Une singularité juridique héritée de l’histoire coloniale
L’accord du 27 décembre 1968 est le fruit d’une histoire douloureuse : celle d’une indépendance conquise dans le sang et d’une relation postcoloniale complexe. À la différence d’autres États du Maghreb, l’Algérie a négocié un accord migratoire global, protecteur pour ses ressortissants. Ce texte bilatéral, qui a valeur de traité au sens de l’article 55 de la Constitution française, surplombe le droit interne.
Parmi les mesures spécifiques accordées aux Algériens :
délivrance facilitée de titres de séjour (article 7 de l’accord et article 4 de son avenant de 1985),
accès prioritaire au statut de résident de 10 ans (dès 3 ans de séjour régulier pour les travailleurs),
simplification des procédures de regroupement familial (article 6),
absence de quota migratoire.
Un régime dérogatoire à l’épreuve du principe constitutionnel d’égalité
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 (sur la loi Pasqua), a admis que le législateur peut prévoir des régimes spécifiques pour certains étrangers, dès lors que ces différences sont justifiées et proportionnées.
Mais ce principe d’égalité est aujourd’hui invoqué par ceux qui dénoncent le caractère exclusif du régime algérien :
Les Marocains (accord de 1987) et les Tunisiens (accord de 2008) bénéficient d’avantages moindres.
Les ressortissants d’Afrique subsaharienne, malgré des liens historiques comparables, relèvent du CESEDA sans dérogation.
La question posée est donc celle de la légitimité actuelle d’un régime basé uniquement sur la nationalité, dans un contexte où la France prétend construire un droit des étrangers unifié.
Une dénonciation juridique possible, mais politiquement risquée
Selon l’article 55 de la Constitution, les traités s’imposent aux lois internes. Mais comme tout accord bilatéral, celui de 1968 est révocable. La Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) autorise la dénonciation selon les modalités prévues dans l’accord ou, à défaut, après un préavis raisonnable.
Toute dénonciation unilatérale exigerait néanmoins :
Une notification diplomatique formelle à l’Algérie,
Une période transitoire pour éviter une rupture brutale,
Une renégociation potentielle pour limiter les tensions bilatérales.
Quels effets juridiques pour les Algériens vivant en France ?
La suppression du régime spécifique ferait basculer les Algériens dans le droit commun du CESEDA, entraînant :
Des délais plus longs pour l’accès à la carte de résident (5 ans au lieu de 3),
Des procédures de regroupement familial plus complexes (articles L. 423-1 et suivants du CESEDA),
Une précarisation du statut des étudiants et des retraités.
Toutefois, selon la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 19 décembre 2014, n° 370515, Bamba), les droits acquis sous un régime juridique antérieur doivent être protégés. Des mesures transitoires seraient donc nécessaires pour sécuriser les parcours individuels.
Réformer pour harmoniser ou pour restreindre ?
L’enjeu est double :
Harmoniser : supprimer l’exception algérienne pourrait clarifier et simplifier le droit des étrangers, conformément aux principes de clarté normative et d’universalité du droit.
Restreindre : mais l’unification ne doit pas devenir un prétexte pour niveler par le bas, dans un contexte où les droits des étrangers ne cessent de se réduire.
Une réforme équilibrée consisterait à aligner le droit commun sur les garanties de l’accord de 1968, plutôt qu’à aligner les Algériens et les Algériennes sur le régime précarisant du CESEDA.
⚖️ Principaux textes et références juridiques
Constitution française, article 55 : primauté des traités internationaux.
Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969 (articles 54 à 56) : modalités de dénonciation des accords bilatéraux.
Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, JO du 18 mars 1969, modifié par les avenants de 1985, 1994 et 2001.
CESEDA (notamment articles L. 411-1 à L. 423-1) : régime général du séjour des étrangers.
Conseil constitutionnel, décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 : reconnaissance de régimes migratoires différenciés.
Conseil d’État, 19 décembre 2014, n° 370515, M. Bamba : protection des droits acquis lors de changements de régime juridique.
Conclusion : une refonte progressive, dans le respect des droits fondamentaux
Sur le plan juridique, la suppression de l’accord de 1968 est possible, mais elle nécessiterait une approche concertée et graduée, respectueuse du droit international et protectrice des droits acquis. Sur le plan politique, une dénonciation brutale risquerait d’alimenter les tensions bilatérales et les crispations identitaires.
Le véritable enjeu est d’unifier le droit des étrangers par le haut, en garantissant à tous des procédures claires, justes et protectrices, plutôt que de démanteler un acquis historique au nom d’une égalité formelle, déconnectée des réalités sociales et historiques. Et qui risquerait d'alimenter de nouveaux foyers de tension entre les deux partenaires, malgré le plébiscite que le peuple français semble accorder à une telle refondation des aller-venues à clarifier...