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Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Billet de blog 9 juillet 2025

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La misanthropie : symptôme ou vérité ?

Et si le misanthrope n’était pas un cynique, mais un amoureux déçu du genre humain ? Derrière le personnage d’Alceste et les figures solitaires de notre modernité, cette réflexion interroge la misanthropie non comme pathologie, mais comme lucidité critique face aux compromissions du monde.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a dans Le Misanthrope de Molière un trouble discret, comme un fil fragile dissimulé dans la grâce des alexandrins : et si celui qui rejette les hommes n’était pas fou, mais simplement lucide ? Et si Alceste, derrière sa solitude bougonne et son refus du compromis social, n’exprimait pas tant une maladie individuelle qu’un malaise collectif ?

La misanthropie est trop souvent caricaturée. Réduite à une posture cynique, à un caprice d’enfant gâté ou à la dépression d’un vieil homme aigri. Mais cette lecture facile passe à côté d’une vérité plus inconfortable : et si le misanthrope était celui qui aime encore l’humanité, mais ne supporte plus ses trahisons ? Derrière le rejet des hommes, il y a souvent un trop-plein d’exigence. Ce que le monde appelle haine n’est peut-être qu’un amour déçu, devenu silencieux faute de pouvoir encore parler.

À travers Alceste, mais aussi Truman, Joel, Theodore, Virgil — personnages solitaires de notre modernité cinématographique (The Truman Show, Her, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, The Best Offer) — cet article propose une autre lecture de la misanthropie. Non pas comme pathologie, mais comme question éthique, politique et existentielle. Une forme d’insoumission fragile, née du refus de pactiser avec la médiocrité.

1. Au-delà des clichés : comprendre la misanthropie comme regard critique

Le stéréotype du misanthrope : une figure commode pour la société

La société a besoin de repoussoirs. Le misanthrope, dans l’imaginaire collectif, est ce marginal fonctionnel : vieux solitaire aigri, parfois ridicule, parfois dangereux. On le case dans les marges pour que le centre social puisse se rassurer. Comme Scrooge dans A Christmas Carol, il n’existe que pour être redressé, réintégré dans le cercle rassurant de la sociabilité. Le retrait est perçu comme un échec, pas comme un choix.

Et pourtant, cette vision ne dit rien du fond. Et si la misanthropie n’était pas un accident psychologique, mais une réaction légitime à l’hypocrisie sociale ? Et si le retrait n’était pas un caprice, mais une forme de dissidence silencieuse ?

L’exclusion des non-adaptés : un mécanisme social de normalisation

Guy Debord, dans La Société du Spectacle, nous rappelle que toute société régule ses marges. Celui qui ne joue pas le jeu devient suspect. C’est ce qui arrive à McMurphy dans Vol au-dessus d’un nid de coucou : étiqueté "inadapté", neutralisé. De même, le misanthrope est celui qui, en refusant les règles tacites du vivre-ensemble, devient marginal. Le conformisme social n’aime pas les voix dissonantes.

Michel Foucault l’a montré : la société moderne ne punit pas seulement les crimes, elle neutralise les écarts. La misanthropie n’est pas tolérée parce qu’elle rappelle à tous la précarité du lien social.

Du misanthrope au dissident : la caricature pour faire taire le gêneur

Mais le misanthrope n’est pas toujours cet homme "cassé" qu’on nous décrit. Parfois, il est juste celui qui refuse. Refuse de jouer un jeu qu’il sait truqué, refuse de faire semblant. Comme Timon d’Athènes chez Shakespeare, ou Diogène, qui cherche l’homme véritable et ne le trouve pas.

La misanthropie peut alors être un acte de résistance. Un refus, non de l’autre, mais du faux lien.

2. Les formes éthiques de la misanthropie

La lucidité douloureuse : voir ce que les autres cachent

Certains misanthropes ne haïssent pas l’humanité. Ils la regardent simplement trop lucidement. Derrière les politesses, ils voient la violence symbolique ; derrière les conventions, la lâcheté morale. Comme Truman, qui fuit un monde trop parfait pour être vrai.

La misanthropie devient alors un désenchantement actif. Un regard sans filtre. Pascal écrivait : « L’homme est un roseau pensant », fragile et pensant sa propre fragilité. Le misanthrope, trop conscient, ne peut plus se bercer d’illusions.

L’amour déçu : quand le retrait est une protection

D’autres misanthropes sont d’anciens amoureux du monde. Ils ont trop espéré. Ils se sont ouverts, ont cru, ont été trahis. Joel, dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, en est l’exemple : il préfère oublier que souffrir encore.

Ce n’est pas qu’il déteste l’autre. Il ne sait plus comment aimer sans se perdre. La misanthropie devient alors un refuge. Non par mépris, mais par fatigue.

Un refus éthique : ne pas pactiser avec le mal

Enfin, il existe une misanthropie qui relève du refus éthique. Alceste ne déteste pas les hommes : il refuse de participer à leurs compromissions. Comme Bartleby, il dit simplement : « I would prefer not to ». Ce n’est pas une haine, c’est un refus radical.

Albert Camus le disait à propos du Dr Rieux dans La Peste : face à l’absurde, certains choisissent de ne pas se mentir. De ne pas faire semblant.

3. Misanthropie et psychanalyse : la tyrannie du Surmoi

Un idéal devenu poison

Chez Freud, le Surmoi est l’instance de l’interdit, de l’idéal. Certains misanthropes sont victimes d’un Surmoi trop exigeant : ils ne supportent pas les imperfections du monde, ni leurs propres compromis. Alceste veut un amour absolu, une sincérité sans faille. Mais la vie humaine est ambiguë. Son exigence devient alors sa prison.

Une impossibilité d’aimer sans souffrir

Jacques Lacan l’explique : le héros tragique paie le prix de son exigence. Alceste ne sait pas composer. Il voudrait que Célimène l’aime sans jeu, sans artifice, sans ambivalence. Mais l’amour humain est traversé de zones grises. Faute de les accepter, Alceste finit seul. Sa misanthropie est moins un choix qu’une incapacité à supporter le réel.

Conclusion : Que faire de cette lucidité ?

Alors, que reste-t-il ? Si la misanthropie est une forme de lucidité, devons-nous fuir le monde ou le réinventer ? Se taire ou parler autrement ?

Peut-être faut-il reconnaître que le misanthrope n’est pas l’ennemi du lien, mais son gardien inquiet. Qu’il ne rejette pas l’humanité, mais ses mensonges. Et que son retrait, parfois, est un détour pour sauver ce qu’il y a de juste dans le vivre-ensemble.

Nous sommes tous, par moments, un peu Alceste. Déçus, lucides, inadaptés. Mais de cette solitude peut naître autre chose : un espoir exigeant, une parole plus vraie, un monde plus habitable. Et dont la retenue forme une espèce raréfiée...

Marie Taffoureau

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