Dans les débats contemporains sur le “Blanc”, la “race” et la “colonisation”, les discours binaires ont souvent le vent en poupe. On oppose mécaniquement “Européens” et “autres”, “dominants” et “dominés”, comme si l’histoire et la biologie validaient cette grille de lecture. Pourtant, les recherches en génétique, en linguistique et en histoire longue révèlent une réalité bien plus complexe. Non, les peuples du Maghreb, du Moyen-Orient, du Caucase, d’Iran ou d’Asie centrale ne forment pas une “altérité radicale” face à l’Europe. Ils sont, au contraire, issus du même grand brassage humain eurasien.
Une Eurasie génétiquement continue
Premier constat : la génétique humaine contemporaine invalide l’idée selon laquelle la “blancheur” serait l’apanage exclusif des Européens. Des marqueurs génétiques communs traversent l’Europe, le Caucase, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie du Sud-Ouest.
Ainsi, les Iraniens (ou Perses) présentent des "haplogroupes" paternels (R1a, J2), que l’on retrouve également chez les Slaves, les Grecs ou les Italiens. Les Berbères du Maghreb, quant à eux, partagent des lignées avec l’Europe occidentale, notamment l’"haplogroupe" R1b. Ces similarités ne sont pas anecdotiques : elles traduisent des vagues migratoires néolithiques et post-néolithiques qui ont, très tôt, irrigué l’ensemble du pourtour méditerranéen et de l’Asie occidentale.
Les Juifs ne font pas exception. Qu’ils soient ashkénazes ou séfarades, leurs ancêtres mêlent des lignées européennes et levantines. Leurs génomes racontent une histoire d’adaptation, de brassage et de circulation. De même, les populations du Levant (Libanais, Syriens, Palestiniens...) sont génétiquement proches des Méditerranéens du Sud, bien plus que des populations nordiques européennes.
Même plus à l’Est, chez les Afghans et les Pachtounes, on retrouve des marqueurs génétiques communs aux Slaves d’Europe orientale. Le fameux "haplogroupe" R1a1a, typique des populations indo-européennes des steppes, atteint chez eux des fréquences comparables à celles observées en Pologne ou en Ukraine.
Quant au Caucase, il a toujours été un carrefour plus qu’une frontière. Arméniens, Géorgiens, Tchétchènes, tous portent des signatures génétiques communes aux peuples d’Europe méridionale et du Proche-Orient.
À l’échelle de l’Eurasie occidentale, cette mosaïque ne forme pas des blocs étanches, mais un continuum où les distinctions modernes “Blancs” / “non-Blancs” s’avèrent scientifiquement arbitraires.
Indo-européens, Sémites : des langues, pas des races
Cette continuité biologique trouve son écho dans le domaine linguistique. Les langues aussi racontent des histoires de brassages et de migrations, loin des fantasmes d’ethnies “pures”.
Le groupe des langues indo-européennes est emblématique : du français au persan, du russe au pachtoune, du grec à l’hindi, toutes ces langues descendent d’un même ancêtre commun, parlé il y a 5 à 6 000 ans dans les steppes "pontico-caucasiennes". Les pasteurs nomades de cette région diffusèrent non seulement leur langue, mais aussi leurs lignées génétiques (notamment R1a) en Europe comme en Iran et en Inde.
L’Arménie, au cœur du Caucase, illustre cette rencontre : peuple caucasien parlant une langue indo-européenne, les Arméniens portent dans leur génome des marqueurs partagés avec l’Europe méridionale et le Proche-Orient.
De même, les langues sémitiques (arabe, hébreu, araméen...) révèlent un autre versant de cette histoire commune. L’hébreu, langue liturgique des Juifs, et l’arabe, langue majoritaire du Maghreb, sont cousines linguistiques.
Et si l’on considère les langues populaires — yiddish, ladino, judéo-arabe, berbéro-arabe... — on constate que les diasporas juives, arabo-berbères ou européennes ont toujours été multilingues, adaptant leurs pratiques linguistiques aux sociétés où elles vivaient.
La linguistique confirme ce que Noam Chomsky rappelait : tous les êtres humains partagent une grammaire universelle, qui transcende les frontières géographiques et culturelles.
Colonisateurs d’hier et d’ailleurs : l’universalisme des empires
Dernier point, souvent occulté : l’histoire impériale n’est pas une exclusivité européenne. Avant les empires coloniaux modernes, d’autres puissances non-européennes ont dominé, asservi et brassé des populations dans une dynamique universelle d’expansion.
L’empire perse (Achéménides, Sassanides...) a contrôlé des territoires immenses allant de la Méditerranée à l’Indus. Les califats arabes, puis ottomans, ont bâti des systèmes impériaux multiethniques et multilingues, où la conquête militaire et la domination culturelle étaient des pratiques courantes.
Les Almoravides et les Almohades, dynasties berbères du Maghreb, ont eux aussi mené des conquêtes, notamment en Andalousie. Les Mongols enfin, venus des steppes asiatiques, ont imposé leur loi sur la Chine, l’Asie centrale, le Moyen-Orient et même une partie de l’Europe orientale.
Ces empires ont pratiqué, comme les Européens plus tard, l’assimilation, le tribut, l’exploitation économique et parfois l’esclavage. La colonisation, dans l’histoire humaine, est une dynamique universelle, pas le monopole de l’Occident moderne.
Redécouvrir notre continuité commune
Les sciences humaines et biologiques convergent donc vers une vérité simple : les catégories raciales modernes sont des constructions historiques, pas des réalités naturelles. Ni la génétique, ni la linguistique, ni l’histoire longue ne soutiennent l’idée d’une Europe “blanche” homogène face à un “reste du monde” radicalement différent.
Au contraire, l’histoire de l’Eurasie, de l’Atlantique aux confins de l’Inde, est celle d’un brassage continu. Maghrébins, Perses, Berbères, Juifs, Afghans, Moyen-Orientaux, Caucasiens et Européens appartiennent à une même trame biogéographique et culturelle.
Cette unité cachée ne doit pas occulter les conflits, les injustices ou les dominations — mais elle invite à repenser nos catégories, à sortir des essentialismes et à comprendre que nos histoires sont plus imbriquées que séparées. Plus compliquées à analyser que simples à retracer, dans un espace-temps qui défie les lois de la nature et des cultures figées.
Par Marie Taffoureau, étudiante en droit à l’université Paris Nanterre, avec Mehdi Allal