décisions sont suffisamment dégraissée de la gaine dialectale qui en obstrue, ne serait-ce que la simplification, mais surtout la clarté et l'intangibilité, dont le fondement même est propre à être interprété, tant les revirements sont la marque de fabrique du réalisme juridique et de son écriture se voulant équilibrée, non soumise à la vindicte, tout simplement à la volonté populaire ou représentée ; pour permettre au droit positif, sur les sujets évoqués ci-dessus, d'évoluer dans le sens d'un apaisement largement attendu et pertinemment étendu jusqu'à s'éloigner...

Bio auteur

Mehdi Allal est juriste en droit public, spécialiste des institutions constitutionnelles et des transitions démocratiques. Il intervient régulièrement sur les questions de justice constitutionnelle, de séparation des pouvoirs et de renouveau démocratique dans des revues juridiques et politiques.

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