La décision rendue le 7 août 2025 par le Conseil constitutionnel, censurant l’article 2 de la loi Duplomb qui visait à réintroduire l’usage de l’acétamipride, constitue un tournant décisif dans le droit constitutionnel de l’environnement. Elle redonne corps à une Charte de l’environnement trop longtemps reléguée au rang de texte symbolique, voire décoratif, dans le bloc de constitutionnalité.
Par cette censure, les neuf Sages rappellent que la sauvegarde de la santé publique et de la biodiversité ne saurait céder devant les intérêts corporatistes ou productivistes, fût-ce au nom d’une prétendue "urgence agricole", nœud du litige.
1. Une mise en œuvre audacieuse (et rigoureuse) de la Charte de l’environnement
La loi Duplomb, adoptée par le Parlement le 8 juillet 2025, prévoyait dans son article 2 une réintroduction, "sous conditions", de l’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde interdit depuis 2018 en raison de ses effets délétères sur les pollinisateurs et la santé humaine.
Or, comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans une décision très argumentée, cette disposition viole les articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement, laquelle reconnaît respectivement à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, et le devoir de contribuer à sa préservation.
La censure est fondée sur l’absence d’un encadrement juridique suffisant des dérogations envisagées : celles-ci n’étaient ni ciblées sur des filières agricoles en situation de péril, ni limitées dans le temps, ni proportionnées dans leurs modalités d’utilisation (notamment en ce qui concerne la pulvérisation, connue pour sa dispersion incontrôlable).
Autrement dit, le législateur a manqué à son obligation de conciliation entre la liberté d’entreprendre (ou de produire) et les exigences constitutionnelles de protection de la santé et de l’environnement. Cette conciliation, déjà affirmée dans la décision OGM de 2008, est ici rappelée avec plus de rigueur. Le Conseil franchit une étape en ne se contentant plus d’une lecture molle du principe de précaution : il exige que toute dérogation soit fondée sur des éléments objectifs, proportionnés et scientifiquement étayés.
2. Vers un "réveil" de la jurisprudence environnementale constitutionnelle ?
Avec seulement 14 censures fondées sur la Charte de l’environnement depuis son intégration au bloc de constitutionnalité en 2005 – dont 11 sur des motifs procéduraux –, le contentieux environnemental restait jusque-là marginal. Cette décision marque une rupture qualitative.
Elle rappelle que la Charte de l’environnement a une normativité propre, et ne se réduit pas à un étendard moral. L’article 1er de la Charte devient ici un véritable levier d’invalidation du législateur, qui ne peut plus éluder ses devoirs sous couvert de "réponse à la crise agricole".
Ce faisant, le Conseil constitutionnel suit une ligne jurisprudentielle désormais plus ferme, que l’on avait entrevue dans sa décision de 2021 sur le Code minier ou dans les QPC relatives à la pollution de l’air. Il amorce ainsi une relecture plus substantielle du principe de précaution, qui ne consiste plus à tolérer l’ignorance, mais à exiger la preuve de l’absence de danger avant d’autoriser.
3. Un appel implicite au législateur : réécrire avec précaution, ou renoncer
Le Conseil constitutionnel n’interdit pas en soi toute dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes. Il condamne un encadrement insuffisant. Autrement dit, il laisse ouverte la possibilité d’un retour législatif, à condition que celui-ci respecte les exigences constitutionnelles de proportionnalité, de nécessité et de justification scientifique.
Mais cette marge de manœuvre est étroite. Toute réécriture de l’article censuré devra :
Justifier les filières concernées par des études d’impact rigoureuses ;
Limiter la durée d’application de la dérogation (le caractère transitoire étant constitutionnellement exigé) ;
Interdire certaines formes d’application (notamment par pulvérisation) pour prévenir les risques de dissémination incontrôlée.
Le législateur est donc placé devant une injonction à la rigueur. Toute tentative de contourner cette exigence exposerait l’État à un nouveau camouflet constitutionnel, au risque de renforcer l’argument d’un "gouvernement des juges" – procès politique infondé, mais politiquement "instrumentalisable", notamment par les lobbies agricoles ou certains parlementaires.
4. Vers une hiérarchisation plus assumée des normes constitutionnelles ?
Cette décision interroge enfin la hiérarchie implicite entre les différentes normes constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel fait clairement primer la protection de la santé et de l’environnement sur la liberté d’entreprendre, sans toutefois le dire explicitement.
Il s’inscrit ainsi dans un mouvement de constitutionnalisation ascendante du droit de l’environnement, en cohérence avec les dynamiques européennes (directive Reach, Pacte vert...) et internationales (Accord de Paris, principes de Rio...).
Elle traduit une montée en puissance d’un contentieux climatique et écologique constitutionnel, qui pourrait dans les années à venir s’étendre à des domaines aussi cruciaux que la régulation des engrais azotés, l’artificialisation des sols ou les normes de qualité de l’air.
Conclusion : Un signal fort pour la transition écologique... et pour l’État de droit
La décision du 7 août 2025 est tout sauf technique. Elle rappelle que l’État de droit ne peut se construire contre la nature, et que la Constitution protège autant la vie des abeilles que celle des hommes, car les deux sont intimement liées.
Elle enjoint aux pouvoirs publics de ne pas instrumentaliser les crises agricoles pour reculer sur les exigences environnementales, mais plutôt de penser la transition de manière concertée, scientifique et démocratique.
Elle est enfin une leçon de modestie pour un législateur parfois tenté de légiférer dans l’urgence, sans mesurer les conséquences constitutionnelles de ses choix.
Il faut s'en féliciter, tout en raison garder, tant la colère était grande contre une loi qui ne satisfaisait en vérité personne : ni les paysans soucieux de produire propre, ni les défenseurs de l'environnement, traités parfois caustiquement, mais non sur le plan casuistique, d'"ayatollahs" ;
vers lesquels est orientée cette prise de position, ce traitement préférentiel des droits de la nature sur les droits individuels, des droits collectifs sur les droits des particuliers ;
des contestataires qui en reprendraient bien une portion, de ce gratin de la norme quasi supra-constitutionnelle, c'est-à-dire fondamentalement d'une supériorité avec laquelle il est possible de festoyer en mangeant à sa faim, autrement dit à satiété, jusqu'à s'en faire péter le bidon ou la panse, jusqu'à la prochaine pause pipi... Allez les Verts ! Allez les Bleus ! Allez les sang et or ! Allez les ultra et les titi parisiens !
En bref, le droit naturel reprend des couleurs face au droit positif, au prisme d'un réalisme juridique, surréaliste ; qui a le mérite d'être conscient de sa faiblesse et de ses sautes d'humeur, en s'asseyant par exemple allègrement sur le bannissement de la fumette et des fumoirs, autrement dit des bars illicites à chicha où les chouchou sont détachés, parce que détraqués ou totalement déjantés et déglingués, comme à la saint glin-glin...
Mehdi Allal
Juriste, enseignant en droit public.
Membre du Réseau européen pour la démocratie environnementale.
Auteur de "L’environnement saisi par le droit constitutionnel"...